La réédition dans une nouvelle traduction de Confessions d’un barjo me procure l’opportunité de clamer une nouvelle fois mon addiction pour Philip K. Dick. Si ceci ne vous paraît pas raisonnable, tant pis. Il vous faudra le supporter…
« Je suis constitué d’eau. Ça ne se voit pas, parce que je la retiens. Mes amis sont comme moi. Tous. Le problème, c’est d’éviter que le sol nous absorbe à mesure que nous le foulons, sachant que nous devons aussi gagner notre vie. »
Jack Isidore est un barjo, un abruti, un crétin congénital, un idiot, enfin tout ce que vous voulez. Considéré comme tel par sa sœur cadette Fay et son mari Charley Hume, propriétaire d’une petite usine dans Marin County, Jack s’avère pourtant un observateur très fin de son microcosme familial.
Fay est un vrai garçon manqué n’ayant pas la langue dans sa poche, comme on dit. Une battante, une femme dominatrice, machiavélique qui, une fois mariée à Charley, lui a fait deux filles et l’a enchaîné dans de coûteuses dépenses afin de jouir d’une superbe maison moderne à la campagne. De son côté, Charley le lui rend bien. Individu mal dégrossi, il souffre du contrôle qu’exerce son épouse sur sa vie. Pour oublier ce qu’il considère comme une humiliation, il boit et bat Fay, histoire de rétablir l’ordre naturel des choses.
Lorsque Nathan Anteil s’installe avec sa jeune épouse Gwen dans la tranquille localité de Point Reyes où vit le couple Hume, la routine semble se briser. Homme raisonnable conscient des manigances de Fay, Anteil se laisse malgré tout entraîner dans une déraisonnable relation adultère.
Quant à savoir qui est vraiment le plus barjo dans cette histoire, tout est question de point de vue…
Confessions d’un barjo apparaît comme le plus dickien des romans hors genre de l’auteur. Dickien, par le procédé narratif de la multifocalisation, mise en place ici de manière magistrale. L’histoire se dévoile ainsi au travers du prisme (déformant ?) des points de vue de quatre individus : Jack, Fay, Charley et Nathan. Un récit dramatique où, derrière le ton humoristique, l’image du couple modèle vole en éclats.
Il n’y a pas pire menteur qu’un témoin oculaire affirme un dicton russe. Confessions d’un barjo ne propose pas de point de vue qui soit plus vrai qu’un autre. Tous sont fondés, sincères et pourtant biaisés par l’implication de chaque personnage dans le naufrage général.
Le thème abordé, celui de la folie, s’avère lui aussi très dickien. Qu’est-ce qu’être fou ?
Tout au long de l’histoire, Jack Isidore fait office de fou. Roi des barjos aux yeux de son beau-frère Charley, taré congénital pour sa sœur, son point de vue ouvre et clôt néanmoins le roman. Son compte rendu scientifique de faits prouvés, selon ses dires, sert de fil conducteur au récit. De notre point de vue, Jack est complètement dingue. Ses raisonnements farfelus donnent lieu aux moments les plus délicieux du roman. Comment juger autrement un individu chapardant dans un supermarché une boîte de fourmis enrobées dans du chocolat dans l’espoir de les ramener à la vie. C’est d’ailleurs dingue d’imaginer que l’on puisse consommer ce genre de mets…
Mais, du point de vue de Jack, les autres apparaissent comme de dangereux barjes qu’il faut éviter absolument. Et lorsque la maisonnée part à vau l’eau, il reste le seul à agir avec logique pour faire face à l’adversité. Le monde pullule de cinglés, de quoi saper définitivement le moral déclare-t-il en conclusion de son expérience chez sa sœur. Les faits lui donnent amplement raison. En cela, Jack se rapproche davantage de l’idiot, ignorant de la réalité du monde extérieur et cherchant à l’ordonner en un cosmos compréhensible à ses yeux. Une attitude très sensée à bien y regarder.
Bref, vous l’aurez aisément compris, s’il y a un seul livre de Dick à lire, en-dehors du genre, Confessions d’un barjo semble incontournable… De mon point de vue.
Confessions d’un barjo (Confessions of a Crap Artist, 1959) – Éditions J’ai Lu, janvier 2013 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Nathalie Mège)
Bon, aller, je me lance. J’avoue que j’avais quand même un peu peur de le lire, j’ai repoussé, et repoussé, et repoussé.
Par contre, pour moi, celui à lire en dehors de la SF, c’est « Les voix de l’asphalte » (mais bon, je n’ai pas encore lu celui-ci ;-p).
Comme je n’ai pas lu Les voix de l’asphalte, un des rares m’échappant encore, je ne peux afficher ma préférence. Mais, ce roman aura fort à faire pour détrôner les Confessions d’un barjo. ^^
Un livre que j’ai adoré ! Du grand Dick ! Merci de m’apprendre qu’il y a eu une nouvelle traduction, ça me donne très envie de le redécouvrir.
Bonjour,
Tout le plaisir est pour moi.
Je crois qu’il vient d’être réédité en poche. S’il fallait une raison supplémentaire de le redécouvrir, la voici.