Changeons d’atmosphère, même si la Guerre d’Espagne reste en arrière-plan.
Belleville-Barcelone nous immerge à Paris en 1938, au moment où le Front populaire éclate. Les temps sont au désenchantement. La franche euphorie des premiers congés payés paraît bien loin. En Espagne, la guerre civile tourne au règlement de compte du côté républicain. De manière générale, les vents de l’Histoire semblent propices aux totalitarismes de tous poils, fascisme, nazisme et stalinisme y compris.
À Belleville, Nestor, le héros du roman Les Brouillards de la butte inspiré du Burma de Léo Malet (mais il ne faut pas le dire), travaille désormais comme détective chez Bohman, occupé la plupart du temps à traquer le mari infidèle. Un matin, un drôle de paroissien débarque dans son bureau. La mine couperosée, portant le costard d’alpaga avec morgue, le zigue cherche sa fille partie avec un prolo, communiste de surcroît. Chargé de ramener la gamine à la raison, Nestor se met en chasse. Mais, l’enquête ne se déroule pas comme prévu. Le détective se retrouve avec un cadavre sans tête sur les bras et les flics aux fesses. De quoi se mettre la rate au court bouillon.
Troquons la gravité contre la légèreté. Après Les Soldats de Salamine, Belleville-Barcelone a le charme des romans populaires d’antan. Gouaille ravageuse, argot empathique, personnages pittoresques et situations croquignolesques, pas un seul ingrédient ne manque pour atténuer le plaisir. Le roman de Patrick Pécherot démontre cette qualité propre aux littératures populaires, celle de l’immersion instantanée. À vrai dire, on ne voit pas grand chose à lui reprocher tant le rythme, l’intrigue et l’atmosphère apparaissent comme du cousu main, parfaitement ajusté aux intentions de l’auteur.
On pourrait juger le résultat sans conséquence, si Patrick Pécherot n’abordait pas aussi un aspect guère reluisant de la Guerre d’Espagne. L’enquête de Nestor dévoile en effet la guerre dans la guerre, autrement dit les purges menées par les agents soviétiques et leurs séides contre leurs « frères » d’armes jugés trop hétérodoxes. Sous couvert de fraternité communiste, Staline entend bien mettre sous tutelle la république espagnole. La saisie de l’or de la banque d’Espagne ne lui suffisant pas, il impose son monopole sur la révolution. Il ordonne la mise hors la loi du POUM et des anarchistes en 1937, fait arrêter leurs dirigeants, organise la torture dans les chekas* importées d’URSS et se livre à d’autres manigances, y compris en France. À l’instar de Candide, Nestor découvre l’envers du décor de l’Internationale. Une table rase ressemblant davantage à un billot de boucher, surtout si l’on est trotskyste ou si l’on entre dans le collimateur du petit père des peuples.
Bref, voici un roman rafraichissant, vif et alerte, où la petite histoire est mise au service de la grande. Un bien agréable moment de lecture, non dépourvu de conscience politique, dans la meilleure acception du terme.
* Déformation du terme tcheka désignant à l’origine la police politique soviétique, adapté ensuite en Espagne pour nommer les prisons secrètes où sont enfermés les opposants au PCE.
Belleville-Barcelone de Patrick Pécherot – Éditions Gallimard, « Série noire », octobre 2003