Heliotropisme et BD

A l’instar des juilletistes et des aoûtiens, ce blog va s’assoupir pour au moins un mois (voire plus). La faute à un tenancier passablement en vacances à l’étranger. Un fait dont il ne se sent pas un instant coupable. Non non.

Mais comme il aime son prochain, surtout s’il est chevelu, il va vous gratifier de quelques avis sur diverses lectures divertissantes avant de partir. Un truc court, hein ? Faut pas pousser mémé dans les oursins…

La vie rêvée du capitaine Salgari de Paolo Bacilieri – Delcourt

Biographie dessinée, l’ouvrage nous conte la vie d’Emilio Salgari, le plus grand écrivain italien de littérature populaire, de ses débuts jusqu’à son suicide par seppuku* (*authentique). Si le terme de forçat de l’écriture a un sens, il correspond tout à fait à Salgari. Durant toute sa vie, le bonhomme a dû écrire tout le temps pour joindre les deux bouts, assailli constamment par ses éditeurs et ses créanciers. Il a imaginé une multitude de récits aventureux, déclinés en plusieurs séries, décrivant des lieux où il ne mettra jamais les pieds. La postérité lui doit Sandokan, personnage cher au cœur de Paco Ignacio Taibo II.

H.P. Lovecraft, L’invisible et autres contes fantastiques de Erik Kriek – Actes Sud – L’an 2

Autre registre ici, celui de l’adaptation. Dessinateur hollandais, Erik Kriek adapte quatre textes du reclus de Providence. Au sommaire, Je suis d’ailleurs, La couleur tombée du ciel, Dagon, L’Invisible, Le Cauchemar d’Innsmouth. J’avoue être resté un tantinet sur ma faim avec cette BD. Si le dessin est honorable, il ne parvient pas en effet à restituer l’horreur indicible des atmosphères lovecraftiennes. Un demi-succès en somme.

L’appel de l’espace de Will Eisner – Delcourt

Il y aurait beaucoup à dire sur ce récit graphique de Eisner. Je me contente juste d’affirmer qu’il s’agit d’une petite merveille de narration, mêlant SF, polar et espionnage, sans doute un peu datée du fait de son contexte de guerre froide. Mais si la géopolitique a changé, les motivations guidant l’humanité restent plus que jamais d’actualité.

Blue de Pat Grant – Ankama éditions

J’ai un petit faible pour ce court ouvrage. Le format à l’italienne, le graphisme et l’esprit comptent pour beaucoup dans mon coup de cœur. L’histoire simple, le cadre provincial, même si ici australien, et le propos universel rappellent les romans de Mark Twain, de Stephen King (la nouvelle Le corps). Pour l’atmosphère, on se trouve un peu du côté du film Monsters.

The Massive – Pacifique noir de Brian Wood, Kristian Donaldson et Garry Brown – Panini Comics

Ayant beaucoup apprécié la série DMZ, j’ai laissé ma curiosité me guider avec ce nouveau titre. Nous sommes dans le futur, une succession de catastrophes majeures a mis l’humanité à genoux. A bord du Kapital, nous suivons les écologistes du groupe Neuvième Vague dans leur recherche du second navire de leur organisation. Le récit est entrecoupé de flashs back se focalisant sur le passé ambigu de quelques membres de l’organisation. Des brèves rappellent la chronologie des événements ayant conduit à la fin du monde.

Difficile de se faire un avis définitif pour l’instant. Pacifique noir a tout du tome d’exposition. Toutefois, si la série tient les promesses esquissées ici, elle devrait s’avérer intéressante, même si on ne peut que déplorer l’aspect too much des catastrophes.

Souvenirs de l’empire de l’Atome de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse – Éditions Dargaud

Attention, voici un ouvrage confinant à la madeleine. Derrière un graphisme volontairement daté se cache une BD ultra-référencée rendant hommage à la science-fiction américaine de l’âge d’or. L’érudit s’amusera beaucoup en découvrant les allusions à van Vogt, Edmond Hamilton, Cordwainer Smith et bien d’autres… Personnellement, je ne suis pas sûr de les avoir toutes trouvées.

François Guerif – Du polar – Entretiens avec Philippe Blanchet – Manuels Payot

Pour terminer un livre d’entretiens avec François Guerif, le boss de chez Rivages que je considère comme la collection de référence en matière de polars (assertion non négociable). Guerif s’y confie un peu, parlant surtout des auteurs qu’il a publié. Il y dévoile son goût pour les films noirs, ses réflexions sur l’évolution du polar et de ses codes. Il donne aussi sa définition du genre. On y découvre quelques secrets éventés sur les pratiques éditoriales, comme par exemple les traductions tronquées et arrangées de la Série noire chez Gallimard. Au final, l’ouvrage apparaît comme un point de vue intéressant sur le polar qu’il convient bien entendu de nuancer par d’autres lectures.

Steampunk ! L’esthétique rétro-futur

A l’heure où paraît chez ActuSF un guide du Steampunk, petit recyclage de son grand frère, chroniqué jadis chez le Cafard. J’allais oublier : bientôt les vacances…

Poursuivant son panorama de la culture populaire contemporaine, la Bibliothèque des miroirs s’enrichit d’un huitième volume. Cette fois-ci, c’est au steampunk de passer sur le grill, un courant protéiforme, soulevant plus de problèmes qu’il n’en résout.

De peur sans doute d’être un peu trop court, Étienne Barillier adopte d’entrée une démarche bancale faisant le choix de traiter également de l’esthétique rétro-futuriste issue des roman-feuilletons, dime novels, pulps, et autres scientific romances, aparté nippon compris. Un choix un peu fourre-tout prêtant le flanc à la critique, du moins à une discussion passionnée.

Abondamment illustrée de visuels kitsch et agrémentée d’une esthétique surchargée à base de tuyauterie, boulons et engrenages, l’étude d’Étienne Barillier ne fait pas mentir la réputation de bel ouvrage voulue par Les Moutons électriques. On se trouve ici, non devant une somme, mais face à une tentative d’exploration d’un champ culturel pour le moins fluctuant. L’essai fournit par ailleurs, que ce soit dans le corps du texte comme en annexes, quantité de pistes à défricher. Ceci constitue une réelle valeur ajoutée au travail de recension de l’auteur. Côté fâcheux, on peut déplorer quelques tournures de phrase pesantes, des images parfois superflues – et même une photo pixelisée –, sans oublier les coquilles.

En introduction, Étienne Barillier rappelle le lien quasi-charnel entre le steampunk et l’âge de la révolution industrielle. Machine à vapeur, dirigeables géants, culte du progrès, steamers et mécaniques rivetées sont en effet des motifs incontournables du « genre » sur lesquels il est difficile de faire l’impasse. Il souligne la parenté avec l’uchronie et, reprenant la formule citée par Daniel Riche « le steampunk s’efforce d’imaginer jusqu’à quel point le passé aurait pu être différent si le futur était arrivé plus tôt », insiste sur le fait que l’Histoire s’apparente surtout à un coffre où puiser les jouets de fictions aventureuses et iconoclastes. Un générateur de sense of wonder, ici émerveillement au charme suranné provoquant immédiatement la nostalgie.
Enfin aux yeux de l’auteur, les icônes du steampunk acquittent un lourd tribut à de nombreux genres – fantastique, fantasy, roman policier – recyclant sans vergogne leur archétypes et stéréotypes. Pour Étienne Barillier, il ne fait aucun doute : le steampunk se situe à la confluence de plusieurs traditions littéraires et en cela s’apparente à une métafiction. Il apparaît ainsi qu’il se positionne en faveur d’une acception dans un sens large du « genre ».

Dans une première partie, intitulée « de la genèse à l’engouement », Étienne Barillier essaie d’abord d’établir la matrice des chimères steampunk. Exercice hautement acrobatique, on peut juger sa recension des œuvres du XIXe siècle éclairante, en revanche on est beaucoup moins convaincu par la phase de maturation, qualificatif choisi par l’auteur pour évoquer le proto-steampunk. Passons sur le cycle du Nomade du temps de Michael Moorcock, de Frankenstein délivré de Brian Aldiss et sur La Machine à explorer l’espace de Christopher Priest, encore que l’on puisse s’interroger sur le sentiment des trois auteurs britanniques quant à ce classement, pour afficher notre étonnement devant l’évocation du cycle de Gormenghast [*] de Mervyn Peake ou encore des Mondes de l’Imperium de Keith Laumer. De même, si Barillier résume efficacement la chronologie des événements conduisant à la naissance du terme steampunk, il ne sait sur quel pied danser par la suite pour lui donner une descendance, mélangeant uchronie et diverses déclinaisons de l’imaginaire populaire occidental et japonais.

La deuxième partie, intitulée « L’âge de la maturité », ressort surtout par son caractère de fourre-tout. Sans omettre aucun aspect de la culture populaire contemporaine, que ce soit les jeux vidéos, les films d’animation, les jeux de rôle, les séries télévisées, les films, les bandes dessinées et bien entendu les romans, Étienne Barillier établit une liste non exhaustive de toutes les œuvres se rapprochant de près ou de loin de l’esthétique steampunk, prise ici au sens large, c’est-à-dire rétro-futuriste. Une performance laissant un arrière-goût de joyeux bordel. Plus d’une fois, l’auteur est obligé de jongler avec les mots afin de faire rentrer toutes les œuvres citées dans le cadre qu’il a délimité. Autre paradoxe : à plusieurs reprises les auteurs interrogés avouent ne pas avoir eu l’intention de faire du steampunk. Il en résulte une impression très mitigée, d’autant plus que certains titres surprennent, on pense notamment aux romans de China Miéville.
La troisième partie, intitulée « être steampunk », donne un aperçu des performances ludiques et artistiques de quelques artistes et passionnés du « genre ». À réserver aux fans hard-core, il y en a plus qu’on ne le croit…

Sans surprise, le steampunk apparaît pour ce qu’il doit être : une recréation ludique et une récréation animée par une bande de sales gosses. Une blague prise au sérieux est devenue un genre à l’insu de son plein gré.

[*] Conscient de l’énormité de son affirmation, Étienne Barillier reconnaît que l’influence de la trilogie de Gormenghast sur le steampunk « n’est sans doute flagrante qu’à travers le filtre que procura au genre l’imaginaire d’un Michael Moorcock ». Si influence de Mervyn Peake sur Moorcock il faut rechercher, elle semble être davantage du côté de Gloriana que du Nomade du temps.

Steampunk ! L’esthétique rétro-futur de Etienne Barillier – Éditions Les moutons électriques, La bibliothèque des miroirs, mars 2010