« De nos jours, à ce qu’on dit, les touristes parcourent des kilomètres jusqu’à la Pointe du Diable pour voir la tombe d’Hendry Jones et débattre si oui ou non ses ossements y sont ; et certains prétendent que son doigt – celui qui pressait la détente – ne s’y trouve pas, et d’autres, que c’est son crâne qui aurait disparu ; certains affirment aussi que sa tombe ne se trouve pas à cet endroit et que ce qu’ils ont sous les yeux n’est rien d’autre qu’un petit tas de coques d’ormeaux. Libre à vous de croire ce que vous voudrez. »
Pour ceux qui ne le savent pas encore, Pat Garrett et Billy the Kid fait partie de mes westerns préférés. Pour ne rien cacher, je voue un culte à ce long métrage. À celui-ci et à La Porte du Paradis de Michael Cimino. Pour Sergio Leone, mon cœur balance encore entre Le bon, la brute et le truand et Il était une fois dans l’Ouest.
Pourquoi, me direz-vous, une telle entrée en matière, alors que je m’apprête à parler de La véritable histoire de la mort d’Hendry Jones de Charles Neider. Parce qu’avec ce roman, j’ai trouvé le pendant textuel au film de Sam Peckinpah. Attention, ne nous méprenons pas. Ce livre n’est pas l’adaptation de Pat Garrett et Billy the Kid. Pour la trouver, il faut plutôt chercher du côté de La Vengeance aux deux visages, film pompeux et pompant, assez ridicule en y réfléchissant bien, entièrement porté par l’égo de Marlon Brando (un quintal à la pesée, et encore, tout mouillé). Et même si Sam Peckinpah a touché au scénario avant de lâcher l’affaire (comme Stanley Kubrick), le résultat ne rend pas du tout justice au roman de Neider. Pas rancunier lorsque l’on aborde le sujet, l’auteur se cantonne à l’ironie, considérant qu’à partir du moment où il a vendu les droits de son livre, son adaptation lui échappe.
D’ailleurs, c’est à se demander si Peckinpah ne prend pas sa revanche avec Pat Garrett et Billy the kid, filmant sa vision de la fin de l’outlaw avec des éléments empruntés au roman de Charles Neider. On pourrait sans doute en discuter longtemps, mais à mes yeux, le film du réalisateur américain s’impose comme l’adaptation idéale de La véritable histoire de la mort d’Hendry Jones.
Revenons au roman. Sans doute sur ses vieux jours, Doc Baker se remémore ses jeunes années en compagnie de Hendry Jones. Les circonstances de la mort de son ami hantent toujours sa mémoire. Malgré les années, il en rejoue sans cesse le déroulement pour se convaincre que rien n’aurait pu influer sur le destin d’Hendry. Il s’interroge aussi sur son propre comportement, tentant d’évacuer sa propre culpabilité. Aurait-il dû venger son ami ? L’aurait-il seulement pu ?
Confronté à la légende du célèbre hors-la-loi, au culte dont il fait l’objet de la part des pieds-tendres, Doc ressent comme une urgence vitale de tout mettre par écrit. Rétablir la vérité pour atténuer les racontars, souvent contradictoires, et renvoyer les fâcheux à leur médiocrité. Avec ce livre dont le titre explicite confine au manifeste, Doc a choisi de révéler sa vérité sur Hendry. Celle que le récit du shérif Longworth a contribué à souiller.
Derrière les noms de Dad Longworth et de Hendry Jones, on comprend assez rapidement que se cachent ceux de Pat Garrett et de Billy the Kid. D’ailleurs, le second n’est plus désigné que par son surnom dans tout le reste du roman. Chronique des derniers jours d’un outlaw, récit empreint de nostalgie et de regrets, La véritable histoire de la mort d’Hendry Jones se veut réaliste dans son ton et son atmosphère. Dans un souci d’authenticité, Charles Neider cherche à coller au plus près de la réalité de l’époque et des lieux, usant à foison de termes espagnols, et n’hésitant pas à nous confier les détails prosaïques d’une existence pour le moins rustique.
Dans un style oral et râpeux, la narration nous plonge dans la mémoire de Doc Baker. Non linéaire, progressant par ellipses et digressions, le récit laisse infuser les faits et les réflexions de son auteur. Dans son entreprise de rétablissement de la vérité, le bonhomme dresse du Kid le portrait d’un homme vieilli avant l’âge, instable et dangereux, voire irrationnel, persuadé qu’il va mourir mais confiant dans sa chance. Entre son évasion de la prison de Monterey, son escapade au Mexique et son retour à la Punta del Diablo, le Kid joue au chat et à la souris avec Dad Longworth, défiant par la même occasion le fatum. Le roman de Neider dévoile ainsi son caractère dramatique. La fin du Kid s’apparente à une tragédie, ponctuée de quelques gunfights, où l’auteur se confond avec le narrateur, révélant sa profonde empathie pour ses personnages.
Bref, les spectateurs échaudés par l’adaptation calamiteuse de Brando peuvent lire sans crainte le roman de Charles Neider. Avec La véritable histoire de la mort d’Hendry Jones, l’auteur nous convie à une ballade empreinte de mélancolie. Une sorte de catharsis salutaire.
La véritable histoire de la mort d’Hendry Jones (The Authentic Death of Hendry Jones, 1957) de Charles Neider – Éditions Passage du Nord-Ouest, collection Short Cuts, avril 2014 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Marguerite Capelle et Morgane Saysana)