La Guerre d’Espagne paraît bien loin pour les jeunes générations, sans doute plus habituées aux plages de la Costa Brava qu’à l’étude du passé de la péninsule ibérique. À leur décharge, la Seconde Guerre mondiale est passée par là, remisant le conflit espagnol dans les oubliettes de l’Histoire.
À plus de 80 ans, Sidney Starman ne l’a pas oubliée. Et pour cause, comme de nombreux jeunes idéalistes, il a rallié jadis les Brigades internationales pour tuer des fascistes, avec une préférence quand même pour les Allemands. Ses illusions n’ont pas résisté longtemps à la réalité d’une guerre où le pire ennemi n’est pas celui que l’on croit. Après un premier engagement meurtrier, il rejoint une unité spéciale chargée d’accomplir les basses œuvres de l’armée républicaine. Autant dire un ramassis de tueurs, de psychopathes et de bandits sans dieu, ni maître et encore moins de cause à défendre. Des criminels affichant toutes les pires tares de l’humanité. De retour en Angleterre, il se jure de ne plus jamais retourner en Espagne. Jusqu’à ce qu’une ancienne promesse ne revienne le hanter… En compagnie de deux bras cassés qu’il a appâté avec un hypothétique trésor, il embarque pour un ultime voyage sur les lieux de son engagement de jeunesse. Un périple qui l’amène aussi à replonger dans sa mémoire.
L’argument de départ de El Sid a le mérite d’être simple. Deux délinquants abonnés aux combines minables se mettent en tête d’arnaquer un nonagénaire, ancien combattant de la Guerre d’Espagne. Pour accomplir leur plan, ils l’accompagnent jusque dans un coin perdu de la péninsule où se trouverait un trésor caché depuis 1937. Avec de telles prémisses, avouons qu’il y a de quoi craindre l’avalanche de poncifs. Heureusement, Chris Haslam s’en sort très bien, brodant une intrigue rocambolesque dont l’entrain se révèle au final communicatif. Pour se faire, il ne ménage pas les effets comiques, multipliant les punchlines hilarantes et les situations incongrues. On se surprend ainsi plus d’une fois à sourire aux mésaventures piteuses du duo formé par Lenny, la grande gueule alcoolisée dont la personnalité tient à la fois du pitbull et du hooligan, et son camarade Nick, plus sombre car rongé par la culpabilité.
El Sid ne se cantonne toutefois pas seulement au registre de la pochade. Chris Haslam met à profit l’Histoire pour imaginer un récit dynamique, oscillant entre comédie et drame, sans se départir à aucun moment d’une bonne dose d’empathie pour ses personnages. À se demander d’ailleurs s’il n’a pas visionné les films de Sergio Leone, en particulier Il était une fois la Révolution, tant son traitement de la Guerre d’Espagne ressemble à celui adopté par le réalisateur italien. Sous sa plume, la guerre civile révèle toute sa violence et toute son inanité. Mené par des voyous agissant pour le compte d’idéologies totalitaires elles-mêmes criminelles, le conflit révèle le pire de l’humain, son talent pour la cruauté, son goût pour l’argent ou le pouvoir, sa lâcheté et son aveuglement. Désabusé, cynique, voire sarcastique, El Sid ne tourne cependant pas en ridicule l’idéalisme des brigadistes venus combattre dans l’espoir sincère d’améliorer le monde. Il n’en cache pas non plus les aspects les moins héroïques ou romantiques, soulignant par la même occasion leur caractère impitoyable et dégradant.
En dépit d’un dénouement un tantinet léger, El Sid se révèle un roman divertissant, idéal pour les vacances qui s’annoncent. De l’excellente mauvaise littérature comme aurait dit George Orwell. Vu le sujet, cela s’impose.
« Je n’ai jamais été autre chose qu’un tueur à gages, mais rétrospectivement, quand je vois les hommes qui étaient avec moi à Albacete et Jarama… Quelqu’un a dit un jour qu’ils se dressaient sur le champs de bataille comme le seul arbre qui n’avait pas été rasé par les bombes. J’aime cette image : les cœurs de chêne et tout ça. Ils sont venus ici car ils croyaient en la liberté. »
El Sid de Chris Haslam (El Sid, 2006) – Réédition 10/18, « Domaine policier », juin 2011 (roman traduit de l’anglais par Jean Esch)