Nostalgie, quand tu nous tiens…
Récemment, j’ai acquis le nouvel opus du duo Yann et Conrad. Un bel objet édité chez Dargaud rassemblant quelques épisodes de leur série parodique « Bob Marone ».
Pour les néophytes qui ne savent rien de la chose, rappelons que les deux compère, Yann le Pennetier au scénario et Didier Conrad pour le dessin, ont initié cette série dans le magazine Spirou durant les années 80. Ils y illustraient déjà les hauts de page, usant d’une tournure d’esprit très impertinente pour se moquer des héros de la maison, au grand déplaisir de certains auteurs (Leloup et De Gieter).
Avec ce pastiche, Yann et Conrad se livrent à un dynamitage en règle du style et des stéréotypes de la série « Bob Morane ». Une irrévérence non dénuée d’un certain respect pour le héros de Henri Vernes dont les mésaventures ont égayé l’enfance de Yann. Bob Marone est un nabot vivant en couple avec Bill Gallantine, un géant efféminé. Il parle avec une emphase et un phrasé qui ne sont pas sans rappeler l’absurdité des discours du maire de Champignac. Le résultat est très drôle. Une drôlerie teintée d’un soupçon d’humour british.
Bref, vous vous doutez bien que je trouve les deux acolytes très sympathiques. Un sentiment renforcé par le fait qu’ils ont fini par être remercié comme des malpropres. Il faut croire que leur insolence n’était pas du goût de l’éditeur Charles Dupuis. Pas grave, ils ont poursuivi leurs aventures dans l’éphémère revue Circus.
Mille diables ! Me voilà frappé du syndrome de la madeleine de Proust. Car, pour tout vous dire, j’ai lu et apprécié Yann et Conrad dans les pages de Spirou à un âge où les poils ne défloraient pas encore mon menton. Leurs hauts de page, bien sûr, mais aussi les premières histoires des « Innommables », autre série qu’ils ont lancé dans le magazine, et qu’ils n’ont pu achever compte tenu de leurs choix peu conformes à la ligne éditoriale du très conservateur hebdomadaire. Je possède d’ailleurs plusieurs versions de Shukumeï et de Aventures en jaune, leurs deux chefs-d’œuvre.
Par la suite, Yann s’est montré plus prolifique que Conrad, produisant d’autres bande dessinées irrévérencieuses. Avec Marc Hardy, il a scénarisé « La patrouille des libellules », série humoristique inachevée se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale et dont les titres sont tout un programme (Le chien des Cisterciens, Défaite éclair, Requiem pour un pimpf, Pas d’ausweiss pour Auschwitz, non paru à ce jour). Je recommande.
Ayant repris les scénarios du « Freddy Lombard » de Yves Chaland, il propose au dessinateur, alors pressenti pour reprendre la série « Spirou », l’histoire du Groom vert-de-gris, dessinée finalement plus tard par Olivier Schwartz dans la collection « Une aventure de Spirou et Fantasio par… »
Mais revenons à Un parfum de yétis roses, le fameux nouvel opus à l’origine de cet article empreint de nostalgie. L’album fait suite à la réédition du Dinosaure blanc. Il compile huit histoires courtes parues dans les pages de l’hebdomadaire Fluide Glacial entre 2003 et 2005. Le duo s’adjoint pour ce retour les service du dessinateur Yoann. Comme déjà dit, la série parodie le Bob Morane de Henri Vernes. Nous sommes dans la France gaullienne, Bob Marone, fervent colonialiste, vit en couple avec Bill Gallantine. Mais, il ne peut résister longtemps à l’appel enivrant de l’aventure, n’hésitant pas à partir à sa recherche aux quatre coins du monde.
Les voyages de ce héros parodique puisent dans le corpus du roman populaire et du jeu vidéo. Le mélange des genres y prévaut. Fantastique, suspense, science-fiction, monde perdu, saupoudré d’une bonne dose d’auto-dérision. Lovecraft, Conan Doyle, James Hilton, Lara Croft et j’en passe sont convoqués en vrac au fil de courts récits au ton décalé, jalonnés de répliques émaillées de tics de langage savoureux.
Je ne résiste pas au plaisir déviant d’en mentionner quelques unes.
« Marone avait roulé sa bosse aux quatre coin du globe, du cercle arctique jusqu’au triangle des Bermudes…, mais jamais in n’avait rencontré un particulier aussi singulier. »
« Marone détendit ses doigts de pied déformés par la pratique intensive de la savate… Puis, il frappa ! »
« Galant, comme tous ceux de sa race, le Français répugnait à massacrer une personne du beau sexe, fût-ce avec une rose. Bob prit un soin extrême à ne frapper que l’hideuse tête de batracien, respectant religieusement le corps qui, sous les pustules, gardait une grâce toute féminine… »
« L’esprit très ouvert malgré sa petite taille, Bob Marone respectait les coutumes des peuplades primitives qui communiaient naïvement avec la nature… mais être sacrifié à une idole, païenne de surcroît, lui, l’ancien enfant de chœur, non, l’idée lui en était intolérable. »
Bref, je vous le dis, Bob Marone, c’est du nanan ! Foi de barbu !
Un parfum de yétis rose de Yann, Conrad et Yoann – Éditions Dargaud, juin 2013