Surprise ! La Nuit, précédent roman de Frédéric Jaccaud, n’a même pas encore un an au compteur, et voilà que l’auteur suisse nous gratifie d’un deuxième titre, de surcroît en format poche, ce qui n’est pourtant plus le (mauvais) genre de la collection série noire… Cédant à la fois à la curiosité et à une quatrième de couverture pour le moins intrigante, j’ai laissé ma compulsion habituelle prendre le pas sur ma raison (on ne se refait pas). Résultat des courses (au propre comme au figuré) ? Je reste perplexe…
L’argument de départ d’Hécate s’enracine dans le réel. Un fait divers particulièrement sordide survenu en Slovénie. Avec cette matière brute, Frédéric Jaccaud brode un court roman (environ 130 pages) où, via le filtre de la fiction, il dissèque le réel. Il nous convie ainsi à un voyage au centre de la tête. Celle d’un jeune policier obsédé par la vision de la scène du crime. Celle d’un individu au sexe incertain, à la fois bourreau et victime. Une sorte de janus lunaire. Celle de l’auteur lui-même, en position de voyeur, autopsiant au propre comme au symbolique la nature humaine et son rapport à l’horreur, à l’incompréhensible.
Du voyeur au voyant, il n’y a qu’un pas, vite franchit par l’auteur helvète. Nous l’accompagnons ainsi dans son exploration de la face cachée d’un fait divers. Aux premières loges pour témoigner de l’indicible. De ce que les mots ne peuvent dire. De ce que l’on cache à défaut de comprendre. De l’effet – fascination, trouble, nausée – qu’il produit sur la psyché.
D’une plume puissante, sans concession, Frédéric Jaccaud nous plonge dans le malaise, nous racontant les prolégomènes d’un drame humain. Il nous secoue dans nos certitudes, déroulant le récit imaginaire d’une trajectoire fatale. En creux, il dévoile un monde cruel, impitoyable et hanté par la folie. Une zone hostile dans laquelle les prédateurs évoluent en toute quiétude sous le regard complice de leurs proies.
D’emblée, le récit se place sous les auspices de la mythologie. La figure d’Hécate, déesse chthonienne, dont la part sombre semble ici l’emporter, sert de fil rouge. Elle impulse une lecture symbolique, au carrefour du réel et du fantasme. L’auteur se réfère également au poète et peintre William Blake dont une des œuvres orne le mur de la chambre des supplices. Le style de l’artiste britannique convient, à bien des égards, à cette histoire étrange, obscure, à l’atmosphère morbide. Et peut-être même, peut-on retrouver une thématique commune avec le roman Hécate et ses chiens de Paul Morand, du moins la dédicace le laisse-t-elle penser, mais là, n’ayant pas lu ce roman, je ne peux guère confirmer ou infirmer l’hypothèse.
Hélas, malgré toutes ses qualités, je suis incapable de dire si j’ai aimé ce court roman. J’ai été happé, malmené par l’écriture vénéneuse de Frédéric Jaccaud, mais je reste dubitatif devant le procédé et son résultat.
Hécate de Frédéric Jaccaud – Éditions Gallimard, « série noire », décembre 2013