Poursuivant le travail patrimonial commencé avec la réédition de Le Crépuscule de Briareus, les éditions Argyll ont exhumé dans une traduction révisée par Pierre-Paul Durastanti ce que l’on peut considérer comme l’œuvre majeure de Richard Cowper. Décliné en trois tomes le cycle de L’Oiseau Blanc de la Fraternité développe l’univers esquissé dans la nouvelle « Le Chant aux portes de l’Aurore » dont le titre inspiré du roman de Kenneth Grahame donne également son nom au premier album des Pink Floyd.
Dans un avenir oscillant entre anticipation post-apocalyptique et fantasy médiévale, le tout n’étant pas sans rappeler l’archipel du rêve de Christopher Priest, du moins pour le décor, Richard Cowper nous immerge au cœur d’un récit marqué par le messianisme, la transmigration des esprits et les mythes du recommencement. Entre christianisme (prophétie et déluge obligent) et conte (comment ne pas penser à la légende du Joueur de flûte d’Hamelin), l’auteur narre une histoire de rédemption s’étirant sur plusieurs générations. Un récit qui voit les promesses d’harmonie, de paix et de fraternité se réaliser, après moult péripéties.
D’aucuns découvriront ainsi une Grande-Bretagne réduite à un confettis d’îles où seuls les sommets des plus hauts reliefs émergent des flots résultant de la submersion progressive des terres, provoquée par l’élévation des mers et océans autour de l’an 2000. Un millénaire plus tard, après une période de désordres violents, dans un monde à l’apparence médiévale, marqué par la régression technologique, l’humanité survit tant bien que mal sous le joug de l’Église chrétienne et de ses séides autoritaires, corbeaux inquisiteurs et faucons armés, résolus à éradiquer la menace de cette secte naissante, La Fraternité de l’Oiseau Blanc, dont le message sape les bases de leur pouvoir.
« Le premier avènement fut celui de l’homme ;
Le deuxième, celui du feu pour le brûler ;
Le troisième, celui de l’eau pour noyer le feu ;
Le quatrième est celui de l’Oiseau de l’Aurore. »
Transmigration des esprits, communion des sensibilités, message de paix, Richard Cowper narre un récit à hauteur d’homme dont la teneur n’est pas sans évoquer celui d’un christianisme naissant, dépourvu des attributs souverains, ceux auxquels aspire toute religion attirée par la théocratie. Un récit non exempt de miracles, de bonté et d’actes extraordinaires. En somme, une sorte d’évangile, mais porté par les sonorités musicales d’un joueur de pipeau. L’auteur britannique n’est cependant pas avare de détails lorsqu’il faut dépeindre la ruse, la cruauté et la violence intrinsèque de la tyrannie, quitte à choquer (d’où l’avertissement inséré dès l’entame du présent ouvrage). La rédemption n’est pourtant jamais très loin et les pires serviteurs de la théocratie peuvent eux-mêmes douter et retourner leur cuirasse pour épouser la cause qu’ils ont combattu jusque-là.
Si Richard Cowper emprunte son décor à l’anticipation post-apocalyptique, le propos de L’Oiseau Blanc de la Fraternité se cantonne toutefois à l’univers du conte, celui d’une fantasy douce empruntant ses ressorts à un Moyen-âge fantasmé et à une forme de magie mystique. La submersion des terres, même si elle trouve quelques échos dans notre situation présente, urgence climatique oblige, ne sert finalement que de prétexte à l’auteur pour dérouler les motifs d’une prophétie initiée par un sacrifice quasi-christique. Une geste où se retrouve le goût de l’auteur pour la supériorité de l’esprit sur la technologie. Une transcendance plus forte que la matière et le temps,
S’il n’est pas désagréable aujourd’hui de (re)lire L’Oiseau Blanc de la Fraternité, force est toutefois de constater que le cycle accuse son âge, même si le message sur l’éternel recommencement de l’Histoire semble plus que jamais d’actualité. On peut aussi le lire comme le témoignage d’une époque où l’anticipation se teintait de mysticisme et de philosophie, en espérant que les bouleversements issus de la submersion des terres décrits dans le présent cycle ne prendront pas la tournure d’une prophétie auto-réalisatrice.
L’Oiseau Blanc de la Fraternité – Richard Cowper – Recueil regroupant la nouvelle « Le Chant aux portes de l’Aurore » (« The Piper at the Gates of Dawn », 1975), les romans La Route de Corlay (The Road to Corlay, 1977), La Moisson de Corlay (A Dream of Kinship, 1981), Le Testament de Corlay (A Tapestry of time, 1982) – Réédition Argyll, novembre 2022 (textes traduits de l’anglais par Claude Saunier, révision par Pierre-Paul Durastanti)
