Cet article est paru dans le numéro 8 de L’Indic, revue très recommandable concoctée par l’association Fondu au Noir. N’hésitez pas à vous abonner ici. Bien entendu, il n’a pas la prétention d’être exhaustif, ne cherchant qu’à fournir des pistes. Au passage, je suis preneur de toute suggestion de lecture me permettant de creuser le sujet.
Souvent meilleur des mondes, la Science-fiction abonde également en dystopies se révélant comme autant d’avertissements adressés au présent. Toutefois, plus qu’une question de contexte, le genre se révèle une question d’état d’esprit, celui impulsé par les préoccupations du moment. Vision d’avenir radieux ou extrapolation répressive, ailleurs et demain prolongent les réflexions du présent, recyclant les thèmes d’actualité, les peurs et les espoirs, cherchant à apercevoir par-dessus les épaules d’une humanité enferrée dans ses routines, de quoi sera fait l’avenir. En somme, la SF s’efforce d’ouvrir les possibles au lieu de les enclore. Le contraire de la prison.
Prison : l’enfermement.
Cellule ultra sécurisée, quartier de haute sécurité futuriste, les technosciences abondent en opportunités pour mettre hors d’état de nuire le délinquant menaçant, le fauteur de trouble ou l’opposant politique. Grand pourvoyeur d’intrigues policières, le cinéma a déjà mis en scène tout cela. Condamnés cryogénisés (Cf Demolition Man) ou confinés dans une prison inexpugnable (Fortress), l’essentiel n’est finalement pas la réclusion mais le moyen d’y échapper.
Avec Blue de Joël Houssin, on ne sait si la Cité est une prison. Pourtant, à l’instar de New York 1997 de John Carpenter, les clans y vivant reclus, sous la garde vigilante de légions de Néons – des créatures énigmatiques dont on ne saura pas grand chose au final –, en guerre perpétuelle les uns contre les autres, nourrissent l’obsession de passer le mur. Celui enserrant la Cité. Linéaire, jalonné d’explosions de violence, de coups de théâtre, Blue ne fait pas dans la dentelle. Joël Houssin envoie valdinguer les affèteries du beau style. Il convoque le meilleur du roman populaire en nous livrant un récit à lire à tombeau ouvert et ne retient rien, ni les coups, ni les trahisons, ni les tueries, ni son imagination. La Cité sous son nuage de cendres grises est dantesque. Les personnages ont l’air de caricatures ricanantes, comme issus d’un tableau de Jérôme Bosch ou d’un comics de Frank Miller. Ils ne manifestent aucun état d’âme, agissent en fonction de leurs intérêts propres, se foutant comme d’une guigne de la morale et des autres idioties humanistes. Et on se réjouit de l’efficacité d’un roman idéal pour se défouler, entre deux lectures plus exigeantes.
Un peu borderline par rapport au thème de ce numéro de l’Indic, on ne résiste cependant pas à parler de « Chroniques de l’Âge du Fléau » de Norman Spinrad, grand auteur américain dont on recommande par ailleurs la lecture des romans. Cette novella, figurant au sommaire du recueil Les Années Fléau, nous dépeint sur un mode choral un monde en proie au fléau, une pandémie ravalant le SIDA au rang de rhume bénin. Le récit se focalise aux États-Unis où les victimes sont recensées, encartées, contraintes de choisir entre l’enfermement dans des zones de quarantaine et l’engagement dans la Légion étrangère américaine, histoire de semer la pagaille ailleurs. L’occasion pour Norman Spinrad d’exposer les vieux démons américains : ségrégation, impérialisme et fondamentalisme chrétien. Avec la verve et le goût pour la satire sociale que les amateurs lui connaissent.
Prison : l’exil
Mettre à l’écart de la communauté le criminel est une pratique vieille comme le monde. Quels que soient les motifs de son exil, il vaut mieux éloigner le réfractaire afin d’éviter qu’il ne contamine ou ne fasse du tort à ses concitoyens.
Avec Les déportés du Cambrien, Robert Silverberg imagine une mise à l’écart radicale pour les agitateurs politiques : l’exil dans le passé, un milliard d’années avant l’Histoire, à une époque où le trilobite s’impose comme l’être vivant le plus évolué. De quoi refroidir toute velléité d’évasion, le voyage étant à sens unique.
Même si Les déportés du Cambrien est un texte mineur dans l’œuvre de l’auteur américain, le roman a le mérite de proposer un mode d’exil original. Une fois posé le cadre, l’histoire suit pas à pas le quotidien des condamnés contraints de s’auto-gérer. Une expérience mise en œuvre non sans difficultés tant le gouffre entre la théorie politique et la pratique paraissant difficile à combler. On peut voir ainsi dans ce roman une satire voilée des utopies de gauche nées autour de 1968.
On ne présente plus Robert A. Heinlein, chantre d’une SF américaine classique, dont l’œuvre a marqué le genre des années 1950 jusqu’au début de la décennie 1980. Un auteur ayant pris un malin plaisir à brouiller les pistes, résistant à tout effort trop strict de catégorisation, et respectant tout au long de sa carrière un seul credo : le primat de la liberté – de penser et d’entreprendre – sur toute autre valeur. Qu’on nous permette de classer Révolte sur la Lune parmi les meilleurs titres de Heinlein. Assertion personnelle non négociable. Ce roman à la coloration libertarienne prend place dans la colonie lunaire. Un établissement pénitencier y a vu jour, servant de lieu de détention aux agitateurs politiques indésirables sur Terre et à leurs enfants nés sur le sol lunaire. Métaphore à peine voilée des modes de colonisation forcée en Australie, Nouvelle-Calédonie… Évidemment la révolte gronde. Les colons s’insurgent contre l’exploitation dont ils sont les victimes. Ne manque plus que des leaders pour mener la révolution et un coup de pouce de leur gardien cybernétique. Fable sociale et politique, Révolte sur la Lune brille également par le pragmatisme et l’ironie de son ton. Bien qu’écrit en 1967, les réflexions sur l’autogestion et la liberté restent plus que jamais d’actualité.
Prison : la rééducation
Racheter son erreur, réparer ses torts. Dans un souci de rédemption puisant son origine dans la religion ou plus prosaïquement dans les théories sociales de correction des déviances, la société vise à rééduquer le délinquant. Manière d’échapper à ces méthodes barbares : peine de mort et réclusion. Inhibiteurs de pulsions, effacement de la mémoire, conditionnement de la personnalité, la SF ne manque pas de méthodes plus conformes au progrès.
L’Orange mécanique multiplie les grilles de lecture mais Anthony Burgess reconnaît lui-même avoir voulu faire œuvre de moraliste. Lorsque Alex, le héros du roman, est emprisonné, après une longue série d’agressions, on lui propose une méthode inédite de rééducation : le traitement Ludovico. La cure s’apparente à une sorte de conditionnement pavlovien. On injecte au patient une drogue amplifiant ses réactions sensorielles, puis on le contraint à regarder des scènes de guerre, de viols et de meurtre, en écoutant les compositions de Beethoven, artiste qu’il adore. Conjugué à la drogue, la cruauté du spectacle lui inspire un malaise se muant en dégoût viscéral. Alex ne supporte désormais plus ni la violence, ni Beethoven. Il peut être rendu à la société où il devient une victime.
Stanley Kubrick sort Alex de cette mauvaise passe par une pirouette, laissant entendre que le Mal est inhérent à l’espèce humaine. Le dénouement du roman de Burgess est tout autre. En privant Alex de son libre-arbitre, la société lui retire en fait son humanité.
Prison : les travaux forcés
Force de travail, taillable et corvéable à merci, le prisonnier doit payer de sa personne. Il s’agit moins ici de le rééduquer que de le punir. Une punition à la mesure de son forfait, utile à la société.
« Les crabes de Vénus regardent le ciel » témoigne de cette volonté punitive. Dans le futur, les criminels sont concédés à un consortium minier. Promptement expédiés sur Vénus, ils servent de main-d’œuvre dans un bagne. Le corps plongé en animation suspendue, les fonctions cérébrales réanimées de manière à téléguider des robots d’extraction, les convicts purgent leur peine – dans tous les sens du terme – dans un véritable enfer. Aucune communication possible entre les détenus, les quotas du consortium à respecter et un kapo tentaculaire en guise de gardien, il est bien difficile pour eux de nourrir quelque espoir. Et pourtant, dans les rares moments de repos, ils scrutent le ciel. Au-delà des nuages, vers le lieu où orbite le siège de leur conscience. Cette nouvelle figurant au sommaire du recueil Corps-machines & rêves d’anges d’Alain Bergeron se révèle au final très émouvant.
Toujours dans le domaine francophone mais hexagonal cette fois-ci, « Dedans Dehors », nouvelle de Sylvie Denis appartenant au recueil Jardins virtuels, met en place un futur balkanisé où les gouvernements nationaux se réduisent à la portion congrue. Bien entendu, n’ayant plus les moyens d’entretenir des prisons, les pouvoirs publics préfèrent passer des contrats avec les transcorporations qui utilisent les délinquants à leur guise. Par exemple, encapsulés dans un cercueil de verre, le cerveau gavé d’inhibiteurs, asservi à la gestion des automatismes d’un bâtiment. Une domotique moins couteuse qu’une IA. Rattachée à la génération des Jean-Jacques Girardot, Jean-Jacques Nguyen et Claude Ecken, Sylvie Denis écrit une SF spéculative, où l’humain prime sur le système, sans chercher à diaboliser les technosciences et sans tomber dans l’angélisme.
À la marge de la légalité, le détenu peut servir de cobaye pour des expérimentations secrètes. C’est le point de départ du roman de Thomas Disch, Camp de concentration. Parce qu’il est un observateur lucide de ses semblables, doté de surcroît d’une culture raffinée, Louie Sacchetti est transféré de la prison où il purge une peine pour objection de conscience au Camp Archimède, un centre secret géré par l’armée où l’on mène des expériences pour le compte d’entreprises privées. On lui inocule un tréponème puisé dans le vivier des maladies vénériennes. Un virus décuplant son intelligence mais mortel à court terme. Paru à l’origine dans New Worlds, revue britannique comptant aussi à son sommaire Brian Aldiss, James G. Ballard, John Sladek, Camp de concentration allie l’exigence stylistique et le vertige science-fictif. Délaissant les gadgets du genre, l’intrigue adopte le point de vue de Louie. Écrit à la manière d’un journal intime, le roman de Thomas Disch se focalise sur les espaces intérieurs. L’auteur sonde les circonvolutions de la psyché d’un individu, livrant quelques belles pages empreintes de poésie, et pimentant l’ensemble d’une ironie amère.
Éliminer la prison
Mais le désir utopique de toute société n’est-il pas de supprimer le crime et par voie de conséquence la prison ? Rares sont les romans de SF se coltinant avec ce désir, du moins sans dénoncer l’ambiguïté de l’utopie.
Au-delà de l’hommage à Léo Malet et au roman populaire, le cycle des Futurs mystères de Paris écrit par Roland C. Wagner dévoile un avenir proche (de plus en plus proche au moment où nous écrivons) où le crime semble définitivement éradiqué. Le cycle s’intègre à une histoire du futur, un méta-roman convoquant intertextualité, métaphysique, technosciences et dont on perçoit seulement la cohérence en lisant l’ensemble de l’œuvre de l’auteur français. Pour résumer et en se cantonnant aux Futurs mystères de Paris, Wagner imagine que l’humanité s’est assagie suite au psycataclysme de la Grande Terreur Primitive. Les Archétypes de la Psychosphère s’incarnent dans la réalité consensuelle aboutissant à l’Armageddon. Une apocalypse dont heureusement le Bien sort vainqueur contribuant à retirer du cœur des hommes leur tendance à la sauvagerie, à la méchanceté et au Mal. En conséquence, les crimes deviennent rares et la guerre impensable. Les gens s’entraident, oubliant l’esprit de compétition, ils s’organisent par affinités – les tribus – au lieu de soutenir les États nationaux. Est-ce la fin de l’Histoire ? En dépit des réserves que l’on peut émettre sur le cycle, force est de reconnaître que Roland C. Wagner propose une SF optimiste, dépourvue de prison.