Prépublié dans le magazine Big Comic Spirits entre 1998 et 1999, Spirale fait l’objet d’un enthousiasme frénétique auprès des lecteurs déviants, friands de body horror. Après avoir lu la chose, je conviens que cette réputation n’est pas usurpée et je rejoins illico les adeptes vouant un culte à Junji Itō, le mangaka à l’origine de cette histoire effroyable. Il m’aura pourtant fallu attendre sa réédition dans une fort belle version intégrale pour en juger et succomber à la fascination.
Quid de l’intrigue ? On se contentera de dire qu’elle tient à peu de choses, se développant autour d’un couple de lycéens formé par Kirié et son amoureux Schuichi. Les deux ados sont liés par une fidélité indéfectible et par la connaissance de la malédiction frappant leur petite ville. Isolé entre la mer et la montagne, Kurouzu partage en effet de nombreux points communs avec ces communautés imaginaires hantées par un secret indicible qui les poussent inexorablement à leur perte.
Tout commence par l’obsession bizarre d’un père de famille pour les escargots et s’achève sur un spectacle d’apocalypse. Entre les deux événements, l’anodin et l’extraordinaire, nous sommes conviés à suivre une succession d’épisodes macabres dans un crescendo horrifique frappé du sceau fatidique de la spirale. Plus cercle vicieux que symbole de l’infini ou de l’immortalité, le motif marque de sa volute le destin et la chair des habitants de Kurouzu, mais aussi de tous ceux venus ici par curiosité ou pour les secourir.
Junji Itō bâtit une intrigue diabolique, oscillant entre la folie et la raison. En effet, qu’est-ce qui est vrai dans ce drame ? Où commence l’illusion et où s’arrête la réalité ? On se pose la question avec Kirié avant de se résoudre à succomber au point de vue paranoïaque de Schuichi puisque rien de rationnel ne peut expliquer la folie qui s’empare des habitants de Kurouzu. La spirale grandit ainsi en puissance en même temps qu’elle pervertit les habitants de la petite cité. On les voit sombrer au fil d’événements sans lien entre eux, comme autant de pièces apparemment dépareillées, mais dont l’agencement dessine peu-à-peu un tableau funeste et mortifère. Quelques épisodes attirent tout particulièrement l’attention. Celui des femmes enceintes et de leur progéniture épouvantable. Celui de la mère obsédée par la spirale au point de vouloir en éradiquer le motif dans toutes les parties de son anatomie qui en rappellent la forme. Celui du phare ou de la cabane du démon. Tout converge vers la même fin, une malédiction antédiluvienne à laquelle nul ne peut se soustraire. Kurouzu sombre sous nos yeux et on assiste à sa déchéance, non sans éprouver une fascination morbide pour le processus.
Sur ce point, Junji Itō ne ménage pas son trait, restituant les aspects les plus glauques et contre-nature du phénomène. Il donne ainsi substance aux pires cauchemars, s’appuyant sur les passions, les psychoses ou les interdits moraux, mais en torturant aussi littéralement les corps et les esprits pour en tirer un spectacle grotesque et dérangeant.
Difficile donc de ne pas tomber sous l’emprise de Spirale, tant l’œuvre fascine et impressionne par la puissance de son imagerie choquante. Avec ce mélange de body horror et de weird fiction, Junji Itō nous cueille sans coup férir, s’amusant de notre attirance insidieuse pour le malsain et le sordide.
Spirale (Uzumaki, 1999) – Junji Itō – Réédition « intégrale » Delcourt/Tonkam, collection « Seinen », 2021 (manga traduit du japonais par Jacques Lalloz)

Une des rares manga que j’ai lues et j’ai été traumatisé. J’ai aussi vu à Nantes une adaptation ciné qui m’a bien horrifié aussi.
Tiens ! Je ne savais pas qu’il avait été adapté. Je vais essayer de le trouver.
Le film était projeté au festival SF de Nantes il y a fort longtemps – pas sûr qu’il ait été distribué largement – et ne portait que sur le début du manga.
Apparemment, une nouvelle adaptation en anime est dans les tuyaux : https://www.serieously.com/uzumaki-anime-horreur-repousse-decouvrez-teaser/
Est-il bien sain pour les animateurs de bosser des années sur un truc aussi cauchemardesque ?
Peuh ! Un petit jet de dé de sauvegarde mentale et c’est reparti !
Cela fait assez longtemps (2016) , en fouillant d’ailleurs dans les archives nebalesques, que j’avais entendu parler de ce manga. Seule une légère aversion pour le genre horrifique m’a empêché de franchir le pas. Pourtant ça semble trancher au milieu d’une surproduction de manga lénifiante voir bêtifiante.
L’essayer, c’est l’adopter.