Trois mille chevaux vapeur

1852, Indes britanniques. Le sergent Arthur Bowman est choisi pour accomplir une mission secrète pendant la deuxième guerre anglo-birmane. Ce ne sont pas douze salopards qu’il doit sélectionner pour l’accompagner, mais dix. Dix soldats n’ayant pas peur de mourir et ne posant aucune question. Ayant rejoint une troupe d’une trentaine d’hommes, ils remontent l’Irrawaddy, après avoir incendié un village entier et sa population, femmes et enfants y compris. Mais la jonque dans laquelle ils ont embarqué fait naufrage et, suite à un bref et sanglant combat, les survivants sont faits prisonniers. Durant leur captivité, ils accomplissent un voyage au cœur de leurs propres ténèbres. Un périple qui les transforme pour toujours.
1858, Londres. Au terme de la Grande Puanteur, on découvre un cadavre atrocement mutilé dans les égouts de la capitale. Devenu policier, Arthur Bowman croit reconnaître dans les sévices subis par la victime les signes de son propre calvaire en Orient. Torturé par ses geôliers, il porte en effet dans sa chair les stigmates de sa détention. Mais des séquelles plus graves hantent son esprit, l’obligeant à s’abrutir avec de l’alcool, du laudanum et de l’opium. En fouillant dans sa mémoire, il se souvient que dix hommes ont survécu avec lui. Le coupable figure forcément dans la liste. À Bowman de le retrouver pour mettre un terme à ses agissements, et qui sait, peut-être faire la paix avec son passé.

« La nouvelle que vous apportez, monsieur Bowman, c’est qu’il n’y aura pas de nouveau monde. Parce qu’ici la liberté de devenir soi-même s’offre aussi à des monstres comme votre ami. Et face à eux nous ne sommes pas suffisamment armés. C’est le combat d’hommes comme vous, et tant que vous existerez nous resterons des utopies. Vous êtes une objection à notre projet. »

À bien des égards, Trois mille chevaux vapeur s’apparente à un véritable coup de cœur. Le genre vous faisant mettre entre parenthèses toute autre activité. Le genre addictif, impérieux, vous condamnant à la réclusion et à la mort de toute vie sociale, le temps d’en achever la lecture. Bref, cela faisait un bon bout de temps que je n’avais pas apprécié autant un bouquin d’aventures.

Fresque historique échelonnée sur douze années, Trois mille chevaux vapeur nous fait traverser trois continents. On évolue ainsi des berges tropicales de l’Irrawaddy, aux grands espaces de l’Ouest américain, en passant par les rues populeuses de Londres au moment de la Grande Puanteur, épisode dont Antonin Varenne restitue de manière saisissante les effluves pestilentielles. On est également saisi par le regard désabusé que l’auteur porte sur l’homme et sur l’écriture de l’Histoire, un récit écrit par les vainqueurs est-il encore utile de le préciser ?
Au carrefour du thriller et du western, le récit s’attache aux pas d’Arthur Bowman, un dur-à-cuire, une brute sans état d’âme qui s’est engagée dans l’armée pour échapper à la misère de son quartier natal. En cela, il ne se distingue guère de ses congénères. Pour le compte de la Compagnie des Indes orientales, il a commis de nombreuses atrocités, obéissant sans rechigner aux ordres de supérieurs ne valant guère mieux que la racaille à leur service.
Bowman témoigne du basculement d’un monde vers un autre, sans doute plus moderne et policé, mais pas moins cruel et injuste. Antonin Varenne explore ainsi les angles morts du progrès, dévoilant ses facettes les moins vertueuses. Destruction de l’environnement, perpétuation de la misère et des inégalités, détournement des idéaux au profit des mêmes prédateurs, exploitation de l’homme par l’homme… On sent le regard désabusé de l’auteur venu du polar pour qui il n’y a pas de Bien ou de Mal, juste des gens qui disent non et boivent un coup, parce que c’est dur.
Au-delà de la série de crimes fournissant son fil directeur à la course-poursuite de Bowman, Trois mille chevaux vapeur se révèle aussi une quête personnelle, celle d’un homme cherchant à faire la paix avec ses démons intimes. Un anti-héros dépassant sa condition initiale d’archétype pour revêtir dans la douleur une personnalité beaucoup plus complexe.

Habité par un souffle romanesque indéniable et l’envie de faire vivre ses personnage, Trois mille chevaux vapeur se lit avec un réel plaisir, réussissant de surcroît à faire réfléchir sur la condition humaine et l’Histoire. Une belle réussite !

trois_mille_chevaux_vapeurTrois mille chevaux vapeur de Antonin Varenne – Réédition Le livre de poche, 2015

Les Royaumes brisés, Livre troisième du Codex Merlin

Entreprendre la lecture d’un cycle, c’est comme nouer une relation sur une longue durée, en l’occurrence ici strictement textuelle. On se passionne, on partage des émotions, on caresse maints espoirs, sans jamais véritablement savoir si les promesses trouveront leur accomplissement. Et puis, le dénouement arrive, avec son cortège d’impressions contrastées, déception, contrariété, apaisement… Ce temps de l’accomplissement est finalement arrivé pour ce Codex Merlin, amorcé avec Celtika, poursuivi avec Le Graal de fer et désormais achevé avec Les Royaumes brisés. Il est donc grand temps de se confronter à nos impressions.

« Je suis une part de tout ce que j’ai rencontré »
Ulysse de Lord Alfred Tennyson

Puisant sa matière dans les mythes celte, grec et crétois, Le Codex Merlin s’apparente à une sorte de tentative de syncrétisme mythologique, tissant des liens et dressant des passerelles entre les monde celte et méditerranéen.

Robert Holdstock ne s’en tient cependant pas à ce simple exercice de restitution mythologique, qui à la longue deviendrait fastidieux. Il modèle les mythes à sa convenance pour aboutir à un résultat bien supérieur à la somme des simples ingrédients composant les légendaires de ces deux civilisations. Sous sa plume, les motifs mythologiques resurgissent, revivifiés et pourvus des odeurs brutes de la nature : musc entêtant, fragrances des sous-bois et autres remugles moins agréables. Ils prennent corps littéralement pendant que les archétypes, dont on connaît déjà intuitivement les mille vies,  prennent chair pour sortir de l’ombre. Alors oui, tout ceci n’est pas nouveau, mais tout ceci nous est conté avec talent et maîtrise, au point de paraître très vivace encore. C’est bien là, l’unique magie perceptible dans le Codex Merlin, celle du Verbe protéiforme dont les anciens échos résonnent encore par-dessus le temps qui s’écoule.

« La mort de la vengeance est la plus belle de toutes les morts »
[Anonyme]

Le Codex Merlin,apparaît comme une succession d’affrontements marqués du sceau de  la vengeance et d’une destinée funeste. Avec Les Royaumes brisés, les dernières pièces de la tragédie se mettent en place pour l’acte final. A la fin du Graal de fer, Urtha pensait en avoir terminé avec la menace du Pays de l’Ombre des Héros. Hélas, ses manifestations reprennent, toujours aussi menaçantes. Les signes de mauvais augures s’accumulent et bientôt, les auberges (points de passage pour les défunts entre la contrée Fantomatique et le pays des vivants) réapparaissent sur les rives de la Nantosuelta.
En l’absence du souverain, le royaume est soudain entièrement absorbé par une brusque dilatation du pays fantôme. Séparé des siens, Urtha ne peut plus compter que sur Merlin, l’homme sans âge, même s’il se refuse toujours à utiliser la magie pour ne pas vieillir. Et puis, il y a toujours Jason sur lequel pèse le joug d’une vengeance inachevée. Pas seulement celle initiée, il y a très longtemps, par son épouse trahie Médée. Non, une vengeance beaucoup plus ancienne, s’avançant masquée derrière la puissance montante du façonneur.

Bref tout ceci semble bien compliqué, tant les destins sont enchevêtrés, tant le passé et l’à venir (par l’intermédiaire de ceux qui ne sont pas nés, en particulier le Pendragon) sont partie prenante dans cette Histoire. Mais, tout ceci reste passionnant jusqu’au bout.

D’aucuns reprocheront au Codex Merlin sa trop grande parenté avec la matière de « La forêt des Mythagos ». Ils n’ont pas tort. En dépit de ce léger bémol, cette trilogie se situe deux bons cran au-dessus de la fantasy stéréotypée dont les multiples épisodes débordent des rayonnages.

Graal_ferLes Royaumes brisés, Livre troisième du Codex Merlin (The Broken Kings, Book Three of the Codex Merlin, 2002) – Éditions Le Pré aux Clercs, 2007 (roman traduit de l’anglais par Thierry Arson)

Cookie Monster

Après des années de galère, Dixie Mae pense avoir enfin décroché le gros lot. Un emploi adapté à ses capacités, certes peu payé, mais donnant accès à une vue panoramique imprenable sur les montagnes de Santa Monica et aux installations de loisirs de son employeur. Embauchée chez LotsaTech, le nouveau géant de l’informatique depuis que celui-ci a englouti Microsoft et IBM, elle répond désormais aux appels dans un box du service clients de l’entreprise. Une activité de petite main qui ne l’empêche pas de nourrir de grands projets pour l’avenir. À la condition de dompter son esprit rebelle, car la jeune femme a le sang chaud comme on dit, et ce tempérament orageux lui a déjà occasionné de nombreuses déconvenues par le passé, en particulier avec sa famille. Pour autant, elle ne se décourage pas, espérant réussir sa période d’essai. Hélas, dès la première journée de travail, un email grossier vient remettre en cause toutes ses bonnes résolutions. Ouille !

Théoricien de la Singularité, connu surtout dans nos contrées pour le triptyque Un Feu sur l’abîme/Au Tréfonds du Ciel/Les Enfants du ciel, et peut-être éventuellement pour Rainbows End et le plus confidentiel La Captive du temps perdu (rattaché au cycle « Realtime » non intégralement traduit dans l’Hexagone), Vernor Vinge relève d’une science-fiction exigeante lorgnant vers la hard SF. Un courant stimulant dont les spéculations vertigineuses ont beaucoup contribué à mon goût pour le genre.

L’argument de départ de Cookie Monster ne s’embarrasse pas de complications. À dire vrai, l’intrigue toute entière suit un fil ténu que l’auteur nous fait remonter au long d’un parcours balisé, dépourvu de toute dramatisation, dont il nous révèle à mi-chemin les tenants et aboutissants. Ce n’est certes pas non plus pour la psychologie des personnages que l’on adhère à la novella, mais bien pour le vertige cognitif suscité par ses spéculations. En fait, Cookie Monster pourrait être sous-titré : la singularité vue de l’intérieur. La novella évoque en effet la lente (tout est relatif) émergence d’une I.A. Un processus dont on découvre ici une étape et dont le dénouement laisse deviner un méchant retour de bâton pour l’humanité.

Souvent considérée comme une littérature d’idées, la science-fiction donne sa pleine mesure dans des exercices de pensée convoquant les technosciences. Cookie Monster en fournit une parfaite illustration. Et si Vernor Vinge utilise un biais déjà vu auprès d’autres auteurs, il n’oublie pas d’acquitter son tribut à ses prédécesseurs, Theodore Sturgeon, Frederik Pohl, John Varley, Robert Charles Wilson, Hans Moravec, Daniel F. Galouye et L. Frank Baum (si si !).

Au final, malgré un traitement sommaire des personnages et une intrigue linéaire, Cookie Monster se révèle mon deuxième coup de cœur pour une collection pouvant déjà s’enorgueillir d’avoir traduit Le Choix de Paul J. McAuley. Un bon bilan qui me fait déjà oublier le rendez-vous manqué du Nexus du docteur Erdmann. Bon maintenant, j’attends avec impatience les textes de Ken Liu et Kij Johnson, promis pour le mois d’août. Tout est foutu !

Quelques autres avis ici.

Coockie monsterCookie Monster (The Cookie Monster, 2003) de Vernor Vinge – Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », février 2016 ( novella traduite de l’anglais [États-Unis] par Jean-Daniel Brèque)

Le Graal de fer, Livre deuxième du Codex Merlin

Je l’ai déjà dit ici, Robert Holdstock propose une vision syncrétique de la fantasy, à mi-chemin de l’Histoire et des mythologies. Le Graal de fer, deuxième volet du « Codex Merlin », ne déroge pas à ce principe. Le roman est façonnée à partir des mythes primordiaux et des légendes. On n’y trouve point de lutte manichéenne, d’archétypes pompiers ou de poudre de Merlin-pin-pin, mais plutôt des personnages humains, sensibles, marqués de secrètes fêlures et confrontés à leur destin.

« Une vision est le cours futur des événements le plus probable, mais si nous faisons des choix sages, nous pouvons éviter la ruine. »

Une multitude de choix s’offrent aux personnages du Graal de fer. Inlassablement, Jason poursuit la recherche de son fils Kinos « le petit rêveur » qu’une prophétie situe sur « une île aux murailles battues par les flots ». Comme la description semble correspondre à Alba, il choisit la voie de la trahison afin de parvenir à ses fins. Lui-même chassé d’Alba, Urtha souhaite reprendre sa place forte de Taurovinda, investie par les troupes du pays fantôme. Pour cela, le haut roi des Cornovides doit affronter la malédiction pesant sur son royaume avec, il l’espère, le soutien de Merlin. Tiraillé entre toutes ses amitiés et allégeances, le magicien doit pourtant trancher entre leurs intérêts divergents sans négliger ses propres souhaits. De cet écheveau naît un récit intimiste loin des explosions de violence auxquelles nous a habituée la fantasy adulescente. Un récit ne reniant pas le souffle de la légende et son caractère épique.

« Le temps est une spirale. Il commence jeune à l’extérieur, puis il vieillit au centre avant de se dérouler lui-même et de redevenir jeune. »

A l’image de la spirale, les mythes vieillissent mais leur symbolique finit toujours par resurgir sous une forme rajeunie. Intéressante fusion entre les mythologies grecques et celtes, le Codex Merlin nous permet d’appréhender ces mondes perdus et leur légendaire dont notre civilisation reste en grande partie tributaire. Difficile de faire la part entre l’imagination de l’auteur et la réalité historique, mais peu importe, car Robert Holdstock s’approprie cette matière, ce passé vestigiel pour mieux l’explorer dans ses angles morts et sa part de merveilleux. Son talent de conteur opère à plein, réactualisant les mythes pour leur redonner un nouveau sens.

Rendez-vous maintenant avec le troisième volet pour un dénouement que l’on espère à la hauteur du légendaire évoqué.

Graal_fer1Le Graal de fer, Livre deuxième du Codex Merlin (The Iron Grail, Book Two of the Codex Merlin, 2002) de Robert Holdstock – Éditions Le Pré aux Clercs, 2004 ( roman traduit de l’anglais par Thierry Arson)

Le Choix

Poursuivant mon exploration de la nouvelle collection « Une Heure-Lumière » au Bélial’, j’ai opté pour Paul McAuley, laissant de côté Vernor Vinge et son Cookie Monster. Un choix (ahah !) dicté par un penchant tenace pour l’auteur britannique. Que ce soit dans l’uchronie ou le New Space Opera, voire le thriller futuriste, j’avoue en effet que Paul McAuley parvient régulièrement à titiller mon imagination, même s’il ne me convainc pas toujours pleinement.

Le choix appartient au cycle « Jackaroo », hélas traduit de manière incomplète dans nos contrées. Si l’on veut trouver satisfaction, il faut aller chercher du côté de la revue Bifrost où est paru la nouvelle L’Homme, et dans l’anthologie « Le Nouveau Space Opera » où l’on trouvera au sommaire Gagner la paix. Pour le reste, plusieurs autres nouvelles et deux romans, renvoyons les éventuels curieux vers la langue de Shakespeare.

Quid de l’histoire ? Après avoir flirté avec la catastrophe, l’humanité a été contactée par les Jackaroos, des extra-terrestres pacifiques qui ont offert un exutoire à ses tendances auto-destructrices, via un trou de ver ouvert sur l’infini et au-delà (on croirait du pixar). Ce premier contact a facilité également les transferts de technologie, permettant d’atténuer en partie les effets nuisibles de l’anthropocène. Un cadeau empoisonné aux yeux des multiples sites complotistes persuadés de la duplicité des autorités et de leur collusion avec les Jackaroos. Dans le sillage de cette première rencontre, d’autres espèces spatio-pérégrines ont visité la Terre, essaimant à leur tour des artefacts incompréhensibles, renforçant les uns dans leurs certitudes et les autres dans leur méfiance.

Le Choix s’attache à deux adolescents, copains et voisins depuis l’enfance. Lucas vit dans une caravane avec sa mère alitée, ancienne pasionaria écologiste vouant les Jackaroos et leurs semblables aux gémonies. Damian subit les sautes d’humeur de son père, un aquaculteur violent et tyrannique. Les journées sont longues et monotones dans cette partie de l’Angleterre en proie à la submersion, dérèglement climatique oblige. Aussi, lorsque les deux jeunes garçons apprennent qu’un dragon s’est échoué non loin de là, ils embarquent dans un petit esquif et font voile vers cet artefact extraterrestre mystérieux.

Je ne peux pas dire que Le Choix soit un récit époustouflant, propre à aguicher le sense of wonder. Bien au contraire, la nouvelle joue plutôt sur la psychologie des personnages, deux adolescents qui, arrivés au carrefour de leur existence, doivent se choisir un avenir. L’étrangeté de l’artefact extraterrestre, le fameux dragon, n’opère qu’à la marge, la faculté de l’humain à définir et redéfinir son destin prévalant sur toute autre considération. Damian ne pense qu’au profit qu’il peut tirer de l’aventure, quitte à braver l’inconnu. Mais ce choix l’expose aux convoitises d’individus dangereux, intéressés par les bénéfices immédiats d’une technologie étrangère. Lucas semble le plus mature, même si son amitié avec Damian détermine en partie sa conduite. Il n’est manifestement pas dupe, ni de la propension à l’obscurantisme de sa mère, ni du miroir aux alouettes représenté par le dragon.

De par son tempo nonchalant, son atmosphère et le traitement assez fin de ses personnages, Le Choix s’impose comme une grande réussite, du moins à mes yeux. Paul J. McAuley joue avec le registre du roman d’apprentissage d’une manière assez juste, déroulant un questionnement au final très humain. À la manière des conteurs américains, tels Mark Twain ou Stephen King, il évoque avec finesse la période de l’adolescence, faisant des rêves de Damian et Lucas, de leurs velléités d’indépendance et naïveté intrinsèque, un récit tragique, un tantinet initiatique, dont le dénouement se révèle en fin de compte optimiste.

Après l’âpre Dragon et le banal Nexus du Docteur Erdmann, Le Choix déploie ainsi une petite musique bien sympathique, dans un registre sensible et humain bienvenu, justement récompensé par un prix Sturgeon en 2012.

Suite et fin de mon parcours à une Heure-Lumière de chez moi, bientôt. Avec Cookie Monster. Patience…

Un autre avis ici.

Le choixLe Choix (The Choice, 2011) de Paul J. McAuley – Éditions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », février 2016 (nouvelle traduite de l’anglais par Gilles Goullet)

Celtika, Livre premier du Codex Merlin

Connu en France pour La forêt des Mythagos, Robert Holdstock est également l’auteur d’un autre cycle : le Codex Merlin. Il y revisite pour l’occasion l’épopée des Argonautes à la lumière de la mythologie celtique.

Premier livre d’une trilogie, Celtika peut se lire de manière complètement indépendante, même si certaines pistes demeurent ouvertes, histoire de ne pas tuer toute envie de poursuivre l’histoire. Le roman s’avère très rapidement passionnant, particulièrement pour le lecteur en quête de tragédie, au sens antique du terme. Et, s’il est amateur de destin marqué par la fatalité, s’il apprécie la poésie des mots, il trouvera sans doute aussi son bonheur.
Le récit commence avec la résurrection (700 années après leur disparition) de l’Argo et de Jason, son capitaine. L’acte n’est bien entendu pas désintéressé. Il s’agit pour Merlin, LE Merlin des romans arthuriens, de lier son destin à celui de Jason, pour accomplir un voyage jusqu’aux portes du sanctuaire de Delphes.
En compagnie d’un équipage hétéroclite se composant de plusieurs Germains, Cimbres, Celtes, d’un Hibernien, d’une Scythe, d’une chamane nordique, d’un Crétois, d’un Dace et de son cheval, Merlin et Jason se lancent alors dans une odyssée pleine de surprises et de révélations.

Au confluent des mythes celtes et gréco-romains, Robert Holdstock bâtit un récit où quêtes et destins s’entremêlent, prenant pour décor le bruit et la fureur des invasions celtes. Si la magie n’est pas absente du récit, elle a un coût pour ceux qui en usent, en premier lieu Merlin lui-même. Le personnage est d’ailleurs assez différent de la vision arthurienne. Faible d’esprit, manipulateur, en proie au doute, souvent manipulé lui-même, le bonhomme ne correspond pas vraiment au portrait popularisé par les romans et films. Mais, en s’éloignant de l’archétype, il gagne en substance et en humanité, ouvrant les perspectives narratives.

Durant leur périple, les Argonautes côtoient dieux et esprits, empruntant les chemins de l’autre monde, convoquant les morts pour retrouver leur chemin et participant à la réhabilitation de cette grande civilisation celte, longtemps occultée de l’Histoire et de la mémoire par les civilisations grecque et romaine.

Au final, Robert Holdstock utilise à dessein les références historiques et mythiques, n’hésitant pas à mêler la plausibilité de l’Histoire antique à son imagination, avec une érudition qui laisse admiratif. L’univers celtique et gréco-romain se conjuguent avec élégance et harmonie en un syncrétisme païen et jubilatoire.
Voici donc un cycle commençant sous de bons auspices.

CeltikaCeltika, Livre premier du Codex Merlin (Celtika, Book One of the Merlin Codex, 2001) de Robert Holdstock – Éditions Le Pré aux Clercs, 2003 (roman traduit de l’anglais par Thierry Arson)

Nous allons tous très bien, merci

Une thérapie de groupe, quelque part aux États-Unis. Le fait ne mérite même pas qu’on s’y arrête tant les névroses et traumatismes abondent dans nos sociétés post-industrielles. Pourtant, ce groupe de parole a quelque chose de particulier. Chacun de ses cinq membres est un rescapé, un survivant, un miraculé…
Harrisson a survécu à l’horreur de Dunnsmouth, une abomination ayant provoqué une catastrophe indicible. Devenu Jameson au carré par le truchement d’une série de romans populaires ayant beaucoup brodé sur son expérience, il traîne désormais une réputation de tueur de monstres. Pas de quoi impressionner Stan qui, du fond de son fauteuil roulant, ne craint pas d’exhiber ses moignons comme des trophées. Un souvenir sinistre de son calvaire chez les Weaver, les terribles cannibales de l’Arkansas. Et puis, il y a Barbara, dont le corps couvert de cicatrices abrite les méfaits du Scrimshander, un serial-killer notoire. Même les lunettes noires portées par Martin ne pourront lui permettre de déchiffrer les inscriptions qu’elle porte gravées sur ses os. Pas sûr qu’il le regrette d’ailleurs, tant le spectacle des Autres, tapis derrière la fragile membrane nous protégeant de leur univers cauchemardesque, bouleverse ses jours et ses nuits. N’oublions-pas enfin Greta, frêle jeune fille habillée de noir, dont la présence mutique pèse sur le groupe et intrigue chacun de ses membres, y compris le Dr Jan Sayer, une praticienne un peu trop attirée par le paranormal. Tous espère trouver la paix et la sérénité, émerger du stress post-traumatique où ils végètent, bref retrouver une vie normale. Un tant soit peu normale dans un monde faussement paisible.

« Tu ne peux pas reprocher aux gens de vouloir entendre ton histoire. Tu es un héros. »

Que deviennent les survivants d’un slasher ou d’un roman d’épouvante lorsque le générique ou le livre s’achève ? Tel est le point de départ malin du court roman de Daryl Gregory. L’auteur américain transpose l’argument dans la vie réelle, imaginant cinq histoires singulières comme fil rouge d’un récit conçu comme le scénario diabolique d’un thriller. Les amateurs d’horreur ne manqueront sans doute pas de dresser un parallèle avec des films et des livres qu’ils ont apprécié. Nous allons tous très bien, merci ne se cantonne toutefois pas au simple exercice référentiel (voire révérenciel), même si la tentation de la comparaison participe au plaisir de lecture. Daryl Gregory nous livre surtout un huis-clos glaçant, dont le crescendo débouche sur un cliffhanger appelant une suite.
Au fil des séances, les cinq patients lient ainsi connaissance, s’apprivoisent et finissent par se faire suffisamment confiance pour dévoiler leurs fêlures intimes. On pénètre peu-à-peu aux tréfonds de leur psyché, découvrant l’univers angoissant qui les entoure et nous environne, car c’est aussi un peu nous qui participons au groupe grâce à un artifice narratif. Ainsi de leur chœur tragique, ponctué de quelques pointes d’humour noir, émerge un récit où l’humain côtoie l’horreur abyssale, sans verser dans le gore ou l’outrance tape à l’œil.

Bref, voici un chouette roman, tout en retenue et pudeur, histoire de passer un agréable moment de lecture référentielle.

Additif : Autre avis ici.

nous allons tous très bien_merciNous allons tous très bien, merci (We Are All Completely Fine, 2014) de Daryl Gregory – Éditions du Bélial’, 2015 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Laurent-Philibert Caillat)