Jean-Philippe Depotte dans ses œuvres.
Abonnez-vous, c’est génial !
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On meurt tous un jour, il faut s’y résigner. Pourtant, le plus terrifiant dans la mort, ce n’est pas le fait de mourir, mais la perspective de ne plus exister. Ce qui suit le trépas échappe à la compréhension de l’esprit humain faute de témoignages fiables ou d’éléments objectifs à analyser. Pour des raisons d’équilibre psychologique, les hommes ont secrété diverses parades pour meubler l’éventuel néant existentiel. Au-delà paradisiaque, réincarnation, immortalité de l’âme… Les propositions abondent, ne parvenant cependant pas à éliminer totalement le doute qui pèse sur la conscience. Un doute exploité par toutes les religions ; les charlatans, spirites, gourous et autres faiseurs de philosophie n’ayant pas manqué aussi de se ruer dans cette brèche métaphysique.
A la fin des années 1970, la mode s’est focalisé pendant un temps sur l’EMI (l’expérience de mort imminente). Nouveau Graal pour des pseudos scientifiques perclus de mysticisme, le phénomène a ouvert un boulevard aux hypothèses les plus fantaisistes. La littérature et le cinéma (je me souviens d’un film avec Julia Roberts) ont évidemment épuisé le filon. Et puis, Connie Willis…
Que le lecteur se rassure, l’auteure américaine n’écrit pas ici une énième variation pseudo-philosophique ou mystico-n’importe quoi, à la manière des Thanatonautes de Bernard Werber. Bien au contraire, aucun présupposé surnaturel, philosophique ou religieux ne vient entacher un récit impeccable auquel on ne peut guère reprocher que la longueur.
Quid de l’histoire ?
Joanna Lander travaille comme médecin psychologue à l’hôpital Mercy General de Denver. Inlassablement, elle y collecte des données auprès des EMIstes, pauvres bougres ayant échappé à la mort, écoutant leurs récits afin d’élaborer une théorie sur ce phénomène. Une tâche difficile, car la scientifique doit se garder d’influencer les réponses de ses patients par des questions trop précises, sans omettre de séparer leurs sensations réelles des affabulations inspirées par leur mémoire.
Entre les interrogatoires et leur transcription, ses visites à Maisie, une fillette attachante atteinte d’une cardiomyopathie, dont le seul plaisir consiste à écouter des récits de catastrophe, notamment le naufrage du Titanic, la jeune femme n’a pas un instant de liberté. Et puis, ses collègues ne se montrent guère indulgents pour sa recherche qu’ils considèrent comme une perte de temps. Sans oublier le harcèlement permanent du professeur Mandrake qui croit que l’Au-delà est peuplé d’anges et de défunts apaisés. Bref, tout ceci confine au sacerdoce…
Aussi, lorsque le professeur Richard Wright lui propose de collaborer sur un projet de simulation artificielle d’EMI, Joanna n’hésite pas un seul instant.
Sans déflorer davantage l’intrigue d’un roman bien documenté sur le milieu médical et les EMI, relevons d’emblée un bon point. Connie Willis ne s’enferme pas dans les codes du thriller métaphysique, comme peut le laisser craindre la quatrième de couverture. Elle écrit un texte chaleureux, profondément optimiste, en dépit de sa matière morbide, ne basculant à aucun moment dans le mysticisme de pacotille ou dans le mélodrame sirupeux. En fait, on est happé sans transition dans une histoire au rythme irrésistible où tous les détails ont leur importance à plus ou moins longue échéance. Une sorte de puzzle malicieux rehaussé d’une pointe d’humour léger.
Les personnages de Connie Willis courent sans cesse. Dans les couloirs encombrés du Mercy General Hospital, dont l’architecture tarabiscotée confère au bâtiment le statut de personnage à part entière, ils courent autant pour rattraper le temps perdu que pour échapper à l’entropie. Un tâche guère aisée, car la géographie des lieux rend le moindre déplacement aléatoire. En fait, les couloirs forment comme un labyrinthe dont les circonvolutions semblent répondre aux errements de leur esprit. Régulièrement, lorsque Joanna s’apprête à mettre le doigt sur un fait capital, la solution lui échappe à cause d’une rencontre fâcheuse, d’un détour ou d’un imprévu qui vient tout remettre en question et relancer le processus.
A la longue, le procédé génère de la lassitude. La répétition des situations peut même agacer. L’intrigue accuse d’ailleurs un sérieux coup de mou vers le milieu du roman. Mais, tout ceci n’empêche pas Passage de demeurer un redoutable page-turner doté d’un supplément d’âme tenant tout entier dans ce mélange si particulier d’humour et de tragédie.
« Dans très peu de temps je serai parti, même si je ne sais pas pour où. Nous venons de nulle part et nous n’allons nulle part. Qu’est-ce que la vie ? Le papillonnement d’une luciole dans la nuit. »
Pendant longtemps, j’ai ignoré tous les livres de George R.R. Martin. La faute à un stupide préjugé fondé sur le rejet viscéral de la saga du « Trône de fer ». Même sous la torture, je ne pourrais jamais dire du bien de cette série interminable, aussi boursoufflée et consistante qu’un soufflé. Du vent ! Déjà, à l’époque où je lisais de la fantasy au km, une habitude que j’ai perdu tant le sujet me paraît désormais galvaudé, je ne supportais pas cette œuvre de Martin, vouant aux gémonies son auteur (je sais, cela ne sert à rien, mais ça soulage).
Baste ! Plutôt que de livrer une énième fois ma détestation du « Trône de fer », un sujet sur lequel je peux me montrer intarissable en matière de mauvaise foi, revenons à l’objet du présent compte-rendu : « Les Rois des sables ».
Au compte-gouttes tout d’abord, puis de manière plus régulière, j’ai redécouvert Martin. Imaginez ma stupeur ! Le bougre, pardon pour cette familiarité, avait aussi écrit du fantastique et de la SF avant de succomber aux sirènes de la BCF. D’un genre tout à fait recommandable, c’est-à-dire fun sans cette naïveté adolescente plombant le sense of wonder. Et sans cette propension à la surenchère horrifique gratuite que l’on trouve parfois chez certains faiseurs. Bref, c’est un peu comme si je n’avais pas vu le bois de Birnam s’avancer pour me latter l’arrière-train.
« Les rois des sables » rassemble sept histoires. De la science-fiction divertissante, non exempte d’une touche de noirceur, comme en témoigne le texte donnant son titre au recueil, sans doute un de mes préférés. À vrai dire, il n’y a pas grand chose à jeter parmi les nouvelles figurant au sommaire qui, certes classiques dans leur forme, ont su réveiller dans ma mémoire l’émoi de mes lectures adolescentes. Que demande le peuple ! (qu’on ne me réponde pas d’être rasé gratis).
Écrites entre 1973 et 1979, la plupart d’entre-elles semble relever d’un même espace-temps formant une sorte de space opera relâché où les humains côtoient ou affrontent diverses espèces extra-terrestres dignes de figurer au casting de Starwars. Du nanan, vous dis-je, écrit avec juste ce qu’il faut de respect pour le lectorat. Mais voyons cela de plus près.
Par la croix et le dragon s’attache au voyage de Damien Har Veris, un des plus anciens chevaliers de l’Inquisition, envoyé par son supérieur sur la planète Arion afin d’y éradiquer une version hérétique de l’histoire de Judas Iscariote. Dans ce premier texte, l’auteur démonte habilement les concepts de foi et de religion, montrant que les hommes préfèreront toujours un beau mensonge à la vérité. Un dénouement somme toute décourageant, hélas assez lucide.
Après cette entrée en matière stimulante, Âprevères apparaît comme un des premiers points d’orgue du recueil. Avec grâce et délicatesse, George R.R. Martin nous narre un conte cruel empreint de mélancolie et de poésie, puisant son inspiration à la fois dans la SF et la légende. Sans doute est-ce un effet de mon cœur d’artichaut, mais longtemps après, je reste toujours sous le charme vénéneux de Morgane et de ses roses.
Plus classiques, Vifs-amis et La cité de pierre accomplissent leur office, effleurant quelques concepts scientifiques via une histoire d’amour impossible pour le premier, et une cité antique sise sur une planète lointaine oubliée de tous pour le second. Malheureusement, même si les enjeux de ces deux récits ne m’ont pas laissé insensible, ils n’ont toutefois pas emporté mon adhésion.
Avec La Dame des étoiles, on se situe un cran au-dessus. L’auteur américain remplit ici pleinement sa mission. Mettre en scène une histoire sans héros, dégagée de tout principe moral, si ce n’est celui de survivre à tout prix. La langue fertile en trouvailles langagières apporte un surcroît d’intérêt pour une intrigue dont le propos lorgne un tantinet du côté du polar.
Dans la Maison du ver marque l’esprit par son atmosphère crépusculaire et horrifique. On pénètre au sein d’un monde ossifié, stratifié selon un axe vertical. Une société décadente vivant au plus haut de tours cyclopéennes, exposée aux ultimes rayons d’un soleil mourant. Les bas-fonds, laissés à l’abandon, sont le territoire des grouns, race chassée pour sa viande et ennemi ancestral des hommes. Mais, un péril bien plus terrifiant se terre aux tréfonds des entrailles de ce monde. Dans ce texte, le plus long du recueil, George R.R. Martin jongle avec les éons, dressant le portrait d’un monde à bout de force. Il instille progressivement l’angoisse, accouchant d’un dénouement amusant pour qui apprécie l’humour noir.
Enfin pour clore cette recension, je dois faire part de mon coup de cœur pour Les rois des sables. On y fait la connaissance de Simon Kress, une crapule de la plus belle eau. Piranhas terriens, chouette-charogne, traînard carnivore, le bougre se plaît à collectionner les espèces ne suscitant guère l’empathie, organisant à l’occasion des combats pour distraire ses amis. Sa dernière trouvaille le laisse toutefois dubitatif. Des insectes sociaux animés par un esprit de ruche, capables d’adorer la main qui les nourrie. Dévoués à leur reine, une unique créature appelée la gueule, ils assurent sa défense, érigeant des châteaux et éradiquant les concurrents dans des batailles impitoyables. Devenu leur dieu, Kress ne tarde pas à organiser des conflits, poussant chaque clan, identifié par une couleur différente, à combattre l’adversaire. Peu-à-peu, il laisse libre cours à sa cruauté, recherchant d’autres créatures pour défier ses protégés et exciter davantage leur agressivité. Dans ce récit, au déroulement certes prévisible, Martin se montre juste parfait. Le rythme, un lent crescendo ponctué de crimes et d’actes inhumains, ou au contraire trop humains, n’accuse aucune faiblesse. L’auteur américain se montre délicieusement immoral jusqu’à une chute où Kress se voit déchu de sa position de dieu par un retournement de situation dont on goûtera toute l’ironie.
Ayant succombé au talent de George R.R. Martin, je suis condamné maintenant à continuer mon exploration de sa bibliographie. Une peine bénigne dont je devrais m’acquitter sans problème en piochant dans les rééditions et nouveautés d’éditeurs avides de glaner quelques miettes du succès du « Trône de fer ». Des heures de plaisir en perspective…
Les Rois de sables de George R.R. Martin – rééditions J’ai Lu, 2013 (recueil traduit de l’anglais [États-Unis] par Sara Doke, Brigitte Ariel et Pierre-Paul Durastanti)
Mon précédent blog étant devenu illisible du fait de la prolifération des publicités, je vais rapatrier progressivement les articles me paraissant les plus intéressants ici-même. Ce sera l’occasion de créer une nouvelle catégorie que j’appelle dans un élan de créativité incontrôlable « Déjà vu, déjà lu sur mon ancien blog ». Tout est foutu !
Knockemstiff.
Le nom claque sec comme un coup de cravache.
Dans cette bourgade typique de l’Amérique profonde, perdue au fin fond de l’Ohio, dans un coin paumé où même Dieu ne retrouverait pas son trou du cul, on sait ce qu’il en coûte de vivre. Alors, on boit un coup pour oublier. À vrai dire, on passe son temps à boire, quand on ne cogne pas sur ses voisins, sur ses enfants, sur sa femme et sur le type passant par hasard (rayez les mentions inutiles ou pas). Sans parler des diverses substances stupéfiantes circulant illégalement et dont la liste filerait dare-dare une grippe intestinale à une armoire à pharmacie.
Le samedi soir, on y fréquente le drive-in en famille, la bouteille à portée de main, le poing prêt à cogner. La jeunesse y tue le temps en cuvant son alcool ou son bad trip. À l’occasion, tout cela se termine sur la banquette arrière crasseuse d’une voiture à jouer à la bête à deux dos.
Résumer l’ouvrage de Donald Ray Pollock reviendrait à dresser une longue liste de faits sordides. Le quotidien des habitants du Val, un ramassis d’hillbillies, autrement dit de ploucs, consanguins, alcooliques et violents…
Passé inaperçu lors de sa parution en France, Knockemstiff rappelle aux éventuels étourdis que la réalité est bien souvent plus tordue que la fiction.
Avec ce recueil, je découvre Donald Ray Pollock, nouvelle voix de la littérature américaine, dont le roman Le Diable, tout le temps a fait depuis quelque peu sensation dans les milieux bien informés. Un prolo comme l’Amérique en compte de nombreux, ce qui ne l’a pas empêché d’étudier, puis de prendre la plume.
En lisant Pollock, j’ai immédiatement pensé à l’univers de Daniel Woodrell. Puis les noms de Éric Miles Williamson et de Chuck Palahniuk me sont venus à l’esprit. Williamson pour la gouaille et le style ravageur. Le festival de la couille (Stranger than Fiction) de Palahniuk pour la collection de tarés dont on suit les turpitudes authentiques. On a connu pire comme parallèle…
En rassemblant cette collection d’instantanées, Donald Ray Pollock n’invente rien. Il témoigne de souvenirs, de faits sans doute réels, ou du moins auxquels il a assisté. De cette succession de courts récits, narré à hauteur d’hommes, mais du genre fin de race déjantée, il tire un portrait de l’Amérique des white trash. Il en dessine les contours, une géographie intime très éloignée des réussites du rêve américain, et pourtant pas moins emblématique de ce pays.
Sûr que l’étape vaut le détour.
Knockemstiff de Donald Ray Pollock (Knockemstiff, 2008) – Éditions Libretto, 2013 (Réédition traduite de l’anglais [États-Unis] par Philippe Garnier)
1976, le fond de l’air est rouge. Le temps n’est plus au Flower Summer, à l’amour et aux rêveries psychédéliques. La dépression économique a ouvert les portes sur d’autres visions. Désindustrialisation, chômage, marasme social, fin des illusions et montée du racisme. L’heure est à la radicalisation pour une ultra-gauche préconisant le terrorisme et la lutte armée. Brigades rouges, Fraction armée rouge, Action directe adoptent les méthodes du grand banditisme pour libérer le prolétariat. En Angleterre, le mouvement punk scande no future sur les décombres du Labour Party pendant que Margaret Thatcher s’apprête à faire du pays le laboratoire du libéralisme prédateur.
Séduit par le radicalisme d’un ami, Patrick Thomas (aka Pat) participe au saccage d’un local du GUD. Mais, l’affaire tourne mal. Un facho reste sur le carreau. Pat n’a pas d’autre alternative que de filer à l’anglaise, direction Londres où la ville frémit au son des punks. Un fracas irrésistible enflammant les clubs et les pubs interlopes qui commence à rencontrer un certain écho auprès des majors du disque. Il y rencontre Joe Strummer, un ancien qui en pince pour l’énergie dégagée par le mouvement. Un type clamant que the future is unwritted. Avec deux autres gars, Mick Jones et Paul Simonon, il compte lever les foules pour mener une révolution rock. Un clash rageur et salvateur.
Roman écrit par un fan pour des fans, Strummerville* dégage une fougue juvénile rafraichissante. Celle de la jeunesse et de la naïveté. Récit fantasmé entrelardé de faits réels, le roman de Bruno Clément-Petremann nous emmène dans les coulisses d’un des plus grands groupes de rock anglais (assertion de fan non négociable).
Toute la deuxième partie est ainsi consacrée à la genèse et à la montée en puissance du trio Strummer, Jones et Simonon, bientôt rejoint par Topper Headon. On est immergé dans la création des différents albums du groupe, sessions intenses où les musiciens mettent en parole leur engagement politique, dénonçant les discriminations sociales, le racisme et la lente dérive conservatrice de la Gauche anglaise. Les Clash captent l’énergie du punk pour sortir le mouvement de son cul-de- sac nihiliste. Ils en font une arme de réflexion massive, absorbant toutes sortes d’influences musicales, rap, dub, reggae, pour les passer à la moulinette de leur rock furieux. Et tout en restant fidèles à leur volonté inébranlable de liberté, malgré les tensions internes, la drogue, l’alcool et la tentation du star système, ils tracent la route pour entrer dans la légende.
Moins frénétique, la troisième partie s’écarte du fantasme pour coller à a réalité. Pat finit par être rattrapé par la justice. Il est condamné à une peine de réclusion de vingt années. On suit son parcours dans le milieu carcéral des années 1980 et 90. Cette partie a un peu valeur de témoignage car Bruno Clément-Petremann appartient à la maison. Directeur de prison, on pourrait craindre que son regard ne soit biaisé, ou du moins entaché de partialité. Bien au contraire, il dresse un portrait des prisons françaises et de la justice qui ne peut pas être qualifié de complaisant. On est même surpris par certaines phrases sous sa plume.
« La justice est hautaine, vaniteuse, elle n’aime rien tant qu’écraser et ne supporte pas qu’on la défie. A ses yeux, sa réputation et son prestige sont plus importants que la société dont elle est censée défendre l’intérêt. Un juge ne se trompe pas, on ne le conteste pas. »
Après cette parenthèse tout aussi intéressante que l’histoire des Clash, retour à la musique dans une dernière partie en forme d’épilogue gonflé. Joe Strummer mort, Pat libéré de prison, ne reste plus que les regrets sur le temps passé. Sur tout ce que le chanteur des Clash ne pourra plus réaliser. Et l’envie furieuse d’écouter, encore et encore, leurs albums. Voire de ressusciter, le temps d’une tournée imaginaire, la furia du groupe.
* Sans doute un clin d’œil à l’association à but non lucratif, fondée par la veuve de Joe Strummer après sa mort, apportant son soutien à des jeunes groupes et artistes.
Strummerville de Bruno Clément-Petremann – La Tengo éditions, août 2012
« L’émeute revêt une beauté particulière à présent. Arcs de flammes au-dessus des feux d’essence, sous le croissant de lune. Balises pourpre de paraboles mystiques. Phosphorescence des canons de fusils à balles en caoutchouc. Au loin, une clameur, comme venue d’un navire torpillé où les hommes seraient restés prisonniers des cales. Trombe écarlate, sifflements mouillés des cocktails monotov au contact de surfaces solides. Et partout, les hélicos, et leurs projecteurs qui se cherchent et se trouvent, tels des amants dans le ciel de l’au-delà. »
1981, Carrickfergus, dans la banlieue de Belfast. Les rues de la ville résonnent du fracas lointains des émeutes. Bobby Sands vient de mourir, victime de l’intransigeance du gouvernement Thatcher, et l’Ulster semble plus que jamais au bord de la guerre civile. Un conflit confessionnel jusque-là larvé, marqué par quelques épisodes violents comme le Bloody Sunday, mais dont les habitants avaient fini par faire leur quotidien, faisant leur deuil de la paix par la même occasion.
À bien des égards, Sean Duffy apparaît comme une exception dans ce paysage déserté par la raison. Catholique au milieu de Protestants et seul diplômé parmi la piétaille formée sur le terrain, il a fait un choix dangereux. Au lieu de partir comme bon nombre de ses compatriotes, il a opté pour l’action, rejoignant les rangs de la Royal Ulster Constabulary. Traître aux yeux de l’IRA et papiste pour les paramilitaires protestants, Duffy a choisi de servir le bien commun plutôt que d’obéir à une cause.
Conscient qu’il est une cible à abattre, l’administration l’a affecté dans une zone tranquille où il ne risque pas de s’exposer. Un fait qui ne l’empêche pas de vérifier tout les matins son véhicule, histoire de voir si on ne l’a pas piégé.
Appelé sur une scène de crime, il découvre un cadavre dont la main droite git coupée sur le sol. Cela ressemble beaucoup à une exécution, cependant l’hypothèse ne résiste pas à l’autopsie. La main n’est pas celle de la victime dont le rectum recèle de surcroît une belle surprise : une partition de musique. De quoi démentir la tradition voulant que l’Ulster n’ait jamais connu de tueur en série puisqu’il y est aisé de torturer et de tuer pour une « cause ».
Certains livres vous happent immédiatement, vous relâchant flasque comme une méduse échouée sur la plage. D’autres infusent, prenant leur temps pour vous imprégner.
En entamant la lecture d’Une terre si froide d’Adrian McKinty, la satisfaction était au rendez-vous. L’impression de lire un bon bouquin prévalait. Une histoire simple avec une chouette ambiance, des personnages attachants et une intrigue bien ficelée. Pas davantage. Pourtant, peu à peu, les divers éléments du roman ont infusé, faisant finalement frémir ma corde sensible. Vous savez, le machin au fond à gauche, près de cette chose molle et chuintante.
L’honnêteté me pousse toutefois à indiquer qu’Une terre si froide ne brille pas pour l’originalité de son histoire. Plutôt pour cette qualité particulière et rare qui surgit parfois au détour d’un roman. Quelque chose tenant au ton, à la sincérité ou à la volonté de l’auteur de faire du bien à son lectorat, sans chercher à l’arnaquer.
McKinty sait y faire pour camper des personnages auxquels on adhère. Il fait preuve de talent pour tisser une atmosphère et manie le changement de rythme avec maîtrise. Mais, il n’est surtout pas dupe des enjeux de la situation nord-irlandaise. Pour paraphraser Manchette, l’IRA et les paramilitaires protestants apparaissent ici comme les deux mâchoires du même piège à cons. Ils tiennent les quartiers, se substituant à la police, et rançonnent les commerçants. Ils se livrent à une guerre de routine sous le regard bienveillant du gouvernement Thatcher, plus soucieux de conserver l’Ulster dans le giron de la Couronne qu’à garantir le bien être de sa population. Il faut le regard dépourvu de cynisme et d’angélisme d’Adrian McKinty pour rendre compte de la complexité d’un conflit où on ne trouve guère de bien ou de mal.
Une terre si froide appartient à une trilogie dont le deuxième volet, Dans la rue, j’entends les sirènes, est paru à la fin de l’année 2013. Vous en entendrez causer bientôt.
Une terre si froide (Cold cold Ground, 2012) de Adrian McKinty – Editions Stock, « La Cosmopolite Noire », 2013 (roman traduit de l’anglais [Irlande] par Florence Vuarnesson)
Jean-Claude Marguerite, l’auteur du fabuleux Vaisseau ardent, m’a envoyé ce message.
Bonjour,
Le Vaisseau ardent revient en numérique : sans DRM, en 2 volumes à 6,99 €, et avec une nouvelle couverture.
Le livre premier, Le Pirate Sans Nom est déjà disponible auprès de plus de quarante libraires en ligne.
La Rédemption du pirate, Livre second, abordera tout prochainement.
Il est possible de découvrir directement (sur tout écran, sans téléchargement) le premier chapitre à cette adresse : http://levaisseauardent.pressbooks.com
Et hop ! Une bonne résolution tenue.
C’est tout de même plus classe.