Initialement paru au Royaume-Uni sous le titre The Fat Valley, le roman de J.B. Pick a changé de titre suite à son adaptation cinématographique en 1971 sous la direction de James Clavell. Un film interprété notamment par Michael Caine et Omar Sharif qui mériterait bien une réédition en français.
Roman historique prenant pour décor la Guerre de Trente ans, le récit se veut également une réflexion sur l’absurdité de la guerre et le fanatisme religieux. Un propos hélas d’une déplorable actualité…
« Ce n’est pas une guerre pour les bretteurs, ni pour les soldats. À une époque, c’était une guerre pour les culs-bénis. Maintenant comme vous le dites, c’est une guerre pour les assassins, les politiciens fous et les chiens affamés. Il faut s’en détacher si l’on veut rester sain d’esprit. »
Vogel est un érudit chassé par la guerre. Dans une Allemagne en proie aux pillages des bandes armées, des mercenaires, frappée par la famine et les épidémies, il erre, spectateur désabusé, pour ne pas dire désespéré, du désastre de l’Histoire. Entraîné par un corps incapable d’arrêter de survivre, il rallie à l’automne une vallée épargnée par les combats. Un pays de cocagne dont les habitants ont préservé les richesses par la ruse. Malheureusement, son répit n’est que de courte durée. Une bande de mercenaires sans allégeance découvre aussi ce havre de paix. Vogel devient le médiateur entre les villageois et le capitaine qui la commande. Il négocie une trêve entre les uns et les autres, essayant de faire comprendre aux soldats tout l’intérêt d’épargner la vallée et aux paysans le profit qu’ils peuvent tirer de ces combattants.
On a du mal à imaginer le niveau de violence atteint durant la Guerre de Trente ans (1618-1638). Un conflit ayant ravagé toute l’Europe centrale avec pour conséquence démographique la disparition de près de 60% de la population dans certaines régions. En fait, seules les villes hanséatiques ont échappé au désastre au prix de l’achat de leur sauvegarde.
Prenant pour point de départ la révolte des sujets tchèques protestants contre la Maison de Habsbourg, le conflit se mue en affrontement entre protestants et catholiques, féodaux et partisans de l’absolutisme, à l’intérieur des frontières du Saint-Empire. Mais bientôt, avec l’intervention d’autres puissances, comme la Suède, les Provinces-unies, le Danemark, la France, et le recours systématique aux compagnies de mercenaires, les combats et massacres deviennent la manifestation d’une véritable guerre civile européenne.
Même si les événements paraissent désormais éloignés, passés à la trappe d’un enseignement de l’Histoire bien plus préoccupé par des sujets plus proches de nous, il a marqué durablement les esprits, à commencer par ceux des contemporains. On renverra les curieux aux gravures de Jacques Callot, notamment sa série intitulée Les Grandes Misères de la guerre, ou à celles de Hans Ulrich Franck. Pour les écrits, le Simplicius Simplicissimus de Grimmelshausen s’impose comme une évidence. Pour la période contemporaine, on signalera enfin Wallenstein d’Alfred Döblin.
Si La Dernière Vallée de J. B. Pick nous épargne les horreurs de la guerre, le roman ne fait pas l’impasse sur le pessimisme et l’impossibilité à trouver un compromis en temps de guerre, au moins pour protéger ce qui peut encore l’être. Narrateur omniscient, Vogel fait ainsi office de médiateur entre les paysans de la vallée, prêts à en découdre avec les soldats qu’ils considèrent surtout comme des soudards, et les mercenaires tentés de renouer avec leur brutalité naturelle. Une position dont il ne tarde pas à goûter l’inconfort, tiraillé entre son admiration pour le capitaine, un reître cynique hanté par ses propres démons, et l’espoir de voir la concorde s’imposer à tous, malgré le climat de violence latente.
Et puis Vogel s’interroge beaucoup. Qu’est-ce que la paix dans un monde ravagé par la guerre ? Un monde dépourvu de sens, où des protestants combattent pour le compte de princes catholiques contre d’autres protestants et vice-versa. Un monde où les hommes de Dieu enseignent la haine d’autrui au lieu de promouvoir un message d’amour.
« Il n’existe pas de guerre juste. Et vous le savez. Vos chefs sont des crapules et des fanatiques, et vos soldats des ordures. Vous engagez des protestants, vous employés des athées, vous jouez à la politique, votre guerre n’est que saleté, cupidité et hypocrisie. Et l’autre camp est tout aussi pourri. Tous les camps sont pourris, et tout le monde le sait à part les fous comme vous qui poussent au meurtre au nom d’un Dieu que vous n’avez jamais vu. »
Avec La Dernière Vallée, John Barclay Pick livre un roman historique convaincant, doublé d’une réflexion fataliste sur l’humain. Inutile de vous cacher que je le recommande.
La Dernière Vallée (The Last Valley, 1959) de John Barclay Pick – Éditions Passage du Nord-Ouest, octobre 2014 (roman traduit de l’anglais par Charles Recoursé)