Dans un avenir peut-être pas si lointain, la bipolarisation du monde est désormais un fait établi. Down Below, sous la grisaille aux reflets de rouille du Brown, on travaille, on produit, on s’échine à la tâche et on se ruine la santé pour faire fonctionner la machine. Pendant ce temps, Up Above, les nababs des grands consortiums goûtent au confort d’un pays de cocagne, délocalisés en orbite terrestre, sûrs de ne manquer de rien, convaincus de l’innocuité de l’air respiré, de la douceur de l’atmosphère climatisée et de la chaleur d’un soleil pacifié. Bref, ils vivent au paradis, jouissant d’une jeunesse éternelle à l’abri du besoin dont ils partagent les miettes avec les rares élus montés au-dessus de l’horizon pour les servir. Down Below, les illusions frelatées diffusées par les domocubes Sensipac entretiennent la paix sociale, adoucissant la rugosité de la vie réelle des damnés de la terre. Un investissement ne remettant en rien le statu quo. À la condition d’alimenter sans cesse les canaux de la machine à rêves.
Bienvenue dans l’avenir selon Richard Canal. Les plus anciens se réjouiront sans doute de retrouver l’une des plumes les plus stimulantes des années 1980-1990. Passionné par l’Afrique, au point d’anticiper l’afrofuturisme avec la trilogie Swap-Swap/Ombres Blanches/Aube Noire, et fasciné par l’Asie, l’auteur a également flirté avec le courant cyberpunk. Sur ce blog, on ne chantera jamais assez les louanges de son premier roman La Malédiction de l’Éphémère, titre ayant fait l’objet d’une réédition révisée en 1996. On ne dira jamais assez de bien de son recueil Animamea. Depuis le début des années 2000, il s’était fait beaucoup plus discret. Son retour du côté de la science-fiction apparaît donc comme une bonne nouvelle.
Avec Upside Down, rien de neuf sous le soleil. Dans un registre dystopique, Richard Canal imagine un avenir cauchemardesque où les maux inhérents de notre présent ont poursuivi leur route, contribuant à notre déroute et à l’effondrement de la biosphère. Mais, loin de se résigner à l’inévitable, il pose les jalons d’une renouveau prenant la forme d’une révolution. Rien de neuf, on vous dit. Pollution, exploitation de l’homme par l’homme, bouleversement climatique, manipulations génétiques, via l’humanisation de certaines espèces animales, clonage, jeunisme, si l’auteur déroule en effet le catalogue bien connu d’un futur en état de collapsus, il ne se veut aucunement pessimiste, brodant une intrigue déclinée en trois lignes narratives qui adoptent les points de vue des dominants et des dominés.
On épouse ainsi le regard de Bill Gates, cinquième du nom, dont l’empire du loisir contribue à la paix sociale Down Below. L’entreprise du magnat est cependant menacée par la rébellion de sa fille adoptive, clonée à partir des gènes de l’actrice Maggie Cheung. Devenue l’égérie de bon nombre de déshérités, l’interprète du film In The Mood for Love refuse en effet de continuer à tourner le remake 3D du chef-d’œuvre intemporel de Wong Kar-Wai, préférant inspirer la colère généreuse des damnés de la Terre plutôt que de contribuer à leur apathie. On croise aussi un duo insolite de détectives, composé de l’habituel dur à cuire et de son collègue, incarné ici par un Saint-Hubert humanisé (faut-il y voir une réminiscence du chien de Ghost in the Shell, l’anime de Mamoru Oshii ?). On suit aussi l’itinéraire d’un artiste un tantinet révolutionnaire, au sens propre comme au figuré, et de sa muse, une empathe aux dons surprenants. Tous ces personnages contribuent à donner chair à une intrigue qui, si elle ne brille pas par son originalité, reste portée par une prose ne manquant pas de références, notamment au situationnisme, et n’étant pas dépourvue de fulgurances visuelles saisissantes.
On est maintenant curieux de lire le prochain roman de Richard Canal, annoncé sous le titre de Cristalhambra. À suivre
Upside Down – Richard Canal – Éditions Mnémos, octobre 2020

Ça fait quand même un peu peur tous ces persos cheloux
Le freak, c’est chic !