On avait abandonné le mage Rincevent en fâcheuse posture, sur le point de mourir asphyxié, après qu’il eût été précipité par-dessus le bord du Disque-monde. L’angoisse (Aaargl !) était à son paroxysme. C’était aller vite en besogne et oublier la magie baignant l’ensemble de cette création farfelue. C’était négliger le sortilège ayant élu domicile dans la caboche du magicien raté. Par un prompt réajustement de la réalité, l’In-Octavo, le grimoire d’où il provient, a rétabli la situation, sauvant par la même occasion le sortilège vagabond et son hôte récalcitrant, sans oublier Deuxfleurs et son encombrant bagage. Le trio se retrouve alors propulsé dans la forêt de Skund, lieu sauvage s’il en est, habitée par des lutins, des arbres bavards et d’autres créatures issues des contes et folklore. Et comme le Grimm ne paie pas, Rincevent se retrouve aux premières loges d’une prophétie dont il doit faire mentir le terme fatidique prévu pour dans deux mois. Aaargl !
Avec Le Huitième Sortilège, Terry Pratchett abandonne la structure découpée en plusieurs aventures du précédent volume, optant pour un récit complet. L’histoire gagne en ampleur sans pour autant renoncer aux rencontres drolatiques et aux situations croquignolesques qui faisaient tout le sel de La Huitième Couleur.
Si l’on retrouve des personnages aperçus dans le premier volet, notamment LA MORT, de nouveaux font leur apparition. Parmi eux, on me pardonnera de ne citer que Cohen, le héros octogénaire, perclus de rhumatismes, édenté, et pourtant bien loin de pouvoir prendre sa retraite, faute d’avoir su économiser suffisamment. Contraint de continuer à accomplir quête, sauvetage de vierges légèrement vêtues et de ravir les trésors au nez crochu des sorcières, à la barbe des druides, à la griffe des dragons, à la mâchoire pourrie des goules et de bien d’autres monstruosités, le héros des héros accompagne Rincevent et Deuxfleurs dans un nouveau périple sur le Disque-monde, de la forêt de Skund aux couloirs secrets de l’Université Invisible d’Ankh-Morpork, via les plaines de Sto, où vit le peuple du Cheval, et les alignements mégalithiques des contreforts des montagnes du Bélier, dont tout le monde sait qu’il s’agit d’ordinateurs géants. Un voyage loin d’être de tout repos où ils devront composer avec une famille de trolls (qui ne les laissera pas de marbre), affronter Herrena la Harpie au Henné lancée à leur poursuite par l’ambitieux Trymon qui ambitionne de réformer l’Université Invisible en bannissant les antiques pratiques et leurs colifichets poussiéreux. Ils visiterons le jardin de LA MORT, initiant la camarde aux arcanes du jeu de cartes, et échapperont de justesse à une secte prêchant l’éradication des magiciens et de toutes les créatures magiques afin de repousser l’apocalypse imminente menaçant le Disque-Monde. Bref, une course-poursuite incessante où l’optimisme béat de Deuxfleurs n’apparaît pas comme le moindre des soucis d’un Rincevent plus que jamais en proie aux facéties du sortilège habitant son esprit. Et tout cela à l’ombre du Cori Celesti, le moyeu du monde, où les dieux désintéressés continuent à disputer aux géants des glaces l’usage de la tondeuse à gazon.
Avec Le Huitième Sortilège, Terry Pratchett continue de passer en revue avec bonheur les poncifs de la fantasy, les interprétant à l’aune de l’humour et du nonsense. La suite bientôt, avec La Huitième Fille.
Le Huitième Sortilège – « Les Annales du Disque-monde » (The Light Fantastic, 1986) de Terry Pratchett – Éditions l’Atalante, 1993 (roman traduit de l’anglais par Patrick Couton)