L’Histoire est un sport de combat. On ne le dira jamais assez. Spécialiste de l’extrême-droite, de l’antisémitisme en France et de Vichy, Laurent Joly en fournit une preuve supplémentaire avec cet essai. Mais, pourquoi un historien porte-t-il son regard sur l’un des candidats à l’élection présidentielle de 2022 ? Tout simplement parce qu’Éric Zemmour a fait de l’Histoire l’un des moteurs de son argumentaire et de son projet politique.
« Grand pourfendeur de la confusion des valeurs, du nivellement par le bas ou de l’inculture historique de ses contemporains, Éric Zemmour participe pleinement, en vérité, de ce qu’il dénonce. Il est le produit d’un système médiatique mettant sur le même plan débatteurs professionnels et historiens, dont le savoir est dénigré ou galvaudé. »
Ayant peaufiné sa réputation de trublion et de polémiste dans les médias, le journaliste débatteur est avant tout un doctrinaire, s’étant donné pour mission de sauver la France, quitte à prendre beaucoup de liberté avec les faits historiques. Certes, le procédé n’est pas nouveau et nombreux sont ceux qui ont précédé Zemmour dans cette voie. On pense immédiatement au boulangisme, tentative de renversement de la République accomplie par pur opportunisme démagogique, avec le soutien des forces réactionnaires du royalisme. Mais, on invoque aussi les noms de Drumont, Barrès ou Maurras, théoricien du nationalisme ethnique. Une tradition qui connut son heure de gloire durant la période sombre de Vichy et dont l’échec patent a marqué le reflux, du moins pour un temps.
L’essai de Laurent Joly se pare des vertus opératoires de la vulgarisation. Par sa concision, il cherche à cerner le phénomène Zemmour pour mettre en lumière un projet politique fondé sur la falsification de l’Histoire, sur la stigmatisation des minorités et la destruction de l’État de droit. Il répond ainsi à plusieurs questions qui se posent sur le personnage et sur sa vision de l’Histoire.
Pour commencer, le polémiste joue sur l’ambiguïté de la notion de révisionnisme. L’historien est nécessairement révisionniste, mais ce processus intellectuel s’appuie sur une méthode s’efforçant d’évacuer les préjugés idéologiques et autres biais cognitifs. Il se fonde aussi sur l’étude rigoureuse des sources qui restent avant tout le cœur du métier d’historien. L’acte de falsifier l’Histoire ne se réduit pas ainsi à l’acte d’un faussaire produisant une contrefaçon sous-tendue par des intentions politiques. Lorsque l’historien « falsifie » l’Histoire, c’est pour mettre une hypothèse à l’épreuve des sources historiques. De même, de nouvelles sources ou de nouveaux outils intellectuels peuvent venir falsifier une interprétation tenue jusque-là pour vraie. L’Histoire se veut en conséquence le résultat d’un dialogue critique entre le passé et le présent.
Rien de tout cela chez Éric Zemmour qui se pose d’emblée en victime d’une doxa, celle de Paxton et de ses supposés disciples, imposant sa vision de l’histoire de France comme une vérité incontestable, avec en guise d’argument une érudition consolatrice à destination d’incultes ne demandant qu’à le croire. Il pratique ainsi sans vergogne l’art de l’à-peu-près, de la formule choc et de la citation tronquée, ne s’embarrassant pas des faits qui contredisent sa démonstration. Sous sa plume, la théorie des « deux cordes », fausse connivence entre De Gaulle et Pétain pendant l’Occupation, où l’un agite le glaive aux côté des alliés pendant que l’autre sert de bouclier afin de protéger la France, retrouve de son éclat. De même, il promeut la thèse pétainiste du moindre mal, faisant de Vichy le protecteur des juifs français, quitte à sacrifier les apatrides réfugiés sur le territoire français. En relativisant et atténuant les responsabilités, à force d’amalgame et de manipulation des sources, Éric Zemmour tente de réécrire l’histoire de Vichy pour réunir les droites, s’inscrivant dans la lignée académique d’un François-Georges Dreyfus.
Si la notion de vérité historique se prête au doute critique, les mensonges doivent être combattus avec la plus grande vigueur, sans pitié. Sur ce point, le court essai de Laurent Joly atteint son objectif, proposant une revigorante plongée historiographique dans la fabrique nationaliste de l’histoire de France. Et, comme le dit l’auteur, « Les mensonges anciens ne font pas des vérités nouvelles : l’histoire scientifique est un acte de salubrité publique à l’ère de la malhonnêteté intellectuelle triomphante. »

La Falsification de l’Histoire : Éric Zemmour, l’extrême-droite et les juifs – Laurent Joly, Editions Grasset & Fasquelle, janvier 2022