Deuxième livraison de la monumentale anthologie consacrée à l’un des univers les plus forts de Jack Vance, celui de la Terre Mourante. Je dis deuxième parce que les éditions ActuSF ont prévu une parution coupée en trois. Ne leur en voulons pas, compte tenu de l’ampleur du projet, mieux vaut avoir les reins solides pour se lancer dans une telle entreprise.
Bon, je ne vous refais pas la déclaration d’amour servant de prélude à mon précédent article, je vous y renvoie. Attaquons-nous plutôt à la bête.
Si dans l’ensemble, ce deuxième volet des Chansons de la Terre Mourante se laisse lire sans déplaisir, il lui manque tout de même LE texte se dégageant du lot, ce petit plus faisant toute la différence entre un recueil juste sympathique et une anthologie indispensable. Pourtant, on trouve du lourd au sommaire. Excusez du peu, Lucius Shepard, Tanith Lee, Neil Gaiman, Elizabeth Moon, John C. Wright et Tad Williams. On ne peut pas parler de perdreaux de l’année. Hélas, si ces différents auteurs ont investi l’univers de la Terre mourante avec déférence, respectant ses codes, sa tonalité picaresque, son humour cynique, ils n’ont pas su apporter cette touche personnelle faisant toute la différence entre un hommage compassé et une nouvelle pétillante de malice et d’invention. Dommage…
Passons maintenant à la revue de détail.
L’anthologie s’ouvre par une nouvelle de Tanith Lee, auteure britannique dont j’ai apprécié le premier volume du Dit de la Terre plate, m’ennuyant très rapidement des redites très plates lui faisant suite. « Evillo l’ingénu » montre le danger représenté par les récits d’aventure sur les esprits simples. Enfant trouvé, le jeune homme a été élevé et maltraité, conformément à la tradition locale à Ratgrad, par ses parents adoptifs. Un jour de fête, les villageois reçoivent la visite d’un fabuliste qui les régale de contes incroyables. Comme le village de Ratgrad n’offre guère de perspective d’aventure, Evillo part pour éprouver son destin, à l’exemple des héros qui l’ont tant émerveillé, en particulier le fameux Cugel. Chemin faisant, il rencontre un mystérieux escargot qui lui procure tout ce qu’il désire et même davantage… Ne tergiversons pas, si ce texte ne manque pas de sel, je dois avouer que, passé l’argument de départ, l’histoire s’enferre dans les répétitions. C’est amusant, mais au final les ficelles paraissent un tantinet grossières. Heureusement, le twist final vient achever le calvaire d’une manière assez réjouissante.
On continue avec « Les Traditions de Karzh » de Paula Volsky. Pour stimuler son neveu, incorrigible dilettante préférant la gaudriole à l’apprentissage studieux des leçons de magie, Dhruzen de Karzh le met dans une situation où le jeune homme n’a d’autre choix que de s’amender ou de mourir dans d’atroces souffrances. Et le voilà parti, en quête d’un moyen de rattraper ses lacunes à peu de frais… À bien des égards, j’ai trouvé cette nouvelle fort sympathique mais, revers de la médaille, elle ne laisse pas de trace…
Le titre de la nouvelle de Tad Williams annonce la couleur. « La Tragédie lamentablement comique (ou la comédie ridiculement tragique) de Lixal Laqavee » raconte comment le comédien d’une troupe itinérante contraint un magicien à lui livrer quelques sorts pour escroquer le public. Mais le magicien lui réserve bien entendu une mauvaise surprise… Paradoxalement, j’ai trouvé ce court texte assez longuet et convenu. Mais bon, il se laisse lire et on ne peut pas l’accuser d’engendrer la mélancolie.
Dans « La Proclamation de Sylgarmo », Lucius Shepard opte pour le changement de perspective en adoptant le point de vue des ennemis de Cugel. La proposition est originale, malheureusement, Shepard se contente de faire le boulot sans véritable panache. Ceci dit, le texte se situe quand même dans le haut du panier de l’anthologie.
Passons rapidement sur « Gorlion d’Almérie » que j’ai trouvé tout simplement exécrable. Matthew Hughes semble avoir bâclé l’intrigue de ce huis-clos. Vraiment fâcheux et frustrant.
Mais ceci n’est rien comparé à « Incident à Uskvosk », une histoire grotesque qui voit s’affronter des cafards géants pendant une course, sous les yeux d’un nain se faisant passer pour un jeune garçon. Avec ce texte, je crois être définitivement vacciné d’Elizabeth Moon.
Avec John C. Wright, je partais avec un a priori négatif ayant trouvé les deux premiers tomes de L’Œcumène d’or illisibles et Le Dernier Gardien des rêves m’étant tombé des mains. Cela ne s’arrange hélas pas avec « Guyal le Conservateur ». C’est simple, je suis resté tout bonnement à quai, ne parvenant à aucun moment à m’intéresser à ce récit qui m’est apparu comme une suite décousue de plusieurs épreuves.
Fort heureusement, Neil Gaiman vient conclure ce deuxième volume des Chansons de la Terre Mourante sur une note plus convaincante. En commençant son récit en Floride à notre époque, l’auteur britannique sait se montrer inventif. « Invocation de l’incuriosité » tient toutes ses promesses jusqu’à son dénouement, diablement efficace et malicieux.
Au terme de cette chronique, mon enthousiasme reste donc mesuré. Mais, pas au point de ne pas avoir envie de lire l’ultime volume dans lequel on trouvera des textes de Mike Resnick, Elizabeth Hand, Dan Simmons, Kage Baker, Howard Waldrop et j’en passe. De quoi espérer du bon, voire du très bon.
« Chansons de la Terre Mourante » (« Songs of the Dying Earth »), deuxième volume – anthologie sous la direction de Gardner Dozois et George R. R. Martin, préface Dean R. Koontz et Jack Vance, Éditions ActuSF, mai 2013 (recueil traduit de l’anglais par Eric Holstein, Jean-Daniel Brèque, Pierre-Paul Durastanti, Célia Chazel, Florence Dolisi, Patrick Dusoulier et Emmanuel Chastellière)