« L’Histoire n’est pas le lieu de l’adhésion. On n’a pas à adhérer au passé comme à un parti. Il ne fait pas sens de croire à des blocs d’héritage indissolubles, qui appartiennent à l’un ou l’autre. Le passé ne se fixe pas par testament chez le notaire. Les événements ne sont pas des clauses testamentaires. »
Nicolas Offenstadt
Succès de librairie indéniable, Le Métronome se présente comme un ouvrage d’histoire accessible au plus grand nombre. Un objet cool dont l’apparence et le discours se veulent iconoclastes, remettant en question une histoire jugée trop froide et entachée d’idéologie.
Décliné sous une version illustrée, puis à la télé, c’est aussi un phénomène marketing soutenu par des médias complaisants, pour ne pas dire complices, certains tirant grand profit de l’objet et de ses clones (la chaîne Histoire et France Télévisions pour ne citer que ces deux exemples).
Également accrédité par des politiques, dont on se demande s’ils ont vraiment pris connaissance de l’ouvrage, Le Métronome se trouve ainsi doté des attributs d’une autorité scientifique sans en avoir suivi le cheminement ni la méthode.
Mais tout ceci ne serait finalement pas très grave, si de surcroît Loránt Deutsch, sous prétexte de dénoncer une histoire instrumentalisée, ne tentait pas à son tour d’imposer une conception réactionnaire du passé, réactivant ainsi une antienne de la Droite nationaliste la plus rance dont les précurseurs se nomment de Maistre, Bainville, Maurras et Guitry.
Œuvre nécessaire et courageuse, le court essai de William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin fait le point sur le phénomène Métronome. Ces historiens montrent les lacunes flagrantes de l’ouvrage, mettant en lumière le projet idéologique qui sous-tend le propos de Deutsch. Ils relèvent que le vibrionnant acteur est au mieux un crétin utile au courant anti-républicain (et pourquoi pas anti-démocratique), au pire un zélote des idées les plus méphitiques de la Droite française.
Loránt Deutsch est une figure sympathique du show business habitué aux comédies populaires sans conséquence. Avec Le Métronome, il profite de sa notoriété pour investir le champ de l’Histoire. Il se présente comme un trublion venu semer du poil à gratter au cœur des citadelles de la connaissance historique. Il se décrit comme un conteur, un passeur, mais qui n’invente rien !
D’entrée de jeu, le projet de l’acteur n’apparaît pas très clair. Et ses propos, cités à plusieurs reprises dans l’essai, ne viennent en rien disperser le doute. Deutsch dit apporter un éclairage sur le passé, un éclairage dégagé du matérialisme de l’étude scientifique des faits passés. L’acteur n’accepte les faits scientifiques que s’ils accréditent sa chapelle. Comme un bonus, car s’il est bien une histoire qu’il réprouve, c’est celle enseignée à l’université (« l’histoire est un mensonge en sursis, un falsificationnisme ») et dans l’Éducation nationale (dont il méconnaît manifestement les programmes). Froide, désincarnée, elle ne conduirait les élèves qu’à la désaffection pour le passé quand elle ne chercherait simplement pas à les embrigader.
Si l’on comprend assez rapidement ce que fustige Deutsch, son projet peine à apparaître. Pourtant peu à peu, il se dégage une ligne directrice des déclarations contradictoires, pour le moins embrouillées, de l’acteur. Selon lui, l’histoire est porteuse de morale. Récit, forcément national, elle se fixe pour but d’édifier le (bon) peuple, laissant de côté toute réflexion et toute analyse pour privilégier l’émotion et le goût pour le sensationnel. Ainsi l’Histoire se confondrait avec l’identité nationale, une identité bien entendu chrétienne et royaliste.
Pour Deutsch, il existe une continuité du passé de la France, un riche legs pour paraphraser Renan, dont on doit être fier. Cette foi trouve ses racines dans une vision de la monarchie idéalisée « propre à faire rêver les midinettes, fidèles lectrices de Point de vue : Images du monde. » Une monarchie ayant fait souche à Paris, capitale de la France depuis au moins la fin de l’Empire romain. Ce roman national parisiano-centré a connu pourtant une rupture : la Révolution française.
« L’histoire de notre pays s’est arrêtée en 1793, à la mort de Louis XVI. Cet événement a marqué la fin de notre civilisation, on a coupé la tête à nos racines et depuis on les cherche. »
En effet, la Révolution apparaît à bien des égards comme une apocalypse aux yeux de l’acteur. Elle est la matrice des totalitarismes du XXe siècle – fascisme, nazisme et stalinisme. Elle sert également de cadre au premier génocide, décidé par Robespierre pour ramener la Vendée dans le giron républicain. Le peuple s’y montre violent, capricieux, irrationnel, dépourvu de toute pensée politique et réduit à une multitude haineuse. À grand renfort d’anecdotes frappantes, comme la profanation de la dépouille du (bon) roi Henri IV, Deutsch fait le lit d’une légende noire du peuple, reprenant à son compte tous les stéréotypes du XVIIIe siècle.
De manière générale, tous les événements révolutionnaires du XIXe siècle passent à la moulinette contre-révolutionnaire dans Le Métronome. Ils y figurent comme des ruptures néfastes au cœur des jours fastes de la monarchie. À peine dignes d’être mentionnés, à l’image de la Commune qui passe à la trappe dans l’adaptation TV.
Sur quelles sources se fonde Loránt Deutsch pour élaborer un tel roman national ? La question reste sans vraie réponse. Pressé de livrer quelques informations, l’acteur se contente de lâcher quelques noms faisant consensus (Braudel, Guizot, Michelet, Ferro, Decaux…). Une manière de caution scientifique lui épargnant de rentrer dans les détails. Toutefois, en creusant un peu, on se rend compte qu’il s’agit le plus souvent de sources de seconde main, voire de sources partisanes, auxquelles il n’applique aucun traitement critique. Car si la question des sources reste nébuleuse, celle de la méthode ne résiste pas longtemps à l’examen critique. On l’a dit l’acteur ne retient des sources que ce qui arrange sa chapelle.
Mais ceci n’est pas le plus grave. Le bougre ne se contente pas seulement de faire valoir un éclairage partisan du passé. Il n’hésite pas à tronquer ou arranger celui-ci à sa convenance. Il se livre à une lecture erronée des sources qu’il a sélectionné, entremêlant interprétation fumeuse et pure invention. Ceci est démontré par les auteurs des Historiens de garde à plusieurs reprises.
Les erreurs déjà patentes dans Le Métronome apparaissent de manière encore plus flagrantes dans son adaptation télé où l’art du raccourci et de l’anachronisme forcent l’admiration. Un forfait dont les auteurs – Loránt Deutsch et Fabrice Hourlier – ne cherchent même pas à s’excuser, le goût du sensationnel l’emportant sur la raison.
Peu regardant sur ses sources et sur sa méthode, l’acteur a reçu le soutien inconditionnel des médias qui ont surtout vu dans le phénomène Métronome une source de profit. Car Deutsch est avant tout un pur produit marketing. Son livre est « à l’image d’une bouteille de coca ou d’une paire de baskets Nike. » L’image décontractée de l’acteur, sa gouaille, le storytelling autour de sa personne, la mise en scène dont il fait l’objet et tous les autres éléments du marketing commercial concourent à en faire un pur produit de consommation. Une pompe à fric dont les mêmes recettes ont été recyclées pour mettre en valeur son nouvel ouvrage : Le Paris de Céline.
Pourtant, loin de l’image de l’adulescent, le produit Deutsch apparaît comme la face émergée d’un courant moins fréquentable. Un courant inscrit dans une tradition réactionnaire dont les épigones actuels ont pour nom Patrick Buisson, Franck Ferrand, Jean Sévillia, Dimitri Casali, Stéphane Bern… Les tenants de cette école historique ont bien compris l’usage spectaculaire qu’ils pouvaient faire de la télévision. Ils ont saisi l’opportunité du spectacle vivant pour recréer dans des parcs à thème – comme celui du Puy du fou ou bientôt celui consacré à Napoléon – un passé fictif, présenté comme vrai et fidèle aux principes du roman national.
Face à cette offensive des partisans d’une histoire de la France éternelle, toujours unie, « toujours été là » pour reprendre l’expression de Suzanne Citron, les historiens se doivent de sonner l’appel à la résistance pour combattre cette vision faisandée et étriquée. Non pas en produisant une version républicaine du roman national, mais par l’action auprès de la population. Il s’agit de sortir les historiens de leur tour d’ivoire, de les pousser à animer des ateliers et à monter des projets d’écriture pour proposer une histoire participative, initiant les volontaires aux méthodes historiques.
L’histoire est un sport de combat nous disent William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin. C‘est même un combat stimulant et salutaire.
ps 1 : Un petit surf vers le grand méchant A et ses commentaires permet de se rendre compte de la nécessité de ce combat.
ps 2 : Cet essai a été réédité en poche chez Libertalia.
« L’histoire doit cesser d’être un réservoir à profit, à consommation immédiate, un passé figé utile aux seuls angoissés du présent et aux appétits de croissance des mécènes, et devenir une science en démocratie. Ce choix n’est pas dans les seules mains des historiens universitaires (qui restent, rappelons-le, au service du public), mais bien de l’ensemble des acteurs, politiques et médiatiques en tête, qui doivent cesser, sous prétexte d’impartialité et de faux relativisme, de donner la parole à n’importe qui, et d’affirmer, en cœur avec les historiens de garde, qu’il ne faut pas juger et que chacun peut avoir son éclairage. Il faut au contraire que les controverses deviennent publiques afin de permettre à l’ensemble des citoyens de prendre parti. Les champs des possibles sont ouverts, à nous de choisir la voie… »

Les Historiens de garde – De Loránt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national de William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, préface de Nicolas Offenstadt – Inculte essai, 2013