Golgotha

Villa Scasso, banlieue de Buenos Aires. Chômage endémique, alcoolisme, violence quotidienne, les lieux sont une vraie carte postale pour touriste suicidaire. À Scasso, on vit et on meurt. Pas question de quitter le quartier autrement que sur ses pieds, en devenant footballeur ou flic, ou les deux pieds devant soi. Un jour de neige, Magui perd sa fille. Un avortement clandestin raté. Du rouge sur fond blanc. La faute à pas de chance dit la rue, taisant le rôle joué par Kuryaki, le caïd local. Magui avait tout misé sur sa fille. Elle nourrissait de grands espoirs quant à son avenir. Quel parent ne se comporte pas ainsi, se voilant la face pour ne pas voir les véritables agissements de sa progéniture. Mais Magui ne supporte pas ce drame. Elle se suicide dans l’indifférence générale. La routine à Scasso. Sauf pour Calavera. Il a bien connu Magui avant d’entrer dans la police. Il a même failli l’épouser. Il connaît aussi Kuryaki. Un client sérieux jouissant de l’impunité. Dès lors, il n’a plus qu’une seule idée en tête : se venger. Le sang appelle le sang et tant pis s’il faut contrevenir aux règles du quartier, rompre le statu quo avec la bande des Gamins. Tant pis si Lagarto, son coéquipier et ami, lui conseille d’oublier, de laisser filer. Kuryaki doit mourir.

Vous l’ai-je déjà dit ? Les auteurs argentins méritent que l’on se penche (ou s’épanche) sur leur cas. Carlos Salem, Ernesto Sabato, Adolfo Bioy Casares, Jorge Luis Borges… Voici des auteurs géniaux ! Avec des romans à l’avenant. De quoi redonner foi en l’humanité (non, je déconne). Bref, cela fait un bout de temps que j’ai lu Golgotha de Leonardo Oyola. Et comme j’ai justement plein de temps libre, je vais en dire un mot tout de suite. Hop !

En lisière de Buenos Aires, la capitale, prolifèrent misère et délinquance. On appelle ces quartiers les villas miserias. Des lieux abandonnés de tous, sauf des pauvres. Un labyrinthe de maisons lépreuses, reliées par des pasillos censés empêcher le passage des voitures de police. Leonardo Oyola connaît bien ces quartiers populaires. Il y est né, y a vécu. Il connaît leurs règles et ce qu’il coûte de ne pas les respecter. Même si les ajustements structurels imposés par le FMI ont taillé des croupières aux rentiers patagons, et cela ne risque pas de s’arranger, l’Argentine jouit toujours d’une aura de pays riche en Amérique latine. Une aura agrémentée de clichés romantiques : tango et gauchos. Des représentations à la réalité, il y a bien sûr un gouffre comme Carlos Salem se charge de nous le rappeler dans une courte préface où il dépeint Golgotha comme un western moderne, un poème épique, rythmé et enragé, servi par un rock généreux.

Drame en trois actes, dont le découpage se réfère aux différentes stations d’un calvaire, Golgotha impressionne en effet par sa puissance d’évocation rageuse. On est littéralement immergé, pour ne pas dire aspiré, par l’histoire. A Villa Scasso, vie et mort font partie du quotidien de chaque habitant et chacun se doit de respecter les règles du quartier, même si la frontière reste mouvante entre ceux qui survivent et ceux qui tuent.

Récit syncopé, alternant digressions et accélérations de rythme, souvent dans le plus parfait désordre, Golgotha marque ainsi l’esprit. Sans concession, il agace, secoue, émeut, bref il ne laisse pas indifférent. A suivre avec Chamamé.

Golgotha (Golgotha, 2008) de Leonardo Oyola – Éditions Asphalte, 2011 (Roman inédit traduit de l’espagnol [Argentine] par Olivier Hamilton)

5 réflexions au sujet de « Golgotha »

  1. On ne le dit pas assez souvent,c’est vrai, les auteurs argentins sont fabuleux mais pas assez traduits.
    .Ernesto Sàbato « Le tunnel »et « heroes y tumbas »..de la très bonne littérature.

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