Encore un roman post-apo sur ce blog me direz-vous à raison. De surcroît teinté de féminisme et d’écologie. Trop, c’est trop ! On veut des petites fleurs, la prime de rentrée et une indemnité pour payer le surcoût généré par la hausse du prix du carburant afin de continuer à partir en week-end. Raté, ce ne sera pas le sujet de cette chronique.
Sarah Hall connaît bien le Lake District. Elle est un peu née dans ce coin du Royaume-Uni. Avec Sœurs dans la guerre, elle opte pour l’anticipation légère, imaginant le monde d’après, celui qu’on nous promet hostile, les bienfaits de l’existence se réduisant peu-à-peu à une peau de chagrin. Elle transpose son récit au cœur des montagnes de cette région sauvage, nous faisant vivre par procuration l’effondrement de la civilisation et de nos certitudes sur le progrès irrésistible.
Comme prévu, une partie du territoire britannique a été submergé, suite à l’élévation du niveau des océans. La désorganisation de l’économie, les migrations massives et les pénuries ont enfoncé le clou, fragilisant l’État de droit et facilitant son remplacement par l’Autorité, un gouvernement de nature plus autoritaire. Limitation des naissances, rationnement, contrôle des déplacements de population, travail obligatoire, surveillance généralisée, l’avenir dépeint par Sarah Hall n’est pas des plus riants, surtout pour les femmes. À l’instar de La Servante écarlate, la fécondité féminine est en effet l’objet de toutes les attentions masculines, donnant lieu à des pratiques vexatoires. Mais, le sexe dit faible n’est peut-être pas totalement désarmé face au rabaissement de sa dignité. Quelque part au cœur des montagnes du Lake District, dans les territoires ruraux laissés en friche après la déportation de la population dans des villes transformées en camps de travaux forcés, la nourriture étant désormais envoyée par le grand frère américain, survit une communauté composée de femmes battues, des femmes en souffrance formant une sorte de matriarchie. Dirigée d’une poigne de fer par Jackie Nixon, une ancienne militaire, elles refusent de se soumettre à l’Autorité. Sœur, elle n’en dira pas davantage sur son ancienne identité, a décidé de les rejoindre, laissant derrière elle un mariage terne et une existence placée sous le joug des hommes. Forcément idéalisée au départ, son expérience avec les sœurs de Carhullan la confronte avec une réalité plus rude dont elle se fait la narratrice.
Ne tergiversons pas. Sœurs dans la guerre est un roman âpre dont la fin ouverte peut dérouter. Sarah Hall s’attache à retracer le parcours de Sœur, une femme sans éclat, à tous points de vue, de sa fuite longuement préparée, non sans une part d’improvisation, à son arrivée parmi les femmes de Carhullan. Un périple comptant son lot d’imprévus et pas toujours conforme aux attentes de la fugitive. Au sein d’une nature rude et majestueuse, on découvre ainsi la réalité d’un quotidien fait de tâches répétitives, mais nécessaires à la survie, dans un contexte précaire où les ressources se font rares et où le confort paraît un luxe. Carhullan a toute les apparences d’une utopie inspirée de la contre-culture, où l’on pratique l’autarcie et la démocratie participative, sans rechigner sur l’entraide, même si la méfiance prévaut toujours un peu. Car l’utopie s’avère ambiguë, comme on l’appréhende petit-à-petit au contact de la communauté. Les sœurs vivent sous la coupe de Jackie, dont le charisme marque de son empreinte toutes les décisions prises lors des assemblées. Elle est à la fois l’inspiratrice et le moteur des actes accomplis au nom de la liberté. Elle sème ainsi dans les esprits les semences d’une forme de radicalité, usant de la séduction et de la menace latente pour conquérir les suffrages de ses consœurs. Sarah Hall décrit ce basculement progressif, cet abandon de l’utopie tranquille pour la lutte armée, avec des mots simples et durs qui sonnent justes. Vécue par sœur comme la révélation de sa nature profonde, cette mue se fait au prix d’une prise de conscience forgée dans la violence.
Au-delà du contexte post-apo, Sœurs dans la guerre est donc un roman d’apprentissage, une fable féministe préférant la dureté et l’incertitude du combat au confort de la dialectique ou du repli sur soi.

Sœurs dans la guerre (The Carhullan Army, 2007) – Sarah Hall – Éditions Payot & Rivages, avril 2021 (roman traduit de l’anglais par Éric Chédaille)