La Terre sous l’Angleterre

La Terre sous l’Angleterre est la réédition d’un roman paru jadis chez Gallimard, puis plus récemment chez Terre de brume, sous le titre Le Peuple des ténèbres. Publié dans la belle collection dédiée au fantastique et au merveilleux scientifique chez L’Arbre vengeur, le présent récit n’y usurpe pas sa place, livrant de surcroît un aperçu de cette littérature d’avant-guerre taraudée par les velléités dystopiques, l’époque étant hélas marquée par la montée des totalitarismes de toute obédience. Préfacée par Guy Costes dans une édition retrouvant un titre plus proche de la version originale, La Terre sous l’Angleterre dévoile également sa nature de récit implanté en terre creuse.

L’intrigue du roman de Joseph O’Neill a le mérite de la simplicité. Pour retrouver son père disparu dans les parages du Mur d’Hadrien, le narrateur s’aventure dans les entrailles de la terre, poursuivant en cela une longue tradition familiale. Chez les Julien, on est en effet assez fier des origines romaines du clan, au point d’entretenir la légende de l’existence d’un passage vers un monde souterrain où vivraient les descendants des bâtisseurs du mur. Dont acte. Le dernier des Julien profite donc d’une période de sécheresse pour descendre sous terre, via une grotte cachée, révélée par la décrue des eaux de l’étang qui jusque-là en cachait l’existence. Bravant les créatures monstrueuses qui s’y tapissent, ballotté par les rapides d’un fleuve souterrain, dans une embarcation de fortune, il franchit ainsi les falaises qui séparent la surface de la terre de la cité où habitent les descendants des illustres Romains.

Récit d’aventure, La Terre sous l’Angleterre dresse le portrait glaçant d’un monde totalitaire où prévalent l’utilitarisme et un État totem. Préférant la sécurité d’une existence sous contrôle, les héritiers de Rome ont ainsi renoncé à leurs relations sociales, familiales et à toute empathie pour autrui. Ils ont abandonné la parole, optant pour les vertus d’une communication non verbale, plus proche de l’hypnotisme que de la télépathie. Jugée dangereuse par les élites de la cité, seules détentrices du savoir, la liberté a été proscrite sans susciter de réprobation, la peur des ténèbres restant la plus forte.

En dépit de ce synopsis engageant, La Terre sous l’Angleterre a cependant les défauts et les qualités de son âge. D’aucuns pourront juger les aventures du dernier des Julien un tantinet répétitives, voire surannées. Difficile en effet de ne pas succomber à l’ennui devant la monotonie des descriptions et des péripéties d’un récit qui, une fois passée la découverte de la société souterraine, s’embourbe dans la longue description de la « Grande » évasion du narrateur. De phases de déprime en sursaut de vitalité, il passe par toutes les nuances du renoncement et de l’espoir, opposant à l’emprise mentale du totalitarisme une force psychique digne d’admiration. C’est bien peu pour pimenter des pérégrinations ne ménageant que peu de surprise et on saute des passages entiers, histoire d’abréger notre calvaire.

Ce n’est donc pas pour son rythme et le traitement de son personnage principal que l’on se souviendra de La Terre sous l’Angleterre, mais bien pour le message qu’il dispense. Pour O’Neill, la peur est vraiment la petite mort qui occulte la raison et pousse le citoyen dans les bras de dirigeants faussement vertueux. Elle les fait basculer irrésistiblement vers la dictature et le totalitarisme, les promesses de sécurité et d’égalité absolue étant toujours plus enviables que l’inconnu de la liberté. En-cela, le propos de La Terre sous l’Angleterre reste plus que jamais d’actualité, en dépit d’une narration (traduction?) pesante et d’une intrigue passe-partout.

La Terre sous l’Angleterre (Land under England, 1935) – Joseph O’Neill – Réédition L’Arbre vengeur, juin 2022 (roman traduit de l’anglais [Irlande] par Jacques Gans, traduction revue et corrigée)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s