Sous d’autres longitudes, dans une temporalité parallèle évoquant des époques familières et anxiogènes, l’île de Montréal est devenue une commune libre, détachée de l’Etat fédéral canadien. Assiégés par l’armée, pointés du doigt par tout ce que le monde compte d’idéologies autoritaires, en proie à la pénurie, au doute et à la crainte d’un assaut imminent, ses habitants attendent un petit matin paisible, goûtant aux joies de l’autonomie et de l’auto-gestion, avec plus ou moins d’appétence pour l’anarchie et le Grand Soir. Entre le vidéo-club où elle officie, dispensant sa connaissance des films de série Z au quidam de passage, et un appart’ bordélique, ultime bastion du format VHS face à la vague montante du betamax, Nikki ne semble pas trop perturbé dans ses routines. Après tout, n’a-t-elle pas d’autres chats à fouetter ? Un tueur particulièrement sadique ne s’est-il pas mis en tête de supplicier les ratons laveurs, ameutant la brigade anti-spéciste du coin ? Son amie et amante Kim n’a-t-elle pas rompu, préférant les arcanes ésotériques de la technologie numérique aux humeurs changeantes de sa compagne ? Alors, pour couronner le tout, si la géopolitique s’est mise en tête de saccager son paysage, que peut-elle y faire ? Autant cultiver son propre jardin, s’enfoncer sous sa couette, en espérant échapper à l’effondrement du monde tel qu’il va mal.
« L’humain ne court pas à sa perte, il y va en voiture. »
Pénétrer dans un roman de Sabrina Calvo, c’est un peu comme s’introduire par effraction dans un univers riche de promesses et surprises. Ça passe ou ça casse. D’une langue empreinte d’argot, puisé aux sources du parler québécois et du langage geek, l’autrice nous immerge sans transition au sein d’une poésie en prose entêtante, non dépourvue d’éthique et d’arrière-pensées politiques. Entre Grand Soir fantasmé et TAZ chère à Hakim Bey, Toxoplasma nous raconte l’itinéraire décalé de personnages n’ayant pas renoncé à leurs rêves et leurs idéaux.
À la fois drôle et dramatique, Sabrina Calvo accouche d’un récit foutraque où se croisent une chaussette transformée en marionnette, une enquêtrice dotée de nombreux talents dont celui de la ventriloquie, des drones armés et dangereux, des rituels sacrificiels sanglants, une armée de chats déterminés à pirater l’internet via la toxoplasmose, un crapaud-garou et toute une ribambelle de personnages au moins aussi inquiétants que grotesques. On ricane, on jubile, mais on est aussi parfois un peu perdu. Fort heureusement, l’autrice multiplie les allusions à la contre-culture et aux ZAD, balançant les saillies grinçantes contre notre monde, avec un art de la formule assez réjouissant. Elle peuple les marges de son récit de dangereuses visions mais aussi de merveilles, où le réel se délite sous les coups des virtualités combattantes du fantastique, des séries Z, des mythes premiers et de la low-tech. Sabina Calvo dessine ainsi un ailleurs plus conforme à la liberté, comblant les attentes d’un lectorat lassé du bruit blanc d’une oppression douce, maquillée en progrès consumériste supposé infini.
Pour peu que l’on adhère à son univers composé de bric et de broc, Toxoplasma propose donc une immersion gaillarde et poétique dans une forêt de signes et de signaux dont on ressort étourdi, mais nullement dégoûté.

Toxoplasma – Sabrina Calvo – Éditions La Volte, septembre 2017
Vendu camarade ! Et merci pour cette chronique, sans elle, je serais passé à côté de ce qui semble être une petite pépite bien barrée.
Je suis étonné que tu ne l’ai pas lu, connaissant (un peu) tes goûts.
Nope, mais c’est effectivement parfaitement dans mes goûts 😉
Sous la colline qui se passait dans La Cité radieuse du Corbusier (Marseille)était pas mal .
Celui là me tente moins.
Pas encore lu « Sous la colline ». Faudra que je.