Parenthèse

Juste un mot pour signaler la parution (imminente) du vingt-et-unième numéro de l’excellente revue L’Indic (je flagorne si je veux) de la non moins sémillante association Fondu Au Noir. Pourquoi cette parenthèse me direz-vous ? Parce qu’au sommaire de ce numéro figure un petit article sur la religion et la SF écrit par mézigue.

Pour les curieux, c’est par ici. Pour les autres, même punition.

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La Capitana

Ma-guerre-despagneAffirmons-le d’entrée sans crainte d’être contredit. L’existence de Micaela Feldman de Etchebéhère aurait pu servir d’intrigue à un roman d’aventures. Mais voilà, la dame a réellement vécu. Et d’ailleurs, en lisant le livre de Elsa Osorio, je me suis rappelé avoir lu les mémoires de Mika (Ma guerre d’Espagne à moi, disponible dans l’excellente collection « Révolutions » chez Babel), notamment les souvenirs de son combat durant la guerre d’Espagne, me disant qu’un tel personnage mériterait bien un roman. Le destin taquin adresse parfois ainsi des clins d’œil à la mémoire faillible. Militante communiste et féministe, ses voyages ont mené Mika d’Argentine en France, en passant par l’Allemagne lors de la montée du nazisme, et jusque pendant la guerre d’Espagne, sur le front, en compagnie des colonnes de miliciens. Une expérience faisant d’elle un témoin précieux de ces événements.

La Capitana nous raconte tout cela. Mais si le roman de Elsa Osorio s’avère documenté, la fiction et la littérature ne cèdent en rien à la réalité et à l’Histoire. Dans une longue postface, l’auteur argentin s’explique sur ses choix. Elle relate la longue et douloureuse gestation de ce roman. Des années de procrastination, de recherche de témoignages et de vérification des sources. Tout cela pour aboutir finalement à un livre émouvant, suscitant l’empathie pour Mika sans affaiblir la sincérité et la pureté de son combat.

Elsa Osorio restitue le destin d’une femme et non d’une figure héroïque. Une femme devenue tout à la fois pour sa colonne : capitaine, mère, épouse, confidente. Une militante convaincue mais loin d’être naïve. Par son truchement, on assiste à l’échec de l’idéal communisme, miné par les querelles d’appareil, les égoïsmes et les jalousies. On se trouve aux premières loges des purges staliniennes. Face à un ennemi déterminé, le mouvement communiste expose ses faiblesses comme des plaies à l’âme.

Entre les années 1920 et 1990, on accompagne ainsi Mika dans sa traversée du siècle, partageant son intimité, ses peurs, son angoisse et son amour indéfectible pour son compagnon, amant et époux Hippolyte Etchebéhère. Et même si l’on sait déjà que la contre-révolution a gagné, on n’en admire pas moins ce destin accompli jusqu’au bout, avec générosité et une bonne dose de lucidité sur la nature humaine.

Bref, avec La Capitana, Elsa Osorio s’acquitte avec talent de notre dette envers la mémoire des vaincus.

Ps : Mon petit doigt me signale la réédition du livre de Mika Etchebéhère chez les excellentes éditions Libertalia, publication accompagnée d’un documentaire, ce qui ne gâche rien. Il serait dommage de se priver…

CapitanaLa Capitana de Elsa Osorio – Éditions Métailié, septembre 2012 (roman inédit traduit de l’espagnol [Argentine] par François Gaudry)

No pasaran

Varions les plaisirs. Les lecteurs assidus de ce blog (comptez-vous, je crois que l’on a perdu un tondu) n’étant pas forcément que des adeptes de fin du monde et autres joyeusetés post-apocalyptiques, je me suis résolu à puiser dans mes marottes pour décliner une nouvelle thématique livresque.

Cette fois-ci, j’ai jeté mon dévolu sur la Guerre d’Espagne et ses avatars romancés. Attendez-vous alors à découvrir (ou pas) du Elsa Osorio, du Frédéric H. Fajardie, du André Héléna, du Carlos Lucarelli, du Olivier Martinelli, du Javier Cercas, du Patrick Pécherot et bien d’autres.

A ce propos, je suis preneur des suggestions de lecture. N’hésitez pas. L’espace dédié aux commentaires vous tend les bras. Et, si vous n’avez rien à me proposer, faites-moi un petit coucou. J’apprécie aussi la flagornerie.

Rose profond

It’s a Small world ! Tout le monde connaît la ritournelle. Une scie pour l’esprit critique et un sirop pour l’intelligence. La chanson pourrait servir d’hymne au pays rose, cette contrée enchanteresse où tout le monde s’aime d’une passion platonique et sème les graines de la joie sans aucune arrière-pensée. Une utopie enfantine asexuée ayant pour seule religion le bonheur.

capture_decran_2015-03-24_a_18.59.48A près de cinquante ans, Malcolm commence à trouver le temps long. Le héros du pays rose, alter ego de Mickey, accuse en effet une sérieuse fatigue morale, même s’il ne le montre pas. Du reste, on peut le comprendre, car un demi-siècle consacré exclusivement à des enfantillages, petites farces cruelles de Crotella y comprises, cela contribue incontestablement à laminer, même le caractère le plus équilibré. Avec comme seule perspective d’avenir les promesses répétées de Mimi la bergère. Pas de quoi se réjouir… Et pourtant, il lui faut continuer à entretenir l’illusion, un sourire vissé au visage, pour le plus grand plaisir des enfants. Mais voilà, le jour de son anniversaire, une fois n’est pas coutume, l’alcool coule à flot. Malcolm boit plus que de raison et emmène Mimi à l’orée de la forêt. Et arrivé à cet endroit, comme elle résiste à ses propositions, il lui fait subir les derniers outrages après lui avoir au préalable tabassé le joli minois. Terminé le pays rose, Malcolm est banni, direction le pays gris, autrement dit une version moins lénifiante du monde.

Rose_profondLa réédition de Rose profond de Michel Pirus et Jean-Pierre Dionnet m’a permis de découvrir une bande dessinée qui anticipe à bien des égards Winshluss. On y retrouve en effet l’esprit transgressif de Pinocchio ou du Welcome to the Death Club. Rose profond se veut un pastiche de l’univers de Disney, mais un pastiche punk qui passe au mixeur tous les poncifs des petits mickey. les auteurs optent pour une approche résolument iconoclaste, pervertissant ce monde lisse, aseptisé, dépourvu d’affect, bref trop beau pour être honnête, avec une bonne dose de mauvais esprit.

Le trait de Pirus, tout en rondeur et candeur enfantine, fait merveille. Il met en image le pays rose suscitant moult réminiscences avec une ribambelle de créatures animalières à l’allure bucolique. On pense bien sûr à ces histoires lues dans Le Journal de Mickey, mais aussi à Calvo. Le dessinateur introduit un décalage entre la forme et le fond, permettant à Dionnet de s’en donner à cœur joie. Le scénariste dévoile l’envers du décor, mettant en lumière la part d’ombre, longtemps refoulée, de Malcolm, mais également celle de tout ce petit monde hypocrite. Sous la plume  de Dionnet et le crayon de Pirus, le pays rose et ses habitants perdent de leur superbe. L’univers guimauve et tout sourire se révèle une utopie factice, bridant la liberté des personnages et prospérant sur l’exploitation du pays gris. Un leurre pour l’innocence enfantine.

r_pAu final, je suis bien content de cette réédition, assortie pour l’occasion d’un bonus sous la forme d’un dossier canular illustré par quelques courts récits de Pirus (Stup, Dog and Sniff Mouse et Champagne & gâteaux secs). Je regrette juste la couverture redessinée de manière à atténuer le caractère irrévérencieux du contenu.

Rose_profond_castermanRose profond de Michel Pirus (dessin), Jean-Pierre Dionnet (scénario) et Véronique Dorey (couleurs) – Réédition Casterman, avril 2015

 

La vie comme une course de chars à voile

François Rossac est champion de char à voile. Il habite à Granville où il profite d’une existence privilégiée, bien à l’abri derrière l’écran du dôme. Dehors règne un chaos balayé par des vents tempétueux, bref l’inconnu.
Par touches subtiles d’abord, puis plus conséquentes, le jeune homme voit le décor de sa villégiature s’étrécir, réduit à une peau de chagrin où des sections entières de la réalité se réécrivent dans un climat de paranoïa, d’irrationalité et de violence. François devient-il fou ? Doit-il interpréter le reflux de son univers comme un symptôme de désordre mental ? À moins que ces manifestations hantées par les figures récurrentes de la religion, du fascisme et du capitalisme prédateur ne soient que les signes avant-coureurs d’un retour à la réalité, la vraie, celle que François a tenté de cacher sous une illusion, un monde truqué issu de sa psyché malade.

Avec ce troisième livre chez Hélios, je découvre enfin Dominique Douay, auteur français dont l’œuvre, si l’on fait abstraction de son roman Car les Temps changent, se situe essentiellement pendant les années 1970 et le début de la décennie suivante. Est-ce là le signe d’un retour sur le devant de la scène de la SFFF pour un auteur longtemps accaparé par sa profession ? Je ne sais pas. Mais, je vais me pencher sérieusement sur le reste de sa bibliographie, car La vie comme une course de chars à voile s’avère une très agréable surprise.

Si le titre du roman lorgne du côté de James Graham Ballard, son atmosphère m’a rappelé celle de certaines histoires de Michael Coney et de manière plus générale le registre de la fiction spéculative. Par ailleurs, La vie comme une course de chars à voile aborde une thématique éminemment dickienne, celle de la nature de la réalité.
À l’instar de Le Temps incertain, chef d’œuvre intemporel de Michel Jeury, Dominique Douay instille le doute et bouscule à la fois les repères de son narrateur et ceux du lecteur, ainsi convié à un voyage dans un théâtre d’ombres dont les illusions successives abusent son intellect. Au cours d’un crescendo un tantinet anxiogène, on embarque pour un voyage au centre de la tête dans lequel chaque chapitre participe à un puzzle mental dont l’auteur recompose progressivement l’image via le point de vue de François Rossac.
Dominique Douay s’attache aux tourments de Rossac. D’une façon astucieuse, il le confronte au délitement de son univers, bousculant une à une les certitudes du bonhomme. Il dessine ainsi plusieurs mondes gigognes, aux frontières poreuses, où l’indétermination semble régner en maître, même si quelques schémas récurrents viennent guider l’effondrement du consensus. Le processus donne lieu à des images fortes et poétiques, à l’instar de cette vision en creux de Granville et de ses habitants. Il dévoile une facette du roman le rapprochant des dangereuses visions d’un Vermillion Sands, par exemple.

Sans déflorer le dénouement, et même s’il apparaît un tantinet convenu, j’ai envie de voir également dans ce roman une forme d’anticipation de la notion de monde virtuel, chère au mouvement cyberpunk, même si on la trouve également chez Galouye. Si je reste conscient du caractère abrupt de l’affirmation, le parallèle ne me semble pas complètement abusé.

Bref, La vie comme une course de chars à voile n’usurpe pas sa réputation de roman à redécouvrir. Personnellement, il me donne envie de poursuivre mon exploration des univers fluctuants de Dominique Douay. Si les connaisseurs ont des suggestions, je suis preneur.

Vie_char_voileLa vie comme une course de chars à voile de Dominique Douay – Réédition Les Moutons électriques, collection « Hélios », 2015 (parution originale en 1978)

Exodes

Achevons notre parcours fin du monde et autres joyeusetés avec un roman français.

Les fins du monde sont rarement gaies. Avec Jean-Marc Ligny, elles s’avèrent paradoxalement belles, à l’image de l’illustration de couverture très graphique, fait suffisamment rare chez L’Atalante pour qu’on le signale.

Le lecteur avide de questions environnementales et géopolitiques se souvient sans doute de Aqua. Le roman anticipait les plus que probables conflits de l’eau, se contentant comme toute bonne SF de pousser l’extrapolation jusque dans ses ultimes retranchements. Avec Exodes, l’auteur français nous projette en Europe, quelque part entre la fin du XXIe et le début du XXIIe siècle. Une projection dont on a pu découvrir un aperçu avec la nouvelle Porteur d’eau au sommaire du numéro 56 de Bifrost. À cette époque, l’emballement du réchauffement climatique a fini par faire passer les pires prévisions du GIEC pour une aimable bluette. Les mesurettes préconisées par le développement durable apparaissent désormais comme l’ultime blague d’une économie productiviste ne voulant surtout rien changer à sa manière de faire. Le dernier pied de nez d’une société de consommation ne désirant rien bouleverser dans sa façon de vivre. On suit ainsi les itinéraires de six groupes à travers une Europe en proie au chaos, au struggle for life et à la barbarie. Des trajectoires jalonnées d’épreuves, de moments de répit, parfois d’espoir, mais qui s’achèvent surtout sur une voie sans issue.
Mélanie, l’amie des animaux, cherchant à faire le bien autour d’elle pour en récolter les bienfaits. Fernando, jeune homme parti autant à l’aventure que pour fuir une mère dévote, persuadée que les anges descendront bientôt du ciel dans leurs OVNI pour sauver les élus de l’enfer terrestre où croupit l’humanité. Elle prendra la route à la suite de son fils pour répondre à des visions. Paula, prête à tout pour protéger ses deux enfants. Olaf et sa femme, couple des Lofoten à la recherche d’un refuge, loin de la folie des hommes. Pradesh Gorayan, chercheur en génétique condamné à trouver le secret de l’immortalité s’il souhaite continuer à vivre en toute quiétude dans l’enclave climatisée et surprotégée de Davos. Tous se démènent pour survivre dans un monde où dieux et maîtres imposent leur férule sur des existences précaires.

Le récit de ces destins nous dévoile un vieux continent arrivé en bout de course. Squelettes urbains hantés par les Mangemorts, spectres décharnés, humains déchus retournés à l’état de bêtes dévorant les cadavres. Terres incultes polluées par les effluents toxiques et les remontées d’eau salée. Écosystème à l’agonie, déjà colonisé par les successeurs de l’homme : fourmis, scorpions, plantes mutantes, méduses gorgées d’acide, moustiques porteurs de maladies tropicales… Routes à la chaussée tavelée par le soleil, parcourues par des véhicules bricolés à la Mad Max. Villages retranchés où prévaut la loi du chacun pour soi. Et la menace constante des Boutefeux, hordes anarchiques vouées à la destruction, à l’annihilation et à l’extermination, histoire de purger la Terre de l’humanité, ce virus qui la ronge jusqu’à l’os.
Dans ce monde, seule quelques enclaves brillent encore des derniers éclats de la civilisation. Des havres de paix et de science ? Plutôt des mouroirs pour une classe de nantis, fins de race avides de découvrir le secret de l’immortalité afin de perpétuer leur pouvoir le plus longtemps possible sans se soucier du futur.

Roman noir de l’avenir, la dystopie de Jean-Marc Ligny secoue les certitudes. Si le réchauffement climatique et l’effondrement sociétal en résultant constituent l’arrière-plan d’Exodes, l’homme apparaît comme le cœur du propos de l’auteur. À la fois lyrique, sarcastique et cruel, Ligny ne ménage pas ses effets pour rendre son roman d’une lucidité douloureuse. Il se focalise sur l’humain, le dépouillant de son vernis d’être civilisé. Au rencart la compassion, la solidarité et la générosité. Que reste-t-il ? Un animal dont l’unique souci semble être d’arracher un jour de vie supplémentaire, quitte à le prendre à autrui. On reste pétrifié par ce comportement, hélas très vraisemblable.

Après Aqua, Jean-Marc Ligny signe à nouveau un roman coup de poing. De ceux parlant autant à la tête qu’aux tripes. Une lecture plus que recommandable pour ne pas dire indispensable !

ExodesExodes de Jean-Marc Ligny – Éditions L’Atalante, collection « La Dentelle du cygne », 2012

Deux ans, l’âge déraison

365 jours, ça passe vite ! Autant ne pas perdre de temps inutilement.

Avec 166 articles au compteur, on va dire que je n’ai pas chômé. Si l’on se fie au rythme des mises en ligne, j’ai même été plus bavard cette année. Ou moins dilettante. Feignons de croire à la première proposition. Je peux m’enorgueillir de plein de découvertes réjouissantes et déplorer quelques machins innommables.

337 commentaires et 24579 pages vues, les statistiques semblent révéler aussi une augmentation de la fréquentation, avec un pic à l’occasion d’un article un tantinet polémique. Rien de neuf sous le soleil. Juste du buzz.

Bref, il va falloir faire plus fort l’année prochaine. La sauvegarde du mode de vie occidental est à ce prix ! J’ai déjà une piste. Insérer le plus possible dans mes articles les mots suivants : djihad, Syrie, État islamique, Boko Haram, zadiste, Manuel Valls nu sur un poney, kalachnikov. Hop ! Le tour est joué.