La quête onirique de Vellitt Boe

S’il me fallait établir un classement de mes lectures lovecraftiennes, je porterais au pinacle l’univers des « Contrées du rêve ». Découvert à l’époque où ils figuraient au sommaire du recueil Démons et merveilles, les textes de La Quête onirique de Kadath l’inconnue ont bénéficié d’une réédition chez Mnémos, aux côtés des autres récits ressortant du même monde (parus jadis dans le recueil Dagon). L’ensemble a profité au passage d’une nouvelle traduction qui, loin d’être seulement cosmétique, apporte une vraie plus-value à l’œuvre. Mais, ce n’est pas sur sa relecture que je vais m’étendre, plutôt sur sa réinterprétation par Kij Johnson dont j’avais dit grand bien au moment de la parution de la novella Un pont sur la brume.

L’autrice nous propose en effet avec La Quête onirique de Vellitt Boe une suite maline mais sans doute un peu sage de cet univers, on va y revenir. Pour tout dire, si j’ai trouvé l’argument féministe malin, il n’en va pas de même pour l’aspect ballade qui accuse de sévères coups de mou et ne parvient pas à masquer son côté plan-plan, même si l’arrivée dans le monde de l’éveil rattrape un tantinet le coup.

Revenons à l’argument de départ. Vellitt Boe est une vieille femme qui, après avoir beaucoup voyagé dans sa jeunesse, a décidé de poser son sac au sein du Collège de femmes d’Ulthar, institution exclusivement féminine dont le statut précaire n’est hélas plus à démontrer. Pensez-vous, comment accorder confiance à cette engeance féminine, surtout si elle se pique d’étudier les sciences comme les hommes ? Bref, même si la mansuétude masculine s’étend jusqu’à accepter de voir des femmes étudier à Ulthar, il ne faudrait pas grand chose pour voir cette faveur supprimée. Et justement, voilà qu’une jeune étudiante a pris la clé des champs… ou plutôt des rêves, entamant un voyage impromptu, en galante compagnie. Un incident bien fâcheux pour les dirigeantes de l’université, d’autant plus que son père leur apporte un appui non négligeable. Si l’événement inquiète beaucoup ses collègues, il permet à Vellitt Boe de reprendre son bâton de pèlerin afin de tailler la route pour rattraper l’écervelée. Elle entame ainsi un voyage en sens inverse de celui de Randolph Carter, des contrées du rêve au monde de l’éveil.

Ne tergiversons pas. Le principal point fort de La Quête onirique de Vellitt Boe apparaît bien dans ce personnage féminin auquel Kij Johnson apporte un traitement convaincant, lui conférant chair et âme. On troque ainsi le naïf et falot Randolph Carter, incapable de ne rien faire tout seul, contre une femme expérimentée, rodée aux us et coutumes, dont le regard désabusé, surtout sur son ancien compagnon, se teinte toutefois encore d’une once d’émerveillement, même si c’est dur. Car les contrées du rêve ne sont pas une terre idyllique, bien au contraire, les femmes y sont victimes autant qu’ailleurs de la discrimination et de la violence des prédateurs, surtout masculins. Et ne parlons pas des dieux, zoogs, goules inconstantes, gugs et autres créatures inquiétantes. Bref, prendre la route seule n’est pas un périple qui s’improvise et il convient de prendre toutes ses précautions au préalable. Rien d’insurmontable heureusement pour Vellitt qui ne s’est faite violée qu’une seule fois et qui a pris bien garde de se munir de son vieux poignard avant de partir.

Au cours de son voyage, Vellitt renoue donc avec ses impressions de jeunesse, rencontrant d’anciens compagnons de route devenus au fil du temps des sommités sclérosées. Et, c’est fort amusant. Mais, tout cela flirte un peu avec le passage obligé et manque d’inventivité, de spontanéité et pour tout dire de fraîcheur. Loin de réenchanter la contrée du rêve, La Quête onirique de Vellitt Boe se perd dans un voyage qui traîne en longueur sous la menace mollassonne d’un dieu lunatique et d’une apocalypse imminente. Ça fait beaucoup pour peu de pages. Heureusement, les qualités de plume de l’autrice compensent le caractère procédurier des péripéties, mais surtout le dénouement, dans le monde de l’éveil, apporte une touche de malice bienvenue, certes peut-être un peu expéditive, faisant oublier l’aspect laborieux de ce qui précède.

Au-delà du simple pastiche ou du pamphlet lourdaud, La quête onirique de Vellitt Boe réinvestit avec une bonne dose d’ironie l’univers du maître de Providence. Et, en dépit du caractère un peu fumeux de l’intrigue, j’ai finalement bien aimé ce bout de voyage en bonne compagnie.

D’autres avis indicibles ici.

La Quête onirique de Vellitt Boe (The Dream-Quest of Vellitt Boe, 2016) de Kij Johnson – Éditions Le Bélial’, février 2018 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Florence Dolisi)

7 réflexions au sujet de « La quête onirique de Vellitt Boe »

  1. Perso, j’ai beaucoup aimé aussi y compris le rythme parfois relâché de l’intrigue (que je pense tout à fait volontaire). J’espère qu’on aura l’occasion de lire d’autres textes de Kij Johnson en France rapidement…

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