Retour au roman noir, ici d’obédience sociale, avec un roman de Pascal Dessaint, un auteur que je découvre ici, bien qu’il me semble avoir lu jadis un Poulpe écrit par ses soins. On l’a déjà dit et on le redit, le polar français souffre de nombreux défauts, notamment une propension à ressasser les mêmes motifs, vieilles lunes usées jusqu’à la trame, et à asséner les convictions politiques de l’auteur comme des vérités suprêmes. Ici, rien de cela. Ouf !
Roman à deux voix, père et fille, un intervalle d’une quinzaine d’années séparant les deux lignes narratives, Les derniers jours d’un homme restitue, d’une manière criante de vérité, le malaise du milieu ouvrier. Des gens fiers de leur travail, mais en même temps conscients que leur outil leur coûte la santé et celle de leurs proches. Un terrible dilemme vécu au quotidien. L’usine conditionne en effet leur existence. Elle donne sens à leur vie et les tue aussi, sous un ciel chargé et un horizon limité par le crassier et l’autoroute. Pour ces damnés de la terre, confinés dans un enfer accepté, intégré à leur existence, l’usine vaut mieux que l’inconnu.
Pourtant, la pollution les environne. Dans le sol, dans l’air et dans ce qu’il mange, quelques légumes cultivés dans leurs moments perdus, on trouve du cadmium, du zinc et surtout du plomb. De quoi leur pourrir lentement la carcasse et produire des générations de tarés. On lave régulièrement à grande eau la cour de l’école. On enferme les enfants lorsque le vent est défavorable. Rien n’y fait. Pas un papillon ou un oiseau pour redonner de l’espoir. Une poussière grise, omniprésente, recouvre sous sa chape les rêves d’avenir. Un mot n’ayant de toute façon plus guère de sens depuis que l’usine a fermé, mise à l’encan par un patron voyou.
Roman noir et social dans la meilleure acception du terme, Les derniers jours d’un homme témoigne beaucoup mieux que bien des documentaires de ce désarroi de la classe ouvrière. Usant d’une écriture simple et sincère, dépourvu de tout misérabilisme, Pascal Dessaint n’oublie pas de nous narrer une histoire humaine, faite de non-dit, de lâcheté ordinaire, de bêtise, de générosité, de révolte et surtout de beaucoup de résignation. Et pendant que le système broie les hommes, ils continuent de broyer du noir, en reprenant un verre, parce que c’est dur.
Les derniers jours d’un homme de Pascal Dessaint – Éditions Rivages, 2010 (réédition Rivages/noir, 2013)
Je lis très peu de roman noir et n’y connait pas grand chose à vrai dire. Mais présenté comme tu le fais, ça me tente bien !
Celui-là est excellent. Je conseille et pas qu’une fois.