Une Chanson pour Lya et autres nouvelles

J’entretiens avec les écrits de George R.R. Martin une relation d’amour et de détestation franche et décomplexée. La faute à « Game of Thrones », ne revenons pas sur le sujet… Pourtant, le succès de ce cycle de fantasy dans nos contrées est sans doute responsable de la réédition et de la parution, parfois (souvent) opportuniste, d’une ribambelle de recueils et d’autres romans de l’auteur, avec à la clé quelques bonnes surprises. Un corpus de textes dans lequel j’ai puisé sans vergogne, oubliant au passage mes préjugés (tout est foutu !).
Cette démarche a contribué à modifier petit à petit mon jugement sur Martin. Malheureusement, on n’est jamais à l’abri d’une déconvenue. « Les Rois des sables » m’avait plutôt réjoui, hélas « Une Chanson pour Lya » m’a semblé beaucoup plus anodin, en-dehors de la novella éponyme, récompensée à juste titre par un Hugo.

Dix textes figurent au sommaire de cette réédition augmentée d’un inédit. Pas de quoi sauter au plafond puisque ledit texte (Le run aux étoiles) est tout à fait oubliable. Reste huit nouvelles, certes loin d’être honteuses, mais entachées d’intrigues prévisibles au développement assez terne. À vrai dire, elles baignent dans un état d’esprit old-school qui relève d’une science-fiction archétypale héritée de l’âge d’or. Je ne peux pas dire que je me suis ennuyé en les lisant, mais c’est tout comme…
Parmi ces nouvelles, retenons quand même Au Matin tombe la brume, courte histoire empreinte de poésie, qui voit s’affronter la raison froide de la logique scientifique et les rêveries romantiques de l’imagination. Le texte démontre, s’il est encore besoin de le faire, que le mystère génère amplement plus d’émotions que la vérité toute nue. Ce ne sont pas les défenseurs de Nessie qui me contrediront.

Mais, venons-en au morceau de bravoure du recueil qui justifie à lui tout seul son achat (choisissez une édition d’occasion, c’est moins cher). Chanson pour Lya appartient à cette catégorie d’histoire qui marque durablement. On suit un couple d’humains télépathes engagés pour enquêter sur un culte extra-terrestre. Sur Ch’kéan, les indigènes prônent en effet l’Union des esprits au cours d’une cérémonie aboutissant au suicide rituel du croyant. La pratique serait considérée comme une curiosité macabre si elle ne faisait pas de plus en plus d’émules parmi les colons.
Chargé de comprendre les motifs présidant aux conversions malgré leur issue fatale, Lya et Robb se vont se frotter à l’altérité d’une autre civilisation. Ils disposent toutefois d’un talent supplémentaire afin d’appréhender l’autre : leur capacité à sonder les esprits, à percer les pensée et à ressentir les émotions. Grâce à ce don, ils ne doutent pas de parvenir à leurs fins, procurant ainsi aux autorités terriennes le moyen d’endiguer les adhésions.
George R.R. Martin touche au plus juste de l’émotion avec cette novella où il convoque l’un des plus vieux thème de la littérature, celui de l’amour absolu. Grâce à leur faculté de télépathe, Lya et son compagnon pensent vivre une union absolue ne ménageant aucun secret l’un pour l’autre. Une situation où le partage des expériences et des sentiments, en outrepassant le carcan des cinq sens, permet d’atteindre un stade supérieur d’amour. La découverte du culte des Ch’kéens remet pourtant en question leurs certitudes. L’Union des esprits offre en effet une qualité de partage faisant paraître bien fade toute autre relation. Elle démasque les faux-semblant du lien télépathique et laisse entrevoir une communion totale, proche de l’adoration religieuse, rendant caduque à jamais le sentiment de solitude existentielle. À la condition d’abandonner son intégrité physique, son individualité pour pouvoir jouir éternellement d’une sorte de nirvana.

Dans cette novella où se mêlent la tragédie et la quête d’absolu, George R.R. Martin a le bon goût de ménager une fin ouverte, poussant le choix de ses personnages jusqu’à leur conclusion logique sans nous assener de point de vue moral sur la question. Bref, voici un grand texte ! Dommage qu’il figure dans un recueil globalement médiocre.

LyaUne Chanson pour Lya et autres nouvelles (A Song for Lya and other Stories, 1976) de George R.R. Martin – Réédition J’ai lu, juillet 2013 (Recueil traduit de l’anglais [États-Unis] par Monique Cartanas, M.-C. Luong et Pierre-Paul Durastanti. Traductions harmonisées et complétées par Sébastien Guillot)

 

 

L’Evangile cannibale

À 90 ans passés, Matt Cirois pensait terminer ses jours peinards, détesté de tous, aides-soignantes comme pensionnaires de la résidence des Mûriers. Pas de chance, l’apocalypse survient sous la forme d’une épidémie de zombies.
En compagnie d’une troupe hétéroclite de grabataires, il s’échappe de l’hospice, direction Paris, où il compte bien devenir le géniteur d’un monde meilleur. Avec Pierrot qui bave en permanence, Yan qui connaît par cœur des tubes désuets, Jacky, le facho non repenti, et d’autres gâteux, le voilà parti en fauteuil roulant dans une équipée sauvage et périlleuse.

On va faire court.
L’Évangile cannibale de Fabien Clavel pourrait faire une très bonne nouvelle. Aborder les zombies via le point de vue croguignolesque d’une bande de vieux échappés de leur hospice a toute les apparences de la farce macabre. L’auteur instille un décalage réjouissant propice à la satire sociale. Il entretient d’ailleurs pendant un temps l’illusion, faisant assaut de saillies grinçantes fort drôles au travers du regard de Matt, cet insupportable vieux cacochyme glaviottant sur tous ceux qui osent l’approcher.
Mais voilà, cette road novella (j’invente le terme) en fauteuils roulants se délite au fil des pages, aboutissant à un récit longuet, mou du moignon, dont on se demande quel est l’intérêt ? Et ce n’est pas le sous-texte vaguement religieux, l’humour noir ou l’humeur atrabilaire du narrateur qui sauvent L’évangile cannibale d’un naufrage n’étant pas dû ici seulement à l’âge.

Non, franchement, sur le thème de la vieillesse, je recommande plutôt Le Bal des débris de Thierry JonquetLune captive dans un œil mort de Pascal Garnier, autrement plus jouissifs, vachards et incisifs sur ce sujet.

Evangile-cannibaleL’Évangile cannibale de Fabien Clavel – Éditions ActuSF, janvier 2014

 

 

L’Opéra de Shaya

Éditeur attitré de Sylvie Lainé, ActuSF nous propose un nouveau recueil de cet auteur que je découvre par la même occasion. J’avoue avoir entendu beaucoup de bien des écrits de la dame, mais le fandom est parfois (souvent) un tantinet complaisant…
Faisant abstraction de mes préjugés, j’ai finalement sauté le pas comme on dit et je n’en suis pas mécontent, même si certains détails m’ont agacé.

Quatre textes sont inscrits au sommaire de L’Opéra de Shaya, dont deux inédits. D’emblée, je n’hésite pas à clamer ma préférence pour « Un amour de sable » où Sylvie Lainé propose la rencontre avec une forme de vie radicalement différente. À partir d’un postulat pas évident à tenir, elle développe un court texte assez impressionnant sur l’impossibilité à communiquer, voire à appréhender l’autre sans le détruire. D’aucuns jugeront la chute de cette nouvelle glaçante, voire cruelle. Elle m’apparaît tout simplement naturelle, du moins au regard du mode de fonctionnement de l’espèce extra-terrestre imaginée ici.
Le second inédit du recueil flirte avec la novella. « L’Opéra de Shaya » repose sur une idée très forte. So-Ann est née dans l’espace et cherche un point d’ancrage terrestre où s’établir. Mais, parmi la poignée de mondes colonisés par les humains, elle n’arrive pas à trouver une planète à sa convenance. Peut-être la solution à son problème se trouve-t-elle sur Shaya où faune, flore et habitants s’adaptent par empathie au visiteur en échange de son ADN.
Ne tergiversons pas, j’ai été ébloui par la richesse et l’étrangeté de l’écosystème de Shaya. La progression dramatique ne ménage guère de temps morts, même si on devine le dénouement très rapidement. Et pourtant, je suis déçu. La faute à un narrateur d’une nunucherie à proprement parlé horripilante.
L’argument de « Grenade dans le ciel » repose sur une idée similaire à celle de L’arbre à rêves de James Morrow. Une sorte d’astéroïde attrape-rêves, y sert de fil directeur. Et pourtant, le sujet n’est qu’effleuré. Propos convenu, rythme mollasson, je passe sur cette nouvelle qui me semble complètement anecdotique.
Reste « Petits arrangements intra-galactiques ». Avec ce texte, on change de registre abordant une certaine forme d’humour décalé. Cette histoire de naufrage et de survie via le mimétisme et la symbiose apparaît tout à fait sympathique. Sans prétention, elle atteint son objectif : amuser le lecteur.

Dans la préface, Jean-Marc Ligny évoque les thèmes abordés par Sylvie Lainé dans ses nouvelles. L’autre mais surtout nous-même, humain limité par nos sens et préjugés, figurent au cœur de ses préoccupations. Je le rejoins sur ces points me permettant de faire un parallèle entre l’auteure et Ursula Le Guin, du moins pour l’ambiguïté du propos et les qualités de plume. Je me joins aussi aux laudateurs de la dame. Elle est une excellente nouvelliste dont je vais m’empresser d’acquérir les autres recueils.

opera-de-shayaL’Opéra de Shaya de Sylvie Lainé – Éditions ActuSF, avril 2014

Futurs carcéraux à gogos

Cet article est paru dans le numéro 8 de L’Indic, revue très recommandable concoctée par l’association Fondu au Noir. N’hésitez pas à vous abonner ici. Bien entendu, il n’a pas la prétention d’être exhaustif, ne cherchant qu’à fournir des pistes. Au passage, je suis preneur de toute suggestion de lecture me permettant de creuser le sujet.

Souvent meilleur des mondes, la Science-fiction abonde également en dystopies se révélant comme autant d’avertissements adressés au présent. Toutefois, plus qu’une question de contexte, le genre se révèle une question d’état d’esprit, celui impulsé par les préoccupations du moment. Vision d’avenir radieux ou extrapolation répressive, ailleurs et demain prolongent les réflexions du présent, recyclant les thèmes d’actualité, les peurs et les espoirs, cherchant à apercevoir par-dessus les épaules d’une humanité enferrée dans ses routines, de quoi sera fait l’avenir. En somme, la SF s’efforce d’ouvrir les possibles au lieu de les enclore. Le contraire de la prison.

Prison : l’enfermement.

Cellule ultra sécurisée, quartier de haute sécurité futuriste, les technosciences abondent en opportunités pour mettre hors d’état de nuire le délinquant menaçant, le fauteur de trouble ou l’opposant politique. Grand pourvoyeur d’intrigues policières, le cinéma a déjà mis en scène tout cela. Condamnés cryogénisés (Cf Demolition Man) ou confinés dans une prison inexpugnable (Fortress), l’essentiel n’est finalement pas la réclusion mais le moyen d’y échapper.

BlueAvec Blue de Joël Houssin, on ne sait si la Cité est une prison. Pourtant, à l’instar de New York 1997 de John Carpenter, les clans y vivant reclus, sous la garde vigilante de légions de Néons – des créatures énigmatiques dont on ne saura pas grand chose au final –, en guerre perpétuelle les uns contre les autres, nourrissent l’obsession de passer le mur. Celui enserrant la Cité. Linéaire, jalonné d’explosions de violence, de coups de théâtre, Blue ne fait pas dans la dentelle. Joël Houssin envoie valdinguer les affèteries du beau style. Il convoque le meilleur du roman populaire en nous livrant un récit à lire à tombeau ouvert et ne retient rien, ni les coups, ni les trahisons, ni les tueries, ni son imagination. La Cité sous son nuage de cendres grises est dantesque. Les personnages ont l’air de caricatures ricanantes, comme issus d’un tableau de Jérôme Bosch ou d’un comics de Frank Miller. Ils ne manifestent aucun état d’âme, agissent en fonction de leurs intérêts propres, se foutant comme d’une guigne de la morale et des autres idioties humanistes. Et on se réjouit de l’efficacité d’un roman idéal pour se défouler, entre deux lectures plus exigeantes.

Annees-fleauxUn peu borderline par rapport au thème de ce numéro de l’Indic, on ne résiste cependant pas à parler de « Chroniques de l’Âge du Fléau » de Norman Spinrad, grand auteur américain dont on recommande par ailleurs la lecture des romans. Cette novella, figurant au sommaire du recueil Les Années Fléau, nous dépeint sur un mode choral un monde en proie au fléau, une pandémie ravalant le SIDA au rang de rhume bénin. Le récit se focalise aux États-Unis où les victimes sont recensées, encartées, contraintes de choisir entre l’enfermement dans des zones de quarantaine et l’engagement dans la Légion étrangère américaine, histoire de semer la pagaille ailleurs. L’occasion pour Norman Spinrad d’exposer les vieux démons américains : ségrégation, impérialisme et fondamentalisme chrétien. Avec la verve et le goût pour la satire sociale que les amateurs lui connaissent.

Prison : l’exil

Mettre à l’écart de la communauté le criminel est une pratique vieille comme le monde. Quels que soient les motifs de son exil, il vaut mieux éloigner le réfractaire afin d’éviter qu’il ne contamine ou ne fasse du tort à ses concitoyens.

deportes_cambrienAvec Les déportés du Cambrien, Robert Silverberg imagine une mise à l’écart radicale pour les agitateurs politiques : l’exil dans le passé, un milliard d’années avant l’Histoire, à une époque où le trilobite s’impose comme l’être vivant le plus évolué. De quoi refroidir toute velléité d’évasion, le voyage étant à sens unique.

Même si Les déportés du Cambrien est un texte mineur dans l’œuvre de l’auteur américain, le roman a le mérite de proposer un mode d’exil original. Une fois posé le cadre, l’histoire suit pas à pas le quotidien des condamnés contraints de s’auto-gérer. Une expérience mise en œuvre non sans difficultés tant le gouffre entre la théorie politique et la pratique paraissant difficile à combler. On peut voir ainsi dans ce roman une satire voilée des utopies de gauche nées autour de 1968.

heinlein-revolte-luneOn ne présente plus Robert A. Heinlein, chantre d’une SF américaine classique, dont l’œuvre a marqué le genre des années 1950 jusqu’au début de la décennie 1980. Un auteur ayant pris un malin plaisir à brouiller les pistes, résistant à tout effort trop strict de catégorisation, et respectant tout au long de sa carrière un seul credo : le primat de la liberté – de penser et d’entreprendre – sur toute autre valeur. Qu’on nous permette de classer Révolte sur la Lune parmi les meilleurs titres de Heinlein. Assertion personnelle non négociable. Ce roman à la coloration libertarienne prend place dans la colonie lunaire. Un établissement pénitencier y a vu jour, servant de lieu de détention aux agitateurs politiques indésirables sur Terre et à leurs enfants nés sur le sol lunaire. Métaphore à peine voilée des modes de colonisation forcée en Australie, Nouvelle-Calédonie… Évidemment la révolte gronde. Les colons s’insurgent contre l’exploitation dont ils sont les victimes. Ne manque plus que des leaders pour mener la révolution et un coup de pouce de leur gardien cybernétique. Fable sociale et politique, Révolte sur la Lune brille également par le pragmatisme et l’ironie de son ton. Bien qu’écrit en 1967, les réflexions sur l’autogestion et la liberté restent plus que jamais d’actualité.

Prison : la rééducation

Racheter son erreur, réparer ses torts. Dans un souci de rédemption puisant son origine dans la religion ou plus prosaïquement dans les théories sociales de correction des déviances, la société vise à rééduquer le délinquant. Manière d’échapper à ces méthodes barbares : peine de mort et réclusion. Inhibiteurs de pulsions, effacement de la mémoire, conditionnement de la personnalité, la SF ne manque pas de méthodes plus conformes au progrès.

orange_mecaniqueL’Orange mécanique multiplie les grilles de lecture mais Anthony Burgess reconnaît lui-même avoir voulu faire œuvre de moraliste. Lorsque Alex, le héros du roman, est emprisonné, après une longue série d’agressions, on lui propose une méthode inédite de rééducation : le traitement Ludovico. La cure s’apparente à une sorte de conditionnement pavlovien. On injecte au patient une drogue amplifiant ses réactions sensorielles, puis on le contraint à regarder des scènes de guerre, de viols et de meurtre, en écoutant les compositions de Beethoven, artiste qu’il adore. Conjugué à la drogue, la cruauté du spectacle lui inspire un malaise se muant en dégoût viscéral. Alex ne supporte désormais plus ni la violence, ni Beethoven. Il peut être rendu à la société où il devient une victime.
Stanley Kubrick sort Alex de cette mauvaise passe par une pirouette, laissant entendre que le Mal est inhérent à l’espèce humaine. Le dénouement du roman de Burgess est tout autre. En privant Alex de son libre-arbitre, la société lui retire en fait son humanité.

Prison : les travaux forcés

Force de travail, taillable et corvéable à merci, le prisonnier doit payer de sa personne. Il s’agit moins ici de le rééduquer que de le punir. Une punition à la mesure de son forfait, utile à la société.

« Les crabes de Vénus regardent le ciel » témoigne de cette volonté punitive. Dans le futur, les criminels sont concédés à un consortium minier. Promptement expédiés sur Vénus, ils servent de main-d’œuvre dans un bagne. Le corps plongé en animation suspendue, les fonctions cérébrales réanimées de manière à téléguider des robots d’extraction, les convicts purgent leur peine – dans tous les sens du terme – dans un véritable enfer. Aucune communication possible entre les détenus, les quotas du consortium à respecter et un kapo tentaculaire en guise de gardien, il est bien difficile pour eux de nourrir quelque espoir. Et pourtant, dans les rares moments de repos, ils scrutent le ciel. Au-delà des nuages, vers le lieu où orbite le siège de leur conscience. Cette nouvelle figurant au sommaire du recueil Corps-machines & rêves d’anges d’Alain Bergeron se révèle au final très émouvant.

jardins_virtuelsToujours dans le domaine francophone mais hexagonal cette fois-ci, « Dedans Dehors », nouvelle de Sylvie Denis appartenant au recueil Jardins virtuels, met en place un futur balkanisé où les gouvernements nationaux se réduisent à la portion congrue. Bien entendu, n’ayant plus les moyens d’entretenir des prisons, les pouvoirs publics préfèrent passer des contrats avec les transcorporations qui utilisent les délinquants à leur guise. Par exemple, encapsulés dans un cercueil de verre, le cerveau gavé d’inhibiteurs, asservi à la gestion des automatismes d’un bâtiment. Une domotique moins couteuse qu’une IA. Rattachée à la génération des Jean-Jacques Girardot, Jean-Jacques Nguyen et Claude Ecken, Sylvie Denis écrit une SF spéculative, où l’humain prime sur le système, sans chercher à diaboliser les technosciences et sans tomber dans l’angélisme.

Camp_concentrationÀ la marge de la légalité, le détenu peut servir de cobaye pour des expérimentations secrètes. C’est le point de départ du roman de Thomas Disch, Camp de concentration. Parce qu’il est un observateur lucide de ses semblables, doté de surcroît d’une culture raffinée, Louie Sacchetti est transféré de la prison où il purge une peine pour objection de conscience au Camp Archimède, un centre secret géré par l’armée où l’on mène des expériences pour le compte d’entreprises privées. On lui inocule un tréponème puisé dans le vivier des maladies vénériennes. Un virus décuplant son intelligence mais mortel à court terme. Paru à l’origine dans New Worlds, revue britannique comptant aussi à son sommaire Brian Aldiss, James G. Ballard, John Sladek, Camp de concentration allie l’exigence stylistique et le vertige science-fictif. Délaissant les gadgets du genre, l’intrigue adopte le point de vue de Louie. Écrit à la manière d’un journal intime, le roman de Thomas Disch se focalise sur les espaces intérieurs. L’auteur sonde les circonvolutions de la psyché d’un individu, livrant quelques belles pages empreintes de poésie, et pimentant l’ensemble d’une ironie amère.

Éliminer la prison

Mais le désir utopique de toute société n’est-il pas de supprimer le crime et par voie de conséquence la prison ? Rares sont les romans de SF se coltinant avec ce désir, du moins sans dénoncer l’ambiguïté de l’utopie.

balle_neantAu-delà de l’hommage à Léo Malet et au roman populaire, le cycle des Futurs mystères de Paris écrit par Roland C. Wagner dévoile un avenir proche (de plus en plus proche au moment où nous écrivons) où le crime semble définitivement éradiqué. Le cycle s’intègre à une histoire du futur, un méta-roman convoquant intertextualité, métaphysique, technosciences et dont on perçoit seulement la cohérence en lisant l’ensemble de l’œuvre de l’auteur français. Pour résumer et en se cantonnant aux Futurs mystères de Paris, Wagner imagine que l’humanité s’est assagie suite au psycataclysme de la Grande Terreur Primitive. Les Archétypes de la Psychosphère s’incarnent dans la réalité consensuelle aboutissant à l’Armageddon. Une apocalypse dont heureusement le Bien sort vainqueur contribuant à retirer du cœur des hommes leur tendance à la sauvagerie, à la méchanceté et au Mal. En conséquence, les crimes deviennent rares et la guerre impensable. Les gens s’entraident, oubliant l’esprit de compétition, ils s’organisent par affinités – les tribus – au lieu de soutenir les États nationaux. Est-ce la fin de l’Histoire ? En dépit des réserves que l’on peut émettre sur le cycle, force est de reconnaître que Roland C. Wagner propose une SF optimiste, dépourvue de prison.

Mad Dogs

L’argument de départ de Mad Dogs tient sur un ticket de métro. Cinq individus, quatre hommes et une femme, s’évadent de l’asile psychiatrique où ils sont internés après avoir découvert le cadavre de leur psychiatre. N’ayant pas envie de porter un chapeau qui les travaille déjà beaucoup, ils volent une voiture et tracent la route vers Washington où ils espèrent trouver l’explication de ce meurtre.
Et voilà le lecteur embarqué dans un road novel de près de 450 pages, sans temps mort, ponctué de rencontres improbables et d’explosions, en compagnie d’une poignée de cinglés au passif dramatique.
Présenté ainsi, le roman de James Grady ne se distingue pas beaucoup du thriller moyen. Mais, en vieux routier de l’écriture, l’auteur a le sens du suspense, de la formule qui tue, et sait marier l’action et l’introspection avec talent et une bonne dose de roublardise.

« Son regard balaya les cinq étrangers assis au fond du car. Ce type aux cheveux blancs sans petits-enfants. Cette Noire qui ne ressemblait à la sœur d’aucun de ces types. Le grassouillet avec ses grosses lunettes, perché au bord de son siège. Le rebelle rock’n’roll aux cheveux hirsutes qu’aucune grand-mère ne voudrait voir débarquer chez elle avec sa fille chérie. Le poète avec des fantômes dans les yeux et un sourire à cran d’arrêt.
Vous êtes un drôle de famille.
Comme tout le monde, répondis-je. »

On ne s’ennuie pas un seul instant en lisant le périple rocambolesque de nos cinq fous en cavale. Poursuivis à la fois par les tueurs de la CIA et leur passé, ils déploient tous leur savoir faire pour atteindre leur destination, espérant ainsi sauver une nouvelle fois leur pays. Car, s’ils ont été internés dans cet asile secret au fin fond du Maine, ce n’est pas pour quelque crime banal imprimé à la une d’un journal local. Ce traitement s’avère leur récompense pour les services rendus en tant qu’agent de terrain. Engagés dans la guerre secrète se jouant dans les coulisses de l’Histoire, ils sont les héros sans médaille des États-Unis. Des tueurs à la psyché cabossée, perclus de névroses tenues en laisse et de traumatismes rendus inoffensifs grâce à une camisole chimique. Des espions, retirés du service actif, qui savent que la vérité est la base d’un bon mensonge.

« Que deviendra l’Amérique quand le département de la sécurité intérieure aura enfin réussi à installer des caméras de surveillance dans tout le pays ?
Les psys comme le Dr F. devront redéfinir la paranoïa. »

Irrésistiblement drôle, Mad Dogs joue aussi sur la fibre du désenchantement. Celle de l’observateur obligé de vivre dans le monde tel qu’il va mal et qui doit se contenter d’un brin d’ironie pour le supporter. Vic, Eric, Russell, Zane et Hailey, nos cinq joyeux lurons sont fous et dangereux. Soldats perdus d’une Agence qui leur a fait accomplir ses sales besognes dans les points chauds de la planète, ils portent pourtant un regard sensé sur l’Amérique. Un point de vue évoquant celui du personnage de La mort aura tes yeux de James Sallis. Mais ici, Grady opte pour une narration beaucoup moins contemplative. Le rythme s’apparente en effet à celui d’une course contre la montre. Course contre les tueurs de l’Agence lancés à leur trousse. Course contre la folie qui menace de les rendre inopérants lorsque leurs médicaments cesseront d’agir.

« Vous fuyez devant des ennemis invisibles. Bienvenue dans le monde réel. »

Même si le dénouement apparaît un tantinet convenu, voire faiblard, avec Mad Dogs, James Grady accouche d’un honorable roman de l’après 11 septembre. Le roman d’une Amérique paranoïaque où la menace se trouve nulle part et partout à la fois. Un pays où les gens sensés sont internés pendant que les fous veillent aux destinées de la nation.

mad-dogs-james-gradyMad Dogs (Mad Dogs, 2006) de James Grady – Réédition poche Rivages/Noir, 2013 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Jean Esch)

Les dychroniques (1)

Petit rappel. Les éventuels curieux trouveront un autre article sur la collection dyschroniques ici. Le focus ci-dessous est issu de mon précédent blog.

On reproche souvent à la SF sa fausseté et sa naïveté. Sa propension à imaginer des futurs chimériques ne débouchant sur rien de concret. Aux dires de ses détracteurs, le genre tiendrait plus d’une caverne d’Ali Baba dont le sésame ne serait accessible qu’autour de 14 ans.
C’est aller vite en besogne et oublier que la SF lorgne également du côté de la caverne de Platon, accomplissant ce crime de lèse-pensée qui consiste à relier intelligence et plaisir, réflexion et divertissement, émotion et dépaysement. Et parfois, même si le genre n’a pas vocation à prédire l’avenir, il arrive que celui-ci fasse mouche avec ses spéculations, preuve s’il en est, que la SF reflète son époque, poussant cet ancrage dans le présent jusqu’à en percevoir et en anticiper ses évolutions.

Sous le barbarisme « Dyschroniques », les éditions du Passager clandestin, jusque-là cantonnée à la critique sociale (autrement dit : des gauchistes !), inaugurent une collection d’œuvres de fiction. Des classiques de la SF, dont le propos se révèle a posteriori visionnaire. Dirigée par Philippe Lécuyer, la collection démontre que les dérives d’hier sont désormais notre quotidien.
Certains trouveront peut-être les ouvrages un peu chers. L’initiative mérite toutefois d’être salué puisqu’elle remet à disposition du lectorat des textes parfois difficiles à trouver. Elle bénéficie d’une présentation sobre que je trouve personnellement adaptée, et de l’ajout d’un para-texte permettant de contextualiser l’œuvre et son auteur avec leur époque. À ceci s’ajoutent quelques suggestions de films et de livres. Bref, du nanan pour les curieux, ce que je suis, ça tombe bien…
La première recension comporte quatre textes : deux nouvelles et deux novellas. Un Logique nommé Joe de Murray Leinster (dernière parution dans l’anthologie Demain les puces), La Tour des damnés de Brian Aldiss (dernière parution dans l’anthologie Histoires écologiques), Le testament d’un enfant mort de Philippe Curval (dernière parution dans le recueil L’Homme qui s’arrêta) et Le Mercenaire de Mack Reynolds (dernière parution dans le recueil Le livre d’Or de la science-fiction : La 3e guerre mondiale n’aura pas lieu). À n’en pas douter une sélection visant large et bien peu de déchet, on va le voir.

Logique_JoeCommençons par le texte le plus ancien, 1946 excusez du peu. Un Logique nommé Joe est un classique de la SF, du genre incontournable. Si l’histoire peut paraître datée et simplette, on ne s’étendra pas dessus d’ailleurs, la clairvoyance de l’auteur reste quant à elle troublante.
Avec le réservoir (autrement dit un serveur) et les logiques (des ordinateurs individuels interconnectés), Murray Leinster anticipe ni plus ni moins le réseau informatique global actuel. Il en anticipe aussi l’aspect incontrôlable et devine l’importance qu’il a pris dans la vie sociale et économique, au point de le devenir indispensable.

« Fermer le réservoir ? Réplique-t-il avec tristesse. Il ne vous est pas venu à l’idée, mon vieux, que le réservoir fait tous les comptes de toutes les entreprises depuis des années ? Il distribue quatre-vingt-quatorze pour cent de tous les programmes télé, tous les bulletins météo, les horaires d’avion, les ventes spéciales, les offres d’emploi et les informations ; ils s’occupe des contacts téléphoniques personnels et enregistre les conversations d’affaires et les contrats, voyons, mon vieux ! Les logiques ont changé la civilisation. Les logiques sont la civilisation. Si nous éteignons les logiques, nous reviendrons à un type de civilisation que nous sommes incapables de gérer ! »

Le-Mercenaire-Mack-ReynoldsDix-sept ans plus tard, Mack Reynolds nous propose un futur lui-aussi daté, mais toujours pertinent dans sa dimension prospective. Si l’on fait abstraction du contexte de Guerre froide, Le Mercenaire évoque en effet certains aspects de notre quotidien actuel.
Comme tout le monde le sait, l’Amérique représente le camp de la démocratie. Le capitaliste populaire garantit la pérennité de son mode de vie envié partout sur la Terre. Chaque citoyen détient des actions dans les entreprises lui garantissant un minimum vital d’autant plus nécessaire que l’automatisation de l’industrie a rendu le travail superflu.
Fin de l’Histoire ? On pourrait le croire, sauf que le système est biaisé. Des barrières sociales infranchissables séparent la population en trois catégories : les Inférieurs, les Intermédiaires et les Supérieurs. Chacun naît dans sa classe, voire sa caste, et n’en sort que très rarement. De toute façon, tout le monde est convaincu de vivre en Utopia, jouissant à satiété d’un toit, de nourriture, de distractions et de tranquillisants. Panem et circenses.
Pourtant la société n’est pas complètement figée. Pour les mécontents, insatisfaits de leur condition, l’ascenseur social n’est pas en panne. Il peuvent gravir les échelons vers le sommet en suivant la voie cléricale ou la voie militaire. Dans les strictes limites fixées par les Supérieurs…
Joseph Mauser appartient à cette catégorie de fâcheux. Il réprouve le système, mais pas au point de le rejeter. Il préfère mettre à profit les nombreuses guerres entre entreprises privées pour s’élever dans la société. En fait, Mauser est un ambitieux refusant qu’on lui rogne sa liberté et sa faculté d’agir.
Avec Le Mercenaire, Mack Reynolds anticipe la société du spectacle dans une forme modernisée des jeux du cirque. Privée des moyens de se libérer (éducation et travail), la population est confinée dans une sorte de totalitarisme mou où les seules distractions sont fournies par des guerres codifiées. Pas d’armes inventées au-delà de l’année 1910, histoire de ne pas braquer l’adversaire soviétique, dans ces affrontements sanglants censés régler les conflits d’intérêt entre sociétés privées.
On le voit, ce futur un tantinet absurde revêt une dimension critique importante, rappelant la volonté très américaine de libérer l’initiative individuelle et illustrant par là même la figure rhétorique du self made man.
Par ailleurs, Reynolds se mue en historien populaire, prolongeant dans l’avenir l’histoire des luttes économiques et sociales aux États-Unis. Il met ainsi en évidence la part dominante de la violence dans ces oppositions, anticipant juste un peu sur leur évolution. Sur ce point, on peut faire un parallèle avec Valerio Evangelisti (je pense ici à Anthracite et à Nous ne somme rien soyons tout !). Quoi de plus naturel quand on sait que Reynolds a été élevé dans le socialisme, son père ayant même été le candidat à la présidence du Socialist Labour Party.

« Le recours aux affrontements pour régler les disputes entre sociétés concurrentes, entre sociétés et syndicats ou entre syndicats avait lentement évolué. Lentement, mais sûrement. Au début de la première révolution industrielle, ces conflits avaient souvent dégénéré, atteignant parfois la violence de conflits de faible envergure. (…)
Au début du XXesiècle, les syndicats étaient devenus une des plus grandes forces du pays. Un nombre considérable de conflits industriels dégénéraient en véritables batailles, qui opposaient ces syndicats sur les statuts juridiques de leurs membres. Les bagarres sur les quais, les assassinats, les représailles exécutées par des casseurs armés et menés par des gangsters, le sabotage industriel, les rixes entre les grévistes et jaunes étaient monnaie courante. »

Tour-des-damnes-Brian-AldissOn ne change pas de décennie avec le texte de Brian Aldiss. La Tour des Damnés relève de cette spéculative fiction britannique davantage préoccupée par les sciences humaines que par les visions vertigineuses du space opera.
Cette novella reflète bien son époque puisqu’il y est question de surpopulation. Bien sûr, sur un sujet similaire, on pense tout de suite à Tous à Zanzibar de John Brunner, aux Monades urbaines de Robert Silverberg, voire à IGH de Ballard.
Si La Tour des Damnés partage une parenté incontestable avec ces romans, l’ampleur spéculative y paraît plus étriquée. La faute au format, sans doute, la faute aussi à un argument science-fictif quelque peu nébuleux. Toutefois, les réflexions suscitées par Aldiss n’en demeurent pas moins stimulantes.
À la mi-temps des années 1970, sous l’égide du CERGAFD (le Centre Ethnographique de Recherches sur les Groupes à Forte Densité), 1500 couples ont été enfermés dans une tour en Inde. Vingt cinq plus tard, la population atteint le chiffre de 75 000. Sans contact avec l’extérieur, si ce n’est pour leur alimentation et la diffusion en circuit fermé des mêmes programmes télés, le monde de la tour a évolué, développant des facultés étonnantes, comme cet étrange accélération de la croissance (la puberté et la vieillesse se produisant bien plus tôt) ou ces pouvoirs extra-sensoriels. Les habitants se sont forgés une identité forte, redoutant et refusant les interventions de l’extérieur, toutes considérées comme des agressions intolérables. À tel point que les observateurs infiltrés dans la tour sont impitoyablement exécutés.
Thomas Dixit, un des observateurs de ce microcosme vertical, s’insurge contre des conditions de vie qu’il juge dégradantes. Promiscuité, esclavage, conflits sanglants, il se porte volontaire pour infiltrer les lieux, convaincu de rassembler suffisamment d’éléments pour les faire fermer. À ses yeux, cette expérience de sociologie appliquée n’a que trop duré.
On ne peut s’empêcher de percevoir dans La Tour des Damnés comme un écho des rapports Nord-Sud. Entre le microcosme tiers-mondiste de la tour et le monde d’abondance des observateurs se développe un sentiment de répulsion et de fascination. Pour Thomas Dixit, il ne fait aucun doute que l’expérience doit cesser. Le bonhomme incarne la bonne conscience occidentale, oscillant entre devoir d’ingérence et respect d’autrui, entre hypocrisie et humanisme. Une position dont il goûtera les fruits amers de la désillusion.

« Dites-leur, dites à tous ceux qui passent leur temps à nous espionner et à se mêler de nos affaires, que nous sommes les maîtres de notre destin. Nous savons ce que l’avenir nous réserve et quels sont les problèmes qui résulteront de l’accroissement du nombre des jeunes. Mais nous faisons confiance à notre prochaine génération. Nous savons qu’ils possèderont de nouveaux talents que nous n’avons pas, de même que nous possédons des talents que nos pères ne connaissaient pas. »

testament_enfantLe Testament d’un enfant mort se distingue des textes précédents par son registre intimiste et une langue très travaillée. L’aspect politique apparaît beaucoup plus lointain, pour ne pas dire anecdotique. Philippe Curval semble surtout se livrer ici à un exercice de style.
Certes, on peut lire dans la vie accélérée des nouveau-nés « hypermaturés » comme une métaphore de l’évolution des sociétés humaines. Accélération de l’Histoire (elle s’écrit dit-on en direct), course effrénée à la consommation de biens, d’amis et de conjoints, on connaît le refrain. Une urgence permanente, proclamée jusque dans l’intimité.
Malheureusement, je ne peux m’empêcher de trouver Le Testament d’un enfant mort froid, dépourvu de toute empathie. L’exemple parfait d’un texte trop maîtrisé, poli, lissé, jusqu’à l’atonie.

« En chiant vingt fois plus vite qu’il n’est possible, j’userai mon organisme jusqu’à ce qu’il cède, je brûlerai mon corps jusqu’à la dernière molécule, je mordrai mon pouce jusqu’au sang afin qu’il meure avec moi dans orgie de sympathie avec ma bouche. Je démontrerai au monde que je peux le nier. Ce qu’en revanche, il ne peut pas faire à mon égard. »

Au final, même si l’on peut juger la collection chère, les « Dyschroniques » offre un panorama de classiques de la SF diablement convaincants, pour ne pas dire indispensables.
Un aperçu sur le genre, loin des clichés habituels qu’il véhicule.

– Un Logique nommé Joe [A Logic named Joe, 1946] de Murray Leinster – Le passager clandestin, collection « dyschroniques », février 2013
– Le Mercenaire [Mercenary, 1962] de Mack Reynolds – Le passager clandestin, collection « dyschroniques », février 2013
La Tour des Damnés [Total Environment, 1968] de Brian Aldiss – Le passager clandestin, collection « dyschroniques », janvier 2013
Le Testament d’un enfant mort de Philippe Curval – Le passager clandestin, collection « dyschroniques », janvier 2013

La Fille automate

XXIe siècle. Dans un monde ravagé par l’épuisement du pétrole, le réchauffement climatique et les pestes génétiques – rouille vésiculeuse, cibiscoses, charançons transpiratés et autres joyeusetés –, le royaume de Thaïlande demeure un havre de stabilité dans une Asie en déroute.
Mais tout cela n’a été possible qu’au prix du sacrifice des terres contaminées, de leurs habitants et d’un contrôle draconien des frontières. À la pointe du combat, les Chemises blanches se montrent d’une intransigeance redoutable dans leur traque des produits importés illégalement. Malheur au contrevenant ou au migrant si sa licence ou sa yellow card n’est pas à jour. Malheur à lui s’il n’est pas en mesure de prouver sa bonne foi ou d’adoucir la punition par un bakchich salutaire.
Pendant que l’immense majorité de la population survit dans le cloaque assiégé par la mer qu’est devenu Bangkok, certains dirigeants thaïs envisagent de rétablir la liberté du commerce, ouvrant le pays aux convoitises des compagnies caloriques. Car le Royaume abrite un trésor. Une réserve précieuse de semences inviolées. Un creuset pour élaborer de nouvelles souches végétales en mesure de résister aux mutations des pestes génétiques.

Bienvenu dans le meilleur des mondes. Avec La Fille automate, Paolo Bacigalupi accouche d’un futur terriblement crédible, tant les maux qu’il décrit nous semble déjà familiers. Porté en germe dans les nouvelles « L’homme calorique » et le « Yellow Card » (disponibles dans le recueil La Fille-Flûte), le roman développe les pistes esquissées à cette occasion.
D’un point de vue moral, l’avenir imaginé par l’auteur américain n’apparaît ni pire, ni meilleur que le nôtre. Il ne fait qu’en poursuivre la logique libérale et capitaliste. Le repli économique provoqué par l’épuisement du pétrole entraîne un chaos provisoire dont les effets ne sont perceptibles qu’au plus bas de l’échelle. L’allongement de la durée des déplacements, les famines et guerres résultant de la contraction du marché redistribuent les cartes géopolitiques au détriment du monde émergent. Ce bouleversement global favorise une nouvelle domination, une néo-colonisation profitant aux compagnies caloriques occidentales, à leurs semences brevetées et leurs chimères transgéniques.
À l’instar de Ian McDonald, Paolo Bacigalupi ne craint pas d’aborder le futur par le truchement d’un pays se situant en-dehors de la civilisation judéo-chrétienne. Il prend son temps pour nous immerger dans ce décor étranger, dévoilant par une foule de petits détails, sa vision du futur. La Fille automate fourmille d’une multitude d’idées contribuant à donner de la substance à la cité foisonnante de Bangkok. Le roman n’en paraît que plus cohérent et authentique.
Si la dimension prospective prévaut, cela ne se fait pas au détriment de l’aspect humain. En fait, l’histoire se déploie à hauteur d’homme, trois destins individuels, trois points de vue qui nous permettent de saisir, à leur modeste échelle, les changements irrémédiables impactant le monde. Hock Seng appartient à la diaspora chinoise ayant essaimé dans toute l’Asie pendant la période de l’Expansion. Chassé de Malaisie par une révolution islamiste, il a tout perdu : sa famille, son entreprise, son avenir. Depuis, le vieil homme vit en sursis à Bangkok, yellow card à la merci des Chemises blanches. Il n’a pourtant pas perdu tout espoir. Les plans secrets d’une pile révolutionnaire, conservés dans le coffre-fort de son employeur, arrivent à point nommé pour rebâtir sa fortune.
Anderson Lake est toléré dans le Royaume. Il bénéficie du statut de farang auprès des Thaïs. Autant dire un étranger, un de ces démons blancs qui, par le passé, ont exploité le pays, méprisant la fierté et l’Histoire de ses habitants. Lake dirige une entreprise à Bangkok. Celle qui emploie Hock Seng. Mais en réalité, il sous-marine pour le compte d’une grande compagnie calorique, à la recherche d’un moyen pour accéder à la réserve secrète de semences du Royaume.
Kanya évolue dans l’ombre de son mentor Jaidee, le Tigre incorruptible des Chemises blanches. Leur mission a longtemps été vitale pour la Thaïlande. Mais depuis peu, ils sentent que la discipline se relâche. L’écologie et la chasse aux produits transpiratés ne semblent plus prioritaires. L’économie et le commerce prennent peu-à-peu le dessus. Les deux fonctionnaires perçoivent que les frontières bougent dans les sphères du pouvoir. Mais pour Jaidee, protéger le Royaume importe plus que tout. Alors, tant pis s’il piétine les plate-bandes d’un supérieur. De toute façon, sa popularité le rend intouchable. Un avis que Kanya semble partager, même si elle cache un double-jeu…
À la charnière de ces trois trajectoires personnelles, Emiko incarne l’avenir, celle d’une post-humanité plus adaptée aux bouleversements de la biosphère. Abandonnée par son propriétaire japonais, considérée comme quantité négligeable, voire comme une abomination génétique par les patrouilles de Chemises blanches, il lui faut survivre dans Bangkok, en attendant le moment propice pour gagner sa liberté. Il lui faut supporter les sévices du public de la boîte où elle se donne en spectacle secrètement pour le compte du farang qui l’a recueillie.

Avec ce premier roman, Paolo Bacigalupi réalise un coup de maître, excusez du peu. La crédibilité du décor et des personnages concourent pour beaucoup dans cette réussite. Le rythme et l’intrigue à plusieurs échelles n’y sont pas étrangers non plus. Mais par-dessus tout, La Fille automate se montre d’une grande justesse dans sa description du futur et d’une intelligence admirable dans ses spéculations, tant environnementales que géopolitiques.
Dommage que l’auteur se soit cantonné par la suite dans des romans pour la jeunesse.

la-fille-automateLa Fille automate (The Windup Girl, 2009) de Paolo Bacigalupi – Éditions Au Diable vauvert, février 2012, réédition J’ai lu, 2013 (Roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Sara Doke)

Nuigrave

Sur le point d’embarquer pour une mission en Egypte, Arthur Blond fait la désagréable expérience d’un contrôle de police inopiné. Comme la perspective d’un voyage aérien le rend toujours nerveux, il a utilisé un patch à la nicotine pour apaiser son angoisse. Mais sa qualité de fonctionnaire à l’OERP (l’Office Européen de Restitution Patrimoniale) ne le dispense pas de respecter la législation, en particulier celle proscrivant le tabagisme. Arthur ne partira donc pas en Égypte, du moins pas tout de suite…

Nuigrave commence à la manière d’un thriller d’espionnage, affichant tous les attributs de ce genre de récit : double-jeu des divers protagonistes, enquête jalonnée de quelques courses-poursuites, meurtres et enlèvements. Un thriller dont cadre et contexte auraient été légèrement décalés dans le futur. Rassurons immédiatement les éventuels lecteurs : le propos de Lorris Murail ne se cantonne heureusement pas à une énième transposition dans l’avenir des procédés éprouvés (et éprouvants) de l’espionnite aiguë. La critique sociale ne tarde pas à surgir, nous renvoyant à nos dérives contemporaines dans la plus pure tradition de la satire politique.

Les mésaventures d’Arthur Blond constituent le fil directeur d’un roman ne se limitant pas à une succession de péripéties, comme on le croit faussement au début. Son point de vue nous permet de décrypter progressivement les enjeux géopolitiques et sociétaux de cet avenir, interrogeant notre rapport présent au monde et à autrui. Sur ce point, le quotidien d’Arthur Blond poursuit la logique du nôtre. On y prône avec autant de zèle le culte de la sécurité, multipliant les entraves à la liberté pour le plus grand bien de tous. On y vénère l’éphémère, le faux, la vitesse, l’information volatile en pratiquant la versatilité comme ligne de vie. On s’y déleste de son Histoire, de sa culture, de sa mémoire contre davantage de sûreté et de confort.

« Nous vivons un Alzheimer social, m’affirma Melchior. Une perte de mémoire collective, une déculturation. Les peintres gribouillent, les musiciens émettent des bruits de moteur d’avion, les poètes éructent des borborygmes et des onomatopées. (…) Pas du tout. Nous avons besoin de nous libérer de notre passé, de notre vieille culture, pour retrouver le bon tempo, celui de la jeunesse. La civilisation nouvelle sera bâtie sur des décombres, comme toujours. »

Quid du « Sud » ? Il poursuit sa désagrégation générant son comptant de perdants. Et pendant que les nantis continuent de vivre dans leur prison dorée, des « jungles », fruit d’une immigration sans cesse renouvelée, zones ouvertes à tous les trafics, peuplées par une mosaïque de peuples apatrides et de religions sans attache, prolifèrent et prospèrent irrésistiblement. Plus loin, le Proche-Orient continue son processus de balkanisation, s’enfonçant dans le chaos et l’horreur jusqu’à nier son passé millénaire. Des raisons d’espérer ?

« Il y a des gens qui vous trahissent mais sur qui on peut toujours compter quand même. La vie est compliquée. »

Écrit dans un registre politiquement incorrect, Nuigrave ne néglige pas le facteur humain. Tiraillés entre leurs certitudes et leurs doutes, les personnages oscillent entre regrets et mélancolie. Peu à peu, par-delà la critique sociale, se dessine une réflexion sur la mémoire et la conscience. En renouant avec un amour de jeunesse, Arthur Blond entre en possession des deux derniers plants de coarcine, une plante amazonienne en voie de disparition, dont on tire le TTC : un dérivé permettant de ralentir le métabolisme. Un principe actif ne manquant pas d’attirer de nombreuses convoitises. Par ailleurs, la substance provoque une modification de la perception du temps, dilatant la mémoire et bouleversant son ordonnancement.

« La mémoire fait naître une infinité de possibles. »

Toutefois, Lorris Murail délaisse l’approche dickienne des univers gigognes pour celle plus classique du temps retrouvé, des souvenirs embellis par la nostalgie. Une thématique lorgnant davantage du côté de Proust.

« Peut-être la résurrection de l’âme après la mort est-elle un phénomène de mémoire ? »

Écrivain rare, au propos d’une grande intelligence et à la plume incontestablement élégante, Lorris Murail nous dresse un portrait désabusé des méfaits de l’humanité. Quelque part entre À l’Est de la vie de Brian Aldiss et Les Murailles de Jéricho d’Edward Whittemore, Nuigrave suscite à la fois l’émotion et le vertige.

NuigraveNuigrave de Lorris Murail – Éditions Robert Laffont, collection Ailleurs & Demain, novembre 2009 (réédition Livre de poche, mai 2013)

Ce qui n’est pas écrit

Séparé de son épouse Carmen, Carlos vient chercher son fils Jorge vendredi soir pour l’emmener en excursion dans la montagne. Après une période difficile pendant laquelle Carlos a été privé de la garde de sa progéniture, après la tentative de suicide de Jorge et le traumatisme en résultant, Carmen estime qu’il faut renouer les liens rompus. Car, si Carlos n’a pas été un bon mari, elle reconnaît qu’il s’efforce désormais d’être un bon père. Et malgré la bizarrerie de son comportement passé, elle est prête à lui redonner sa chance.
Carlos ne connaît pas bien ce fils. Mais, il sait déjà qu’il souhaite le soustraire à la coupe de sa femme, le temps du week-end, histoire d’en faire un homme. À quatorze ans, il est temps pour Jorge de s’affranchir des rondeurs de l’enfance et d’apprivoiser ce père lointain qui lui fait quand même un peu peur.
Avant de partir, Carlos laisse à Carmen le manuscrit d’un polar violent et outrancier qu’il souhaite proposer à un éditeur. Un livre dont le propos réveille l’angoisse de Carmen.

« Ça, c’est tout le problème avec la lecture, vous projetez sur le texte l’ombre de vos désirs ou de vos craintes, votre ombre à vous qui obscurcit la page jusqu’à ce que vous ne lisiez plus que ce que vous vous attendez à lire (…) »

Faux thriller et vrai roman gigogne, Ce qui n’est pas écrit interroge au moins autant le lecteur sur sa pratique que l’auteur sur l’acte de création littéraire. Sur une trame de roman psychologique, Rafael Reig met à nu les mécanismes du rapport unissant le lecteur et l’auteur.
À l’instar de la relation décalée qui s’instaure entre Carmen et Carlos, on cherche à comprendre où nous emmène l’auteur espagnol. Usant des codes du thriller, il joue avec nos attentes, tissant progressivement une intrigue maline et inattendue. Il nous manipule, floutant les contours de son récit. Il nous pousse dans nos retranchements, nous contraint à nous interroger sur notre faculté à interpréter un récit, à en combler les non-dits, à démasquer les faux semblants et à déchiffrer les sous-entendus de son auteur.
En rendant poreuse la frontière entre le roman et la fiction à l’intérieur de celui-ci, Rafael Reig interpelle le lecteur sur sa propre pratique. Il le pousse à prendre du recul, à jauger son propre regard, prenant conscience des présupposés qui guident son jugement. De même, il interroge l’écrivain dans sa technique, essayant d’éclaircir ce qui relève de la planification et ce qui ressort du hasard de l’écriture.

« ce qui est écrit est toujours plein de contradictions, de changements de ton, d’impasses, d’omissions alarmantes ou de détails inutiles : seule la foi en l’auteur résout le sens de la lecture, on ne peut lire qu’en croyant qu’il y a un auteur, quelqu’un qui se rend responsable.
L’auteur est dans le livre, pas dehors. C’est le livre qui, pour être lu, nous oblige à imaginer qu’il a un auteur. Nous inventons l’auteur comme nous inventons des dieux. »

La lecture apparaît comme le résultat d’une dualité, presque une histoire d’amour contrariée, où le lecteur autant que l’auteur jouent les rôles de démiurge. Le roman renvoie le lecteur à ses préoccupations pendant que l’auteur cherche à le manipuler à son insu.

« Ce qui effrayait le plus Carmen, c’était de se rendre compte qu’à ce moment-là tout dépendait de la volonté de l’auteur. La pierre était en équilibre et elle pouvait toujours d’un côté ou de l’autre. Dès qu’elle commencerait à tomber, il se produirait une avalanche imparable, mais l’auteur conservait encore le pouvoir : lui seul décidait vers quel côté il lançait la pierre. »

Par ailleurs, le roman de Rafael Reig prend une dimension vertigineuse lorsque l’on considère sa structure en gigogne. Au travers de l’histoire de Carmen, de Carlos et de Jorge, l’auteur espagnol semble affirmer qu’autrui reste un inconnu. La Grande Inconnue. Nul besoin de franchir les frontières, de sillonner les pays étrangers ou de s’aventurer dans d’autres mondes pour côtoyer les abîmes angoissants que recèle la psyché humaine. Il frappe à notre porte, évolue dans notre voisinage et parfois dort dans notre lit, mais qui peut affirmer connaître totalement l’autre ?

Au final, Ce qui n’est pas écrit suscite plus de tension par les problématiques qu’il soulève que par son rythme. Les adeptes du roman haletant pourront juger le résultat décevant. Personnellement, je considère que Rafael Reig atteint son objectif. Avec classe !

Ce-qui-nest-pas-ecritCe qui n’est pas écrit (Lo que no esta escrito, 2012) de Rafael Reig – Éditions Métailié/Noir, janvier 2014 (roman traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse)

Anti-Glace

1870. La perfide Albion domine le monde, entretenant en Europe un équilibre favorable à ses intérêts. Grâce à l’anti-glace, cette ressource miraculeuse tombée du ciel, elle a pris la tête de la Révolution industrielle, imposant sa suprématie dans les domaines technologique et commercial, non sans susciter la jalousie de ses voisins.
Alors que l’on s’apprête à inaugurer en Belgique la nouvelle réalisation de l’ingénierie britannique, un paquebot terrestre gigantesque, la Prusse et l’Empire français entrent en guerre, menaçant le statu quo établit après le congrès de Vienne. Confrontés au militarisme de Bismarck et au nationalisme français, les Britanniques doivent trancher entre les deux puissances continentales. Ils disposent pour cela d’une arme de destruction massive : l’obus à anti-glace.
Entretemps, par un malheureux concours de circonstances, le jeune diplomate Ned Vicars se trouve plongé au cœur du conflit. Enlevé par un terroriste français, il est projeté hors de l’atmosphère terrestre à bord du Phaéton, un engin conçu par l’ingénieur Josiah Traveller. En compagnie du savant, de son domestique et du journaliste George Holden, le voilà embarqué dans un voyage imprévu vers la Lune.

Même s’il fait appel à une forte dose de sense of wonder, Anti-Glace évolue aux antipodes du précédent roman de Stephen Baxter paru au Bélial’. Avec ce titre, l’auteur britannique nous amuse avec un habile pastiche vernien et wellsien, écrit dans l’esprit et le style de l’époque, mariant à la fois la fantaisie rétrofuturiste et l’uchronie.
Et pourtant, les choses débutent de manière bien sombre. En guise de préambule, il nous invite en effet au siège de Sébastopol, au plus près des tranchées et de la boucherie résultant des assauts infructueux. Face aux horreurs de l’ancien monde, Baxter oppose ceux de l’âge de l’anti-glace naissant. Un baptême de mauvais augure pour une humanité en proie à ses démons séculaires.
Pour autant, malgré cette ouverture dramatique qui n’est pas sans rappeler le bombardement d’Hiroshima, à aucun moment l’auteur ne se départit de son sens de l’humour. Conscient de l’aspect caricatural des personnages, il prend le parti de s’en amuser, usant et abusant des poncifs avec une constance inébranlable. Il suffit pour s’en rendre compte de dresser la liste des passagers du Phaéton. Entre Ned Vicars, parfait candide à qui l’on aimerait bien botter les fesses, Josiah Traveller, génie scientifique anarchiste et misanthrope (non non, il n’y a pas contradiction dans les termes), Pocket, son domestique passe-partout affligé d’un vertige congénital, l’opportuniste reporter George Holden et le fourbe terroriste français, la matière romanesque s’avère particulièrement chargée. On se croit revenu à l’époque des romans feuilletons et du merveilleux scientifique où les auteurs ne craignaient pas d’abuser des ficelles les plus grossières pour distraire le lectorat. Le procédé permet de masquer l’un des points faibles de Baxter : le traitement superficiel des personnages. Ici, il ne s’embarrasse pas de profondeur psychologique et déroule son histoire sans chercher la vraisemblance dans les rebondissements.
Derrière le pastiche, on retrouve également en creux les thématiques habituelles de l’auteur. Son goût pour la conquête spatiale et, bien sûr, sa foi dans la science et le progrès, même si l’humanité en dévoie l’usage pour satisfaire ses plus bas instincts. Sur ce dernier point, en paraphrasant le célèbre roman d’Ursula Le Guin, Anti-Glace peut être qualifié d’uchronie ambiguë.

Avec Anti-Glace, Stephen Baxter nous gratifie d’un roman léger, mélange d’uchronie et d’aventures, qui divertit au moins autant qu’il rend hommage aux fondateurs du genre.
Signalons aussi l’excellent travail réalisé sur la couverture par Manchu et Philippe Gady pour la présente édition. Le duo fournit un écrin adapté à ce roman que l’on peut rattacher sans trop mégoter au courant steampunk, dans la plus pure acception du terme, du moins à mes yeux, celle inventée par Tim Powers, James Blaylock et K.W. Jeter.

anti_glaceAnti-Glace (Anti-Ice, 1993) de Stephen Baxter – Éditions Le Bélial’, juin 2014 (roman traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti)