Rêve de fer

Si Rêve de fer n’est sans doute pas le meilleur roman de Norman Spinrad, c’est sans conteste l’un des plus controversés, controverse dont la réédition nous a confirmé amèrement la véracité.
Rêve de fer vaut en effet davantage pour son procédé provocateur que pour son histoire fort linéaire et totalement crétine. C’est en l’occurrence cette provocation, ciblée sur un aspect politiquement sensible, qui a causé quelque retard à la précédente réédition chez Folio « SF ». Vous ne verrez donc pas les svastikas de l’illustration d’Eric Scala initialement prévue en couverture, puisque les ouvrages ont été envoyés au pilon. La faute à un climat politique délétère dans lequel résoudre un problème consiste à l’éluder. La faute aussi à des commerciaux trop frileux qui n’ont sans doute pas lu/compris (cochez la bonne réponse) ce roman. Bref, c’est une réédition pourvue d’une nouvelle illustration d’une laideur affligeante et avec une quatrième de couverture complètement retouchée, histoire de gommer toute ambiguïté, qui a finalement paru. Revenons maintenant à l’objet de toutes ces attentions, procès d’intention et frayeurs proto commerciales.
Rêve de fer s’annonce comme une uchronie. Et si… Tout le monde connaît le questionnement initial qui préside à ce domaine de l’imaginaire. Et si Adolf Hitler avait émigré aux États-Unis, l’ultime terre de liberté dans un monde dominé par le Communisme. Et si il y avait fait carrière dans les pulps, débutant dans l’illustration puis rédigeant et éditant du texte au kilomètre. Et si il y était devenu l’objet de l’adulation du fandom au point d’être commémoré par ses fan(atique)s au cours de réunions costumées. Et si ses pairs avaient salué son talent, et si la convention mondiale de science-fiction l’avait récompensé à titre posthume d’un Hugo en 1954. Et si Folio « SF » nous proposait la réédition de Le Seigneur du Svastika, son chef-d’œuvre d’heroic fantasy post-apocalyptique.
Rêve de fer… pardon, Le Seigneur du Svastika est donc l’œuvre majeure de l’auteur culte Adolf Hitler. Mais oui, vous connaissez certainement ! L’auteur de Le Triomphe de la volonté, du non moins célèbre L’Empire de mille ans, pour ne citer que quelques titres de sa prolifique bibliographie dont vous possédez certainement un exemplaire chez vous. Ce roman nous narre le destin du Purhomme Feric Jaggar, appelé à restaurer la fierté et la grandeur du peuple de la Grand République de Helden, menacé à la fois par la contagion cosmopolite des mutants et des métis et asservi par les Dominateurs.
La farce est grinçante. Bien sûr, sous ce récit transparaît l’itinéraire historique réel d’Adolf Hitler. Sous le masque de l’heroic fantasy binaire et musclée suinte l’idéologie raciste et belliciste nazie. Évidemment, rien n’est exactement identique à notre Histoire, mais tout est évoqué d’une manière décalée et assez proche pour être reconnaissable. On peut d’ailleurs — manière de trouver le temps moins long — s’amuser à pointer les références et les ressemblances avec la véritable histoire du dictateur nazi et de sa sinistre clique.
Fort heureusement, derrière le livre dans le livre et l’uchronie prétexte se profile une toute autre intention que l’on ne peut passer sous silence : Rêve de fer est un roman gigogne diablement affûté et furieusement iconoclaste.
Écrit à dessein dans un style exécrable, Le Seigneur du Svastika est doté d’une postface assez critique attribuée à un universitaire nommé Homer Whipple. Ce personnage fictif y livre une analyse acerbe de la psychologie tordue de Hitler. Il y relève l’homosexualité latente qui culmine avec le clonage des Soldats du Svastika et ridiculise l’adoration dont fait l’objet l’auteur et son œuvre. Vous l’aurez compris, Rêve de fer est aussi une machine de guerre tournée vers une certaine conception de la science-fiction. De celle que l’on affectionnait pendant l’Âge d’or.
Reste un problème. Mettre en exergue Adolf Hitler et son idéologie, même de manière voilée, ne risque-t-il pas de prêter le flanc à ce que l’on dénonce ? Je suis tenté de penser, à l’instar de Roland C. Wagner, qui préface d’une manière fort juste cette réédition, qu’il faut être soit complètement crétin, soit totalement néo-nazi pour prendre au premier degré ce roman. On pourrait même ajouter que le style adopté, volontairement mauvais et outrancier, contribue à discréditer son auteur auprès d’éventuels individus décérébrés désireux d’utiliser l’ouvrage. D’ailleurs, jusqu’à preuve du contraire, les organisations d’extrême droite n’ont pas inscrit Le Seigneur du Svastika à leur programme de lecture.
En l’attente d’un démenti, contentons-nous d’affirmer que Rêve de fer n’est pas un roman. C’est un bras d’honneur envoyé à la face de l’Etablisment science-fictif états-unien, anticipant d’une certaine façon Il est parmi nous, autre titre de Norman Spinrad. C’est une ordalie punk (avant la lettre) menée à un train d’enfer. C’est un exorcisme personnel, comme le souligne là aussi Roland C. Wagner. Bref, une expérience que le lecteur reçoit de plein fouet et accepte ou rejette avec violence.
Rêve de fer (The Iron Dream, 1972) de Norman Spinrad – Réédition Gallimard, collection Folio SF, mai 2006 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Jean-Michel Boissier)

18 réflexions au sujet de « Rêve de fer »

  1. Merci pour cette intelligente chronique d’un roman surprenant. A noter que la couverture « historique » du Livre de Poche ne s’encombrait pas des hésitations que tu relates ici…

  2. Je suis toujours passé à côté, le résumé me laissant quelque peu perplexe (la pauvreté du style voulue n’a pas aidé) à une époque où on avait moins froid aux yeux. Si Rêve de fer aurait pu inspirer les fachos de tout poil, ça fait longtemps que ça se saurait. Bon, je ne sais pas si je tenterai la chose, je crois que j’ai d’autres priorités de lecture.

      • En même temps, je ne devrais pas être étonné. L’extrême droite ratisse le plus largement possible (j’ai découvert que Onfray fait partie maintenant des intellectuels soutenus par l’extrême droite) et je m’attends à ce qu’ils célèbrent un jour Staline ou Marx. Ah zut, c’est déjà fait pour l’un.

      • Ah zut, on ne peut plus répondre sur la réponse. Pour Onfray, j’avoue que je me perds dans les classements des intellectuels français. Je suis probablement moi-même un peu anar de droite sans le savoir. Mais ça peut expliquer des choses 🙂 (je ne suis pas super calé sur l’anarchisme de droite).

      • On ne peut plus répondre sur une réponse. C’est étonnant.
        Concernant l’anarchisme de droite, il y avait un Que sais-je sur le sujet. Assez bien fichu. Sinon, ce billet est assez synthétique sur le sujet.

      • C’est normal que l’on ne puisse plus répondre directement au bout d’un moment avec WordPress. Il y a une limite dans les commentaires imbriqués car certains thèmes ajoutent un retrait (et au bout d’un moment, on atteint le bord de la page). Je ne sais pas à quel point c’est réglable pour wp.com. Merci pour ces liens, je vais lire ça pour ne pas mourir idiot.

      • Ah, si on répond en suivant le lien du mail, la réponse est bien rangée dans la bonne discussion (mais le bouton «répondre» n’apparaît pas pour les autres visiteurs). Je viens de lire l’article et en effet, je comprends en quoi Onfray (ou ce que j’en connais) est anarchiste de droite. Dans sa contre histoire de la philosophie, il préfère les philosophes qui sont dans l’action plutôt que ceux qui sont dans la pensée pure. Mais il n’aime pas Sade qui me parait (bon, de manière anachronique) plutôt tendance anarchiste de droite (je parle ici d’un sujet que je ne maîtrise guère). Je suis probablement anar de droite d’un point de vue artistique (je viens de me faire traiter de sale élitiste pour avoir dit du mal des reprises en BD) mais pas du tout politiquement.
        Désolé de blablater ici, ce n’est peut-être pas le bon endroit.

      • Si être exigeant dans ses attentes et ne pas hésiter à dire ce que l’on pense d’une œuvre, en argumentant, revient à se faire taxer d’élitisme, je veux bien l’être aussi.

  3. Merci pour ce vibrant plaidoyer pour des oeuvres crétines et outrancières, c’est vrai qu’on en manque un peu en ce moment. J’ai moi-même voulu écrire un hommage pounque à Rêve de fer en me moquant de l’establishment science-fictif, et puis finalement faute d’accointances avec l’héroic fantasy je me suis arrêté au format carte de voeux, la littérature ignore à quoi elle a échappé et c’est tant mieux.

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