Le Trésor de la Sierra Madre

Adapté au cinéma en 1948 par John Huston, avec dans l’un des rôles principaux Humphrey Bogart, Le Trésor de la Sierra Madre n’est sans doute pas pour rien dans l’attrait pour B. Traven. L’adaptation lui a apporté une certaine aisance financière et une renommée qu’il s’est ingénié à fuir, y compris en intervenant en tant qu’agent de l’auteur sous l’identité fictive d’Hal Croves. Paru une première fois en allemand en 1927, à la Büchergilde Gutenberg, le présent roman a connu deux traductions en anglais, une de Basil Creighton en 1934 et l’autre de B. Traven lui-même en 1935, dans une version remaniée et allongée pour l’occasion. C’est cette version qui a été traduite ici en français.

Récit d’aventure à la manière de Jack London, Le Trésor de la Sierra Madre retrace l’itinéraire de Dobbs, un gringo plus pauvre que le plus pauvre des Indiens. Une situation inconfortable dans un pays où le Blanc se voit privé des opportunités ouvertes à la population indigène, de crainte de déchoir. En ce début de la république du Mexique, la ruée vers l’or noir s’est en effet éteinte, asséchant les possibilités de s’enrichir sur le dos de l’autochtone. La nationalisation des champs pétroliers a fait fuir les investisseurs étrangers, provoquant la crise et acculant les aventuriers étrangers à la misère. Entre mendicité et travail précaire, Dobbs est réduit à tirer le diable par la queue, n’assurant sa survie au quotidien qu’au prix de sacrifices humiliants. Du moins, jusqu’à sa rencontre avec Howard, un vieux de la vieille, prospecteur chevronné en quête d’associés. En dépit des avertissements de l’ancien, notamment concernant les effets délétères de la fièvre de l’or, ils forment avec Curtin un trio qui ne tarde pas à rallier la Sierra Madre pour y chercher fortune.

« Chaque onde d’or supplémentaire les éloignait du prolétariat pour les rapprocher de la classe moyenne et des nantis. Jusque-là, ils n’avaient jamais rien possédé méritant d’être protégé des voleurs. Avec les richesses, venait le désir de les mettre à l’abri. Le monde ne ressemblait plus à celui qu’ils habitaient quelques semaines plus tôt. Ils appartenaient désormais à la minorité de l’humanité. Ceux qu’ils avaient alors considérés comme leurs frères de misère, ils les tenaient dorénavant pour des ennemis dont ils fallait se défier. Aussi longtemps qu’ils n’avaient possédé aucun objet de valeur, ils avaient été les esclaves de leur ventre affamé et de ceux qui avaient les moyens de le remplir. Tout changeait à présent. Ils avaient franchi le premier pas qui fait de l’homme l’esclave de son bien. »

Le Trésor de la Sierra Madre conjugue cependant à la fois les qualités du roman d’aventure et du texte politique. La quête de Dobbs est en effet sous-tendue par un propos de nature plus critique où B. Traven laisse infuser son analyse de la situation au Mexique au début du XXe siècle. S’il n’évite pas complètement le ton du pamphlétaire, l’auteur n’oublie heureusement pas de faire œuvre de romancier, narrant la chute inévitable de Dobbs. On est ainsi saisi par le réalisme de la description des conditions de vie misérables des travailleurs à cette époque, une extrême pauvreté qui les pousse à renier leur humanité et la solidarité pour s’entre-déchirer. Ce n’est toutefois pas tant la nature humaine qui est dénoncée ici que le capitalisme, système impitoyable où prévaut une concurrence féroce entre les travailleurs, les poussant à écraser l’éventuel concurrent, quitte à user de moyens déloyaux. Dans un tel système, seul importe le droit du plus fort ou du plus malin, celui-ci ne nourrissant aucun scrupule lorsqu’il s’agit de gruger son camarade.

B. Traven ne lésine pas sur les détails pour illustrer le parcours chaotique de Dobbs, décrivant l’évolution délétère du personnage soumis à la fièvre de l’or. Il laisse également transparaître ses convictions libertaires et sa profonde détestation pour l’Église catholique, à l’œuvre en Amérique latine, dévoilant la contradiction fondamentale entre le discours angélique de l’institution et la sombre réalité de ses pratiques auprès des Indiens. D’une écriture ciselée et précise, il affûte ses arguments avec une ironie grinçante et une clairvoyance qui ne ménage guère les certitudes naïves ou faussement sincères des tenants de l’intérêt bien compris.

Fable cynique et impitoyable sur l’avidité humaine, la violence intrinsèque du capitalisme et de la colonisation, Le Trésor de la Sierra Madre n’accuse aucunement son âge, délivrant son comptant d’aventures jusqu’au dénouement funeste. Inutile de dire que je recommande sa lecture, même s’il n’est pas aisé de trouver les romans de B. Traven dans nos contrées. Avis aux éditeurs.

Le Trésor de la Sierra Madre (The Treasure of the Sierra Madre, 1935) – B. Traven – Éditions Sillage, 2008 (roman traduit de l’anglais par Paul Jimenes)