J’ai longtemps apprécié l’énergie déployée par Frédéric H. Fajardie dans ses romans noirs. Tueurs de flics, La Nuit des chats bottés, Sniper, La théorie du 1% et j’en passe… Voilà de la littérature qui défouraille sans s’encombrer d’état d’âme ou de réflexions superflues. Dans le genre roman séminal, c’est même exemplaire. Et pour peu que l’on ne s’agace pas des poncifs ou d’un style ne faisant pas dans la dentelle, c’est même excellent.
Loin de se limiter à ce registre bourrin un tantinet frontal, l’auteur a su étoffer ses thématiques, révélant une certaine sensibilité pour les histoires d’hommes, l’Histoire en général et une certaine forme de nostalgie attachée aux illusions perdues. La guerre d’Espagne lui offrait un boulevard qu’il s’est empressé d’emprunter avec Une Charrette pleine d’étoiles.
1938. Louis Mena, Henri Sajer dit Riton et Robert Harszfield s’apprêtent à partir pour l’Espagne. Amis dans la vie comme au boulot, les trois ouvriers ont forgé cette relation sur le terrain de la lutte syndicale, faisant souvent le coup de poing contre les fâcheux. Aussi lorsque la fiancée de Mena est violée puis tuée par Xavier Chastenet, l’un des fils du patron de l’usine où ils travaillent, le trio n’hésite pas un seul instant. Il franchit les Pyrénées pour la venger, quitte à prendre tous les risques dans un pays en proie à la guerre civile.
Si l’argument d’Une Charrette pleine d’étoiles apparaît simple, Frédéric H. Fajardie ne cède pas pour autant à la simplicité. Dans ce court roman d’environ 150 pages, il brosse le portrait attachant de trois amis, trois caractères différents plongés au cœur d’un épisode dramatique de la grande Histoire. Mena, le dur à cuire, Riton le fanfaron, Robert l’intello juif, le trio n’est pas sans rappeler les cinq acolytes de La Belle équipe, du moins pour le contexte. Dans le film, Julien Duvivier évoquait de manière tragique la fin de la parenthèse du Front populaire. Ici, les trois amis perdent leurs illusions en participant en première ligne à quelques phases de la débâcle de la république espagnole, notamment la fameuse bataille de l’Ebre.
Il en ressort un roman teinté de désenchantement et de tristesse, où le ressort de la vengeance passe assez rapidement à la trappe, faute de véritable malfaisant à haïr. À vrai dire, l’argument de départ sert surtout de prétexte, Frédéric H. Fajardie préférant se focaliser sur l’évolution de la relation d’amitié des trois ouvriers. Car pendant leur enrôlement dans l’armée de la République, le trio se découvre d’autres raisons de combattre. Pour Mena, c’est l’occasion de faire son éducation politique, découvrant en même temps l’engagement idéaliste pour une cause et sa trahison par les communistes, occupés à éliminer le POUM au lieu d’éradiquer le franquisme. De son côté, Harszfield abandonne progressivement son pacifisme naturel pour une attitude plus ambiguë, considérant les manœuvres du PCE comme un mal nécessaire. Quant à Riton, il se cantonne à un rôle d’amuseur, incarnant une sorte de bon sens populaire gouailleur et servant de trait d’union entre ses deux camarades.
Avec une grande économie de moyens, une écriture dépouillée de toute affèterie et autres chichis, Frédéric H. Fajardie retrace l’échec de la démocratie face aux totalitarismes en Espagne, prélude au désastre de la Seconde Guerre mondiale. Il dénonce également cette paix des dupes établie dans l’entre-deux-guerres sur le dos des travailleurs et pour laquelle ils paieront le prix fort par la suite.
Au final, Une Charrette pleine d’étoiles se révèle un roman sincère, empreint d’une bonne dose de nostalgie. Celle éprouvée au regard d’un passé qui ne s’est pas avéré conforme aux espoirs et avec lequel il faut pourtant continuer à vivre.
Une Charrette pleine d’étoiles de Frédéric H. Fajardie – Éditions Payot, 1988 (Réédition Folio, 1991 et Mille et une nuits, 2008)
Salut,
Je suppose que tu as lu « Hommage à la Catalogne » d’Orwell ou le témoignage de Julian Gorkin.
J’en profite donc pour te donner deux liens, qui pourraient t’intéresser :
Sur la révolution espagnole : https://bataillesocialiste.wordpress.com/category/revolution-espagnole/
Et sur le POUM, notamment l’après-Guerre d’Espagne, car le parti n’a pas entièrement disparu malgré la répression stalinienne : https://bataillesocialiste.wordpress.com/category/poum/
Salud Companero !
Bien entendu, le témoignage d’Orwell figure dans ma pile à relire. Dans le même genre, je viens d’ailleurs de terminer le reportage de Kaminski (chronique à suivre).
Merci des liens. Ils s’ajoutent à la lecture de la somme de Burnett Bolloten que je compte bientôt entreprendre. Mais là, ça va me prendre plus de temps à la lire (plus de 1000 pages quand même).