Héctor

Sous couvert de non fiction, entre réalité documentée et imaginaire, Histoire et récit, Héctor dresse le portrait multiple et dramatique d’un pays en proie au cauchemar dictatorial. Figure fantomatique et incarnée, à la fois absente et présente, Héctor Germán Oesterheld, aka le « Vieux », traverse les pages d’un ouvrage atypique et immersif, construit comme un jeu de piste flirtant avec le réel, le rêve et le récit.

Que sait-on exactement de Héctor Germán Oesterheld ? Bien peu connu dans nos contrées, ses scénarios ont pourtant marqué durablement la bande dessinée argentine, les écrits de l’auteur nourrissant notamment le dessin de Pratt et Breccia. Des récits d’aventures populaires, à destination d’une jeunesse avide de sensations. Mais surtout, on se souvient du bonhomme pour sa contribution à L’Éternaute dont les déclinaisons successives ont suscité un phénomène de résonance avec le contexte politique de son époque. Œuvre désormais culte, ce récit de Science fiction accompagne en effet l’engagement d’Oesterheld dans la résistance peroniste, processus qui le poussera à rejoindre la clandestinité avec ses quatre filles au sein des Montoneros, mouvement renié par Juan Perón lui-même et pourtant fidèle à sa mythologie foutraque mêlant nationalisme, bigoterie et socialisme. Un combat qui lui vaudra de passer par les centres d’interrogatoire de la junte militaire et de rejoindre pour son malheur la longue liste des desaparecidos.

« Mon nom est Juan Salvo, et depuis le début de mon voyage, je me suis croisé et reconnu un nombre incalculable de fois. Sous le nom de Juan Rico, je suis parti me battre sur la planète Klendathu contre un peuple d’aliens insectoïdes : ceux-ci ne s’appelaient pas Gurbos mais arachnides, et les extraterrestres qu’ils avaient réduits en esclavage, grands, fins et inquiétants, n’étaient pas des Mains mais des Décharnés. J’ai survécu au bombardement de Dresde sous le nom de Billy Pélerin, et été enfermé pour l’éternité dans le zoo humain de la planète Tralfamadore en compagnie de l’actrice de charme Montana Patachon. J’ai combattu éternellement les Taurans, sous le nom de William Mandella et sur la lune de Pluton que vous appelez Charon. »

Alternant passé et présent, mais aussi réel et fiction, Léo Henry nous entraîne sur les traces d’Oesterheld et de son œuvre, ne nous épargnant rien des détails de la Réorganisation nationale voulue par Videla et ses sbires. Un vaste processus de contre-guérilla, inspiré des méthodes de l’armée française lors de la Bataille d’Alger, dont le dessein consiste à traiter la population, y compris les indifférents, comme un ennemi global qu’il convient de terroriser et de subvertir. Il distille ainsi les informations sur Héctor, sa famille et le contexte politique de l’époque, mêlant les ressorts de L’Éternaute et du film poétique Invasión de Hugo Santiago aux faits historiques et générant en conséquence une mise en abîme passionnante. Le livre de Léo Henry se révèle ainsi multiple, offrant un point de vue collectif sur l’Argentine, Buenos Aires, Oesterheld et son œuvre. On flâne dans les quartiers de la cité du Rio de La Plata et les avenues de son doppelgänger cinématographique, Aquilea, où résonnent les échos du monde réel dans une version fantasmée inquiétante. L’immense capitale, de son hypercentre à ses banlieues arborées, offre son panorama en contrepoint à l’errance de L’Éternaute, naufragé du temps à son corps défendant. Elle apparaît comme le décor d’une horreur indicible, le reflet des méfaits de la dictature, de toutes les dictatures, dont les mots-écrans truqués suscitent davantage l’effroi que la description crue des tortures subies par les desaparecidos.

« clique, bande, gang, groupe de travail, suçoir, ratière, paquet, colis, subversif, marxiste-léniniste, apatride, rouge, matérialiste athée, ennemi des valeurs occidentales et chrétiennes, butin de guerre, puits, salle d’opération, cet enfer-là, capuche, cloison, cloisonner, aquarium, cambuse, Ministaff, niches, cellules, boîte à œufs, bloc opératoire, interroger, chanter, l’aiguillon, la machine, Caroline, la ponceuse, il nous a lâchés, remplir un bulletin, expédier un colis, transférer, ventiler, petite voiture, pentonaval, dormir au fond de l’océan. »

Sous la conduite des Eux, le menu fretin des Mains contribue ainsi à faire plier la population et à façonner la réalité à leur convenance, sous des cieux indifférents à leurs manigances criminelles. Dans leur Ford Falcon verte, ils sillonnent les rues de Buenos Aires, personnage à part entière du récit hybride de Léo Henry, enfournant dans le coffre de leur véhicule leurs victimes pour une destination inconnue. Entre voyage sur les lieux de mémoire, enquête, non fiction, récit romancé et digression introspective, l’auteur tente de mettre des mots sur ce qui demeure au-delà de tous les maux. Convoquant Borges (surtout son silence), Pratt, Ernesto Sábato et bien d’autres, il réaffirme ainsi la nécessité des histoires pour faire exister les faits, leur donner de la substance et pérenniser leur existence dans les mémoires. Il en floute le contour, les nimbant de rêve et d’imaginaire, afin de poursuivre son travail sur le continuum réunissant la réalité et la fiction. À n’en pas douter, une grande réussite !

« Il est très facile de se perdre dans le presque contraire. Le contraire de la vie, c’est la mort. Presque exactement son contraire, c’est la disparition. Le contraire de la parole, c’est le silence. Presque exactement son contraire, c’est le secret. Voilà, c’est là que je range le récit. Presque exactement à l’opposé du réel. »

Héctor – Léo Henry – Éditions Payot & Rivages, février 2023

Je n’aime pas les grands

Née sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, la hargne revancharde d’Augustin Petit se nourrit aussi de l’humiliation de la défaite, préalable au traité infâme imposé à la France. Elle prospère surtout dans l’entre-deux-guerres, période qui voit les blonds et les hauts perchés toiser de leur hauteur les petits et autres rase-mottes voués à la basse besogne et à toutes les vilenies. Désormais connu dans tous les livres d’histoire comme le Suprême, le personnage d’Augustin Petit s’enracine ainsi dans le terreau putrescent des tranchées et la certitude irrationnelle d’un complot des grands. Pour comprendre le destin de ce grand parmi les petits et appréhender l’empreinte du petiste sur l’histoire du XXe siècle, nul doute que le livre de Pierre Léauté soit incontournable, du moins aux yeux de l’amateur d’uchronie.

Je n’aime pas les grands compile et prolonge deux romans parus en 2015 et 2016 aux Éditions Mü. Le présent ouvrage comporte aussi en annexe une courte nouvelle et une bibliographie poil à gratter assez réjouissante, sans oublier une lettre de Pierre Bellemare* (*authentique). Augustin Petit y incarne l’archétype du dictateur, plus vrai que nature. La paranoïa, la folie et le charisme du bonhomme évoquent en effet quelques-uns des plus célèbres tyrans du XXe siècle dont Pierre Léauté dresse en creux un portrait décalé et vachard. Je n’aime pas les grands joue ainsi avec les ressorts de l’uchronie pour dérouler un propos railleur tenant davantage de la fable politique grinçante. Toute simple, la divergence s’appuie sur une inversion de perspective où la France se retrouve dans la position du vaincu de la Première Guerre mondiale, déclinant ensuite un récit contre-factuel limpide, dénué des scories qui viendraient entacher sa vraisemblance ou rendre le propos illisible. Mêlant les éléments familiers de notre histoire aux extrapolations de son imagination, Pierre Léauté se permet également des allusions plus contemporaines qui, en dépit de leur caractère anachronique, prennent un sens cocasse contribuant à enrichir la mécanique absurde de l’intrigue. Décalé, caustique et définitivement sans scrupules, Je n’aime pas les grands ausculte enfin les mécanismes du populisme et de la lâcheté humaine, démontrant s’il est encore besoin de le faire que la bêtise et la démagogie demeurent plus que jamais les moteurs d’un processus vieux comme le monde, pour le plus grand profit de l’émotion et du ressentiment.

Petit livre malin et rigolard, Je n’aime pas les grands ne s’embarrasse donc pas de précautions oratoires, plongeant le lecteur immédiatement dans un récit référencé qui flirte avec la veine satirique. Et si le texte n’est pas exempt de clins d’œil un tantinet trop appuyés, Pierre Léauté y révèle cependant qu’il a assurément tout d’un grand (le fourbe).

Je n’aime pas les grands – Pierre Léauté – Éditions Mü/Mnémos, octobre 2020

Upside Down

Dans un avenir peut-être pas si lointain, la bipolarisation du monde est désormais un fait établi. Down Below, sous la grisaille aux reflets de rouille du Brown, on travaille, on produit, on s’échine à la tâche et on se ruine la santé pour faire fonctionner la machine. Pendant ce temps, Up Above, les nababs des grands consortiums goûtent au confort d’un pays de cocagne, délocalisés en orbite terrestre, sûrs de ne manquer de rien, convaincus de l’innocuité de l’air respiré, de la douceur de l’atmosphère climatisée et de la chaleur d’un soleil pacifié. Bref, ils vivent au paradis, jouissant d’une jeunesse éternelle à l’abri du besoin dont ils partagent les miettes avec les rares élus montés au-dessus de l’horizon pour les servir. Down Below, les illusions frelatées diffusées par les domocubes Sensipac entretiennent la paix sociale, adoucissant la rugosité de la vie réelle des damnés de la terre. Un investissement ne remettant en rien le statu quo. À la condition d’alimenter sans cesse les canaux de la machine à rêves.

Bienvenue dans l’avenir selon Richard Canal. Les plus anciens se réjouiront sans doute de retrouver l’une des plumes les plus stimulantes des années 1980-1990. Passionné par l’Afrique, au point d’anticiper l’afrofuturisme avec la trilogie Swap-Swap/Ombres Blanches/Aube Noire, et fasciné par l’Asie, l’auteur a également flirté avec le courant cyberpunk. Sur ce blog, on ne chantera jamais assez les louanges de son premier roman La Malédiction de l’Éphémère, titre ayant fait l’objet d’une réédition révisée en 1996. On ne dira jamais assez de bien de son recueil Animamea. Depuis le début des années 2000, il s’était fait beaucoup plus discret. Son retour du côté de la science-fiction apparaît donc comme une bonne nouvelle.

Avec Upside Down, rien de neuf sous le soleil. Dans un registre dystopique, Richard Canal imagine un avenir cauchemardesque où les maux inhérents de notre présent ont poursuivi leur route, contribuant à notre déroute et à l’effondrement de la biosphère. Mais, loin de se résigner à l’inévitable, il pose les jalons d’une renouveau prenant la forme d’une révolution. Rien de neuf, on vous dit. Pollution, exploitation de l’homme par l’homme, bouleversement climatique, manipulations génétiques, via l’humanisation de certaines espèces animales, clonage, jeunisme, si l’auteur déroule en effet le catalogue bien connu d’un futur en état de collapsus, il ne se veut aucunement pessimiste, brodant une intrigue déclinée en trois lignes narratives qui adoptent les points de vue des dominants et des dominés.

On épouse ainsi le regard de Bill Gates, cinquième du nom, dont l’empire du loisir contribue à la paix sociale Down Below. L’entreprise du magnat est cependant menacée par la rébellion de sa fille adoptive, clonée à partir des gènes de l’actrice Maggie Cheung. Devenue l’égérie de bon nombre de déshérités, l’interprète du film In The Mood for Love refuse en effet de continuer à tourner le remake 3D du chef-d’œuvre intemporel de Wong Kar-Wai, préférant inspirer la colère généreuse des damnés de la Terre plutôt que de contribuer à leur apathie. On croise aussi un duo insolite de détectives, composé de l’habituel dur à cuire et de son collègue, incarné ici par un Saint-Hubert humanisé (faut-il y voir une réminiscence du chien de Ghost in the Shell, l’anime de Mamoru Oshii ?). On suit aussi l’itinéraire d’un artiste un tantinet révolutionnaire, au sens propre comme au figuré, et de sa muse, une empathe aux dons surprenants. Tous ces personnages contribuent à donner chair à une intrigue qui, si elle ne brille pas par son originalité, reste portée par une prose ne manquant pas de références, notamment au situationnisme, et n’étant pas dépourvue de fulgurances visuelles saisissantes.

On est maintenant curieux de lire le prochain roman de Richard Canal, annoncé sous le titre de Cristalhambra. À suivre

Upside Down – Richard Canal – Éditions Mnémos, octobre 2020

Opexx

Le paradoxe de Fermi est résolu. Une immense confédération extraterrestre pacifique, le Blend, a contacté l’humanité, lui proposant un marché qu’elle n’a pas pu refuser. Contre quelques gadgets technologiques, de quoi améliorer l’ordinaire sur une Terre à la biosphère quelque peu dégradée, les humains peuvent se livrer à leur activité favorite : la guerre. Car l’utopie du Blend n’est enviable que si on l’accepte et l’intègre à sa façon d’être et de vivre. Elle ne suscite pas toujours l’adhésion et nécessite parfois la violence. Toute chose que l’humanité a éprouvé dans sa chair au cours de sa propre histoire et continue de pratiquer avec efficacité et sans scrupules.

Pourvus de la meilleure technologie du Blend, armés et équipés de pied en cap, des commandos humains sont ainsi déplacés vers les zones sensibles, opérant dans l’intérêt du meilleur des mondes possibles. Des opexx sur d’autres planètes pour explorer, s’interposer ou repousser les agressions. De la chair à canon qui ne comprend pas grand chose aux motivations des aliens et dont on efface la mémoire, histoire de lui épargner le stress post-traumatique du combattant, mais surtout une connaissance trop étendue de l’ailleurs. Il ne faudrait pas que les chiens de guerre échappent à leur maître et viennent pisser sur les plate-bandes de l’échiquier géopolitique cosmique. Bref, le boulot idéal pour le personnage principal, soldat professionnel atteint du syndrome de restorff, dont la narration guide notre découverte des opexx d’autant plus aisément que son trouble le rend imperméable aux déprogrammations.

Sous couvert de SF militariste et de space opera, Laurent Genefort nous propose un court récit introspectif où la quête d’altérité se substitue progressivement à la logique de l’affrontement et au repli identitaire. Ponctué par les visions fugitives de mondes extraterrestres, à la beauté incompréhensible et mortelle, Opexx nous immerge ainsi dans l’esprit d’un soldat lambda frustré par sa condition de simple porte-flingue. On observe son glissement progressif, impulsé par sa soif de connaissance et d’interaction, un processus qui finit par le rendre étranger à sa propre espèce, voire à lui-même, le poussant à se fondre dans un ailleurs qu’il juge plus désirable.

Mais, Opexx est aussi une réflexion sur ces opérations en terre étrangère et sur le droit d’ingérence qui les motive. Toute chose accomplie pour un plus grand bien, dit-on. Pour paraphraser le bon sens populaire, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Évidemment, c’est toujours mieux de le faire chez le voisin, histoire de garder son chez soi propre.

D’aucuns trouveront sans doute un goût de trop peu à ce récit, conséquence évidente de sa brièveté. L’essentiel est pourtant énoncé, bousculant les certitudes et nous interpellant sur notre capacité à épouser le regard de l’autre.

Opexx – Laurent Genefort – Éditions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », mai 2022

L’Histoire HS n°98 : Les vikings, une histoire mondiale

Le hors-série de janvier de la revue l’Histoire est consacré à un sujet qui m’est cher, comme le savent les habitués de ce blog. Plus précisément, il revient sur l’époque viking, même si l’âge précédant les raids scandinaves des VIIIe – XIe siècles n’est pas laissé de côté.

Rassemblant les plumes affûtées d’universitaires et chercheurs aux connaissances solides et sérieuses, doté de surcroît d’une chronologie, de cartes, d’un lexique et d’une bibliographie/sitographie exhaustive, le présent numéro fait œuvre salutaire de vulgarisation, établissant un tableau clair et informé du sujet, tout en réajustant nos représentations sur cette période qui fait le lit d’une ribambelle de clichés et de fantasmes virilistes. Décliné en trois parties, le magazine revient d’abord sur la société scandinave du Haut Moyen âge dont sont issus les vikings. Puis, il propose une synthèse sur notre connaissance actuelle de la géographie des raids, de la diaspora viking en Europe et au-delà. L’occasion de remettre à leur juste place quelques idées reçues et de déconstruire les représentations des hommes du Nord les plus douteuses, tout en satisfaisant une légitime curiosité alimentée par les produits de la pop culture. Autrement dit les séries, les BD, romans et jeux vidéos qui ont su profiter et nourrir l’engouement pour le monde scandinave médiéval.

Résumer l’ensemble du sommaire n’a que peu d’intérêt. On invite les éventuels curieux à acquérir l’objet ou à le consulter en bibliothèque pour satisfaire leur appétence pour l’époque viking. Qu’ils sachent quand même que les runes, la poésie scaldique, la mythologie, les sagas, la navigation, les navires, l’unification des royaumes scandinaves, les conquêtes, les voyages d’exploration et de colonisation figurent parmi les sujets traités. Ceci dit, histoire d’aguicher l’éventuel passionné, quelques articles méritent un court développement.

On commence d’ailleurs très fort avec « Ceux qui partent et ceux qui restent ». Dans cet article, Lucie Malbos brosse un tableau fort intéressant du monde scandinave durant le Haut Moyen âge. Un monde morcelé où la population n’occupe qu’un espace restreint, les vallées des fjords et les plaines du sud, le reste du territoire restant soumis à des conditions naturelles hostiles. Dans ce monde de forêts, de montagnes et de glace, la société est marquée par la concurrence, voire la compétition entre des chefs locaux, une classe élitaire forgeant sa puissance sur le renom, la force brutale et un clientélisme entretenu par le butin, accumulé à l’occasion de raids chez les voisins ou par la pratique de la piraterie. Si cette élite domine le monde scandinave et cherche à imprimer sa marque sur l’Histoire, via les scaldes, elle n’en demeure pas moins la minorité. Esclaves, paysans, pêcheurs, artisans, enfants et femmes demeurent la majorité contribuant au moins autant que les guerriers à l’essor scandinave. Et si la société fonctionne sur une base patriarcale, les femmes ne semblent pas totalement dépourvues de pouvoir, comme en attestent les fouilles de tombes monumentales.

L’article de Neil Price, « Dieux, elfes et trolls : une mythologie pas comme les autres » et l’entrevue où il est interrogé sur les raisons qui ont poussé les vikings à prendre la mer me poussent à hâter la lecture de son essai Les enfants du frêne et de l’orme. À vrai dire, le concept de merritoire, cette domination fondée sur le contrôle de la mer, mélange d’opportunisme et de soif de renommée, se révèle diablement stimulant et mérite qu’on s’y arrête. De son côté, Alban Gautier remet à sa juste place la présence scandinave en Angleterre, démontrant que si le Danelaw ne dure finalement que quelques décennies, les conséquences de l’occupation ne se limitent pas qu’à la toponymie, la langue et les coutumes, bien au contraire la colonisation contribue surtout à accélérer l’unification anglo-saxonne. D’ailleurs, il y aurait sans doute une chouette uchronie à écrire sur le sujet. L’Angleterre serait-elle advenue sans les vikings ? Par contre, désolé pour les Normands et les fans de la Rus’, les scandinaves ayant opté pour l’assimilation, il ne semble pas rester grand chose de leur héritage, en dépit de quelques toponymes ou noms de famille et de la volonté d’en faire un marqueur identitaire. Bref, je recommande la lecture des articles d’Aleksandr Musin, de Pierre Bauduin et de Fabien Paquet pour s’en convaincre.

Pour terminer, dans un ultime article salutaire à tous points de vue, Pierre Bauduin en appelle à « décoloniser » les vikings pour les libérer d’une histoire, en grande partie forgée par l’imaginaire romantique du XIXe siècle, qui n’est pas la leur. Il invite aussi à déconstruire les représentations virilistes, guerrières et néo-païennes qui grèvent l’imaginaire, regardées par l’extrême-droite comme un idéal marqué du sceau de la fausseté et d’une certaine frustration. Enfin, il pose la question de la validité de l’utilisation des termes migration et invasion, préférant plutôt parler de diasporas scandinaves. Le débat est posé.

L’Histoire – Hors-série « Collection n°98 » – Les vikings, une histoire mondiale

Donbass

Donbass, 2018. Une terre gâte, riche pour son malheur des promesses d’un avenir radieux, un paradis pour les prolétaires. Une terre brûlée, lieu de maints conflits et révolutions, coincée entre l’ours soviétique, puis russe, et l’Occident, bien plus intéressé par la géopolitique et le marché que par ses habitants. Des existences fracassées, générations après générations, ex-supplétifs de l’Empire communiste ou du fascisme, petits soldats prêts à toutes les compromissions avec les maffias ou les simples quidams, tiraillées entre la sourde nostalgie d’une illusion de puissance et le rêve clinquant de la démocratie. Alors, dans ce désastre permanent, qu’est-ce qu’un mort de plus ? Dans ce conflit fratricide, que vaut encore une existence, surtout celle d’un enfant ? Dans la routine des attaques et contre-attaques, des tranchées bombardées, au petit bonheur la chance, et des habitations ravagées, la vie a-t-elle seulement encore un sens ?

Pour le colonel Henrik Kavadze, elle a en tout cas perdu toute saveur depuis la mort de sa fille, fauchée par un camion. L’ancien combattant d’ Afghanistan et tout nouveau héros de l’Ukraine libre n’entretient plus guère d’illusion sur ses congénères. Pourtant, le corps dénudé de cet enfant, littéralement cloué au sol par un poignard militaire, réveille en lui ce qui pourrait encore s’apparenter à une conscience.

Il n’y a pas de bien ou de mal, juste des gens qui disent non et boivent un coup après, parce que c’est dur. La phrase de Jean-Patrick Manchette pourrait s’appliquer au personnage de Kavadze, tant le bonhomme s’impose comme l’archétype de l’enquêteur de roman noir. Désabusé, la petite cinquantaine alcoolisée, marqué par un drame personnel qui le ronge, le policier est parfaitement conscient qu’il ne changera rien à la déliquescence du Donbass, surtout avec la guerre comme voisine de palier. Depuis la chute de l’URSS, les lendemains déchantent en effet pour les prolos, passés du statut de héros de l’Empire à celui de rebuts dont on cherche à oublier l’existence. Un terreau fertile pour toutes les aventures, surtout les plus crapuleuses, faisant resurgir en même temps les blessures du passé. La guerre civile née de la révolution d’octobre, l’Holomodor et les ravages de la Grande Guerre patriotique, sans oublier la contribution au conflit en Afghanistan, ce Vietnam soviétique. Sur ces événements, les habitants du Donbass s’accordent à se chercher des excuses, préférant ne pas voir leur propre responsabilité dans le naufrage généralisé. Corruption, vente à la découpe des combinats géants, aptitude à s’illusionner, à ne pas vouloir voir le mal lorsqu’il paraît évident, les maux à dénoncer ne manquent pas, même si on préfère ne pas mettre de mots sur cette complicité passive et cette démission totale.

Benoît Vitkine connaît bien son sujet. Au cours de ses nombreux reportages sur le terrain, pour lesquels il a d’ailleurs reçu le prix Albert-Londres, il en a sondé les tréfonds sordides, flirtant avec le désespoir et la souffrance indicible. Il en a également disséqué les mécanismes géopolitiques, jaugeant les rapports de force et les alliances de circonstance qui agitent la région. Fort heureusement, il use de cette connaissance avec parcimonie, dressant un portrait nuancé, sans état d’âme, de ce territoire européen, à la fois si familier et si lointain. Il n’oublie surtout pas de faire œuvre de romancier, distillant son intrigue avec suffisamment de métier pour cueillir le lecteur et entretenir le suspense. Il en ressort un excellent roman noir, porté par des personnages à fleur de peau, enfermés dans une routine absurde qui peu-à-peu les broie. Une population fatiguée de vivre dans un monde façonné par la somme de toutes les lâchetés d’une humanité imparfaite.

Donbass n’est donc pas un énième docu-reportage comme on aurait pu le craindre. Bien au contraire, Donbass est un excellent roman noir où la fiction, portée par l’écriture imagée et incisive de Benoît Vitkine, donne de la substance à un conflit vécu par procuration, via les images colportées par la télé et l’internet.

Donbass – Benoît Vitkine – Réédition Le Livre de Poche, mars 2022

T’Zée – Une tragédie africaine

Sur Gbado, aux tréfonds de la forêt équatoriale, là où les rapides commencent, rendant la navigation impossible sur le grand fleuve, T’Zée a fait construire une résidence somptueuse, embryon de sa future capitale. La piste de l’aéroport a d’ailleurs été allongée pour permettre l’atterrissage des Concordes affrétés pour les invités prestigieux, plénipotentiaires des puissances étrangères attirées par ce pays de cocagne qu’un coup d’État opportun lui a permis de gouverner. D’une main de fer, T’Zée, le maréchal dictateur invincible et immortel, a ainsi réduit à néant l’opposition, comptant sur la Guerre froide et le contexte post-colonial pour monnayer l’appui des Occidentaux. Il a distribué les richesses volées au pays avec générosité, rétribuant une clientèle dévouée et stipendiant une garde armée impitoyable. Longtemps, il a régné sans contestation, sûr de son hégémonie, comme anesthésié par sa propre aura maléfique.

Mais, rien ne dure dans le monde. Dans l’entourage du dictateur, on s’inquiète en effet. On est sans nouvelle de T’Zée. Les rebelles de l’Est auraient pris la capitale et se seraient emparés de la personne du président à vie. Certains affirment même qu’il aurait été exécuté après l’échec de son évasion. D’aucuns prétendent même que l’événement ne devraient rien à la géopolitique mais tout à la malédiction de Mami-Wata, l’esprit des eaux du grand fleuve. Dans le Versailles de la jungle, l’heure n’est plus aux supputations. Il faut agir, résister ou partir, assumer la succession ou abdiquer. Quel sera le choix d’Hippolyte, le dernier fils vivant du dictateur ? Quel sera celui de Bobbi, la jeune et intrigante épouse du cacique ?

Habile mélange d’Histoire et de fiction, T’Zée apparaît d’emblée comme une nouvelle réussite à mettre sur le compte de Brüno (au dessin) et Appollo (au scénario). En transposant le Phèdre de Racine dans le contexte zaïrois, les deux compères combinent les cultures africaine et européenne avec brio, mêlant les ressorts de la tragédie classique au contexte historique contemporain. Décliné en cinq actes, T’Zée est ainsi un superbe objet graphique racontant la fin du règne d’un potentat sanguinaire via le regard décalé de ceux ayant vécu dans son ombre.

En proie à la guerre civile, à la déliquescence d’une autorité trop longtemps soumise aux règles dévoyées de la cleptocratie, le pays s’enfonce désormais dans le chaos. Le chacun pour soi semble le seul mantra susceptible de charmer les successeurs du dictateur, à la condition des disposer des moyens pour financer sa partition. Sur cette toile de fond tragique, entre flash-back et histoire en marche, Brüno et Appollo se permettent digressions originales, notamment un combat de catch où des combattants aux surnoms aussi insolites que Police belge, Chien méchant, Léopard ou Muntu et Umuntu, les catcheurs de la forêt, usent de magie et de fétiches pour s’affronter, rejouant d’une manière symbolique et spectaculaire, le drame qui se noue présentement dans le vide politique né de la vacance du pouvoir. Si Appollo mitonne un scénario violent et diablement intense, faisant monter la tension en un crescendo implacable, aux crayons, Brüno n’est pas en reste, composant une partition graphique impressionnante n’étant pas sans rappeler par moment le trait (plutôt certains thèmes) de David B.

Pour toutes ces raisons, T’Zée mérite donc toute l’attention de l’amateur de bande dessinée historique et de tragédie classique.

T’Zée – Une tragédie africaine – Appolo et Brüno – Éditions Dargaud, mai 2022

Eutopia

À force de nous répéter qu’il n’existe aucune alternative au modèle libéral-capitaliste, présenté par ses parangons comme le moins pire de tous les systèmes, on a fini par le croire, y compris dans la Science fiction, littérature des possibles par excellence. Le genre semble s’être résigné, déclinant les pires scénarios de la dystopie, auxquels Camille Leboulanger lui-même a apporté une contribution non négligeable, espérant un sursaut de conscience ou se contentant d’être le spectateur désabusé du monde tel qu’il va mal. C’est oublier un peu vite que la Science fiction se veut aussi littérature de proposition, échafaudant des ailleurs désirables, parfois critiques, voire ironiques, mais autrement plus stimulants que la longue litanie du TINA.

Avec Eutopia, l’auteur fait le pari de l’eutopie, le bon lieu, imaginant un monde meilleur fondé sur les réflexions de Bernard Friot et du Réseau Salariat. Un monde libéré de la propriété privée, où seul l’usage détermine l’attachement à un bien. Un monde fondé sur le bannissement du propriétarisme, où l’intérêt de tous est le seul sujet qui importe vraiment. Un monde de la décroissance, où prévaut l’économie circulaire et la low-tech mais pas la régression technologique. Un monde où l’on a troqué le développement du râble contre une prise de conscience de la fragilité de la nature et du caractère fini des ressources. Un monde respectueux des individus, débarrassé de la tentation totalitaire et des illusions de la perfection. En somme, un monde bienveillant, égalitaire et éco-responsable, n’étant pas sans rappeler – attention gros mot – l’anarcho-communisme.

Optant pour la forme de l’autobiographie fictive, Camille Leboulanger s’efforce autant que possible d’en dévoiler tous les aspects, qu’ils soient sociétaux, moraux, philosophiques, politiques ou économiques. Il dresse littéralement le portrait d’un autre monde, fondé sur des valeurs différentes et pourtant familières à nos yeux, matérialisées dans un texte constitutif présenté en préambule du roman. De la table rase ayant permis son installation, on ne perçoit cependant que des bribes, lâchées ici ou là au fil du récit. Révolution violente ou transition pacifique ? Le processus reste dans un angle mort. À vrai dire, l’Histoire importe peu, elle n’est pas le sujet du roman. Camille Leboulanger préfère nous immerger directement au cœur de l’eutopie, épousant le regard d’Umo, narrateur de sa propre vie. Un individu lambda qui n’a jamais rien connu d’autre que ce monde où il est né. On le suit, de sa jeunesse à sa vieillesse, de ses années de formation à sa maturité, en passant par son entrée dans le monde actif, marqué par l’obtention de son premier salaire en tant que travailleur potentiel. On découvre ainsi les effets concrets de la mise en œuvre de la Déclaration d’Antonia, le texte fondateur de cette eutopie.

En bon connaisseur de la Science fiction, Camille Leboulanger sait en effet que le genre s’intéresse plus aux conséquences d’un fait qu’au fait lui-même qui, du reste, apparaît souvent comme un novum hard scientifique. Il sait aussi qu’il s’adresse au présent, ne manquant pas d’interpeller le lecteur dans ses certitudes et lui donnant matière à réflexion. Avec Eutopia, l’auteur s’inscrit résolument dans une perspective systémique, cherchant à épuiser sans vraiment y parvenir tous les aspects de l’eutopie qu’il pose en hypothèse. Il met ainsi en récit un système bâti sur des valeurs et des bases éthiques, économiques, sociales et politiques radicalement différentes, mais dont tout à chacun peut juger de l’actualité. Pas étonnant donc d’y retrouver comme un écho des débats qui agitent notre contemporanéité en crise.

Eutopia n’est pourtant pas un lieu pour béni-oui-oui. La perfection n’est ni de ce monde ni du nôtre, bien au contraire, Camille Leboulanger a retenu les leçons d’Ursula Le Guin et de Kim Stanley Robinson. Sous sa plume, le bon lieu dévoile ses angles morts et des tensions inhérentes à la condition humaine de ses habitants. Umo n’est pas en effet le héros irrésistible d’une geste révolutionnaire. À bien des égards, il est même un personnage assez falot, du moins au départ, qui apprend des autres et qui se révèle progressivement à lui-même, au fil d’une existence bien remplie. De sa relation contrariée avec Gob, de ses amours successifs, de ses amitiés forgées au fil de ses voyages, du travail qu’il accomplit dans le cadre de grands projets collectifs, de la part qu’il prend dans le débat autour des droits reproductifs, jusqu’à la fondation de la commune où il vit ses vieux jours, il ne cesse d’observer, de se faire le comptable des échecs et des succès du projet collectif d’Eutopia, sans pour autant renoncer à agir, à prendre position, tout en s’interrogeant sur le bien fondé de ses propres actes. Et, le lecteur de constater que si la perfection n’est pas de ce monde, le bonheur lui tient finalement à très peu de choses. Un engagement, la volonté de ne pas nuire, un regard bienveillant, la fidélité à des principes.

« Tout travail qui reste à faire est opportunité de changement pour le mieux. Nous travaillons en commun et le commun n’a pas de limite de temps. Il n’a de frontières que celles du monde lui-même. »

D’aucuns trouveront sans doute à redire, à critiquer, voire à moquer ce projet alternatif, ne le trouvant guère vraisemblable ou le jugeant un tantinet naïf et parfois trop didactique. Ils en ont le droit. On ne peut cependant rien retrancher à l’optimisme et au propos positif de Camille Leboulanger, ni aux questions que son roman ne manquera pas de susciter. En cela, Eutopia se révèle salutaire et d’autant plus précieux qu’il prouve que même les gens heureux peuvent avoir une histoire. Tant mieux.

Eutopia – Camille Leboulanger – Éditions Argyll, octobre 2022

Je, François Villon

Notre connaissance de François Villon se limite aux quelques extrapolations que l’on a pu déduire de ses propres écrits et des lettres de rémission l’exonérant des actes criminels accomplis durant sa courte vie. De ce maigre corpus, on a pu tirer une biographie floue, où rien n’est absolument sûr, mais où tout est sujet à interprétation, à débat, supputation et fantasme. Le lieu qui l’a vu naître, sa date de naissance et celle de sa mort font ainsi l’objet d’hypothèses incertaines. Seule son identité ne semble plus sujet à controverse puisque le bougre serait né sous le patronyme de François de Montcorbier. Quant à la prononciation de son nom d’emprunt, inspiré par son tuteur, il faut aller la chercher du côté d’une rime extraite d’un de ses poèmes. Bref, entre le personnage réel et le personnage de fiction, beaucoup ont choisi leur camp, s’empressant d’étoffer un légendaire déjà bien rempli.

Je, François Villon relève de l’autobiographie fictive, Jean Teulé endossant les oripeaux du poète pour nous narrer sa vie. Puisant sa connaissance du personnage dans les quelques éléments sûrs dont on dispose et dans les écrits du bonhomme, il brosse un portrait cru de Villon, contribuant à entretenir sa légende. Sous sa plume, il reprend la tenue du larron, du joyeux fêtard, jamais à court de malice lorsqu’il s’agit de faire montre de villonie. Un adolescent préférant la compagnie du bas peuple, des prostituées, des vagabonds et autres coquillards, à la vie de simple clerc, en quête d’un bénéfice pour vivre de sa rente.

Le Villon de Teulé est viscéralement attaché à sa liberté et à son indépendance, cherchant son inspiration dans l’hypocras, la camaraderie bruyante de la canaille jusqu’à flirter avec l’indicible et l’horreur. Il côtoie ainsi le crime et les abîmes du mal absolu jusqu’au dégoût de lui-même. Mais, la frontière entre la sauvagerie cruelle de la pègre et les procédés violents de la Justice paraît bien mince. Le droit du plus fort, obtenu par la naissance, est-il forcément plus juste que l’envie de revanche des gueux ? Teulé ne tranche pas, il se contente de poser la question, nous renvoyant à nos propres certitudes.

Au-delà du questionnement moral, Je, François Villon est enfin un formidable roman sur le Moyen-âge, mettant en scène un Paris truculent où, entre le cimetière des Innocents, le gibet de Montfaucon et les rues populeuses du quartier latin, avec leurs bordeaux et leurs étuves, le lecteur (re)découvre un monde relevant d’un passé révolu, mais continuant à vivre à travers les vers du poète, non sans susciter encore quelques échos.

Avec Je, François Villon, Jean Teulé nous convie donc à une fort revigorante ballade au cœur du légendaire du poète médiéval. De quoi donner envie de poursuivre l’aventure avec l’auteur, hélas récemment décédé. Sans doute bientôt.

Je, François Villon – Jean Teulé – Éditions Julliard, 2006.

Le Casse du continuum – Cosmique fric-frac

À l’instar des mercenaires, ils sont sept, tous experts dans leur domaine respectif. Qu’il s’agisse de séduire, d’arnaquer, de cambrioler, de prévoir le futur, de faire tout exploser ou d’assassiner, on peut leur accorder toute confiance. Sont-ils pour autant libres ? Rien n’est moins sûr.

Troisième roman de Léo Henry après l’excellent Rouge Gueule de bois et le fascinant Sur le fleuve, Le Casse du continuum apparaît comme un joyeux florilège, un tantinet foutraque, où l’auteur mêle quelques uns des poncifs issus des mauvais genres. Entre science-fiction et thriller, il s’approprie des figures familières au lecteur, s’amusant à les plier, avec une bonne dose de roublardise, aux exigences d’une intrigue qui, si elle ne brille guère pour son originalité, ne lésine pas sur les cliffhangers, les retournements de situation et les effets pyrotechniques.

On ne s’ennuie en effet pas un seul instant en lisant les aventures de la troupe hétéroclite dont on découvre les composantes stéréotypées dans une première partie faisant office de longue scène d’exposition. Un mince aperçu du déchaînement frénétique qui assaille ensuite le lecteur lorsque la mission débute. On se trouve ainsi embarqué dans une sorte de grand-huit émotionnel où la sauvegarde du monde, rien de moins, apparaît comme l’enjeu principal. On leur a promis monts et merveilles, mais le temps imparti pour accomplir leur mission est compté. Et bien entendu, rien ne se passe comme prévu. On le voit, Léo Henry use de ficelles énormes, ne s’embarrassant pas toujours avec la suspension d’incrédulité. Peu importe, chaque rebondissement impulse une montée de tension supplémentaire, entretenant le suspense jusqu’au paroxysme du grotesque, il faut le reconnaître.

Si l’on accepte le pacte de lecture proposé par l’auteur, l’expérience peut plaire. Dans le cas contraire, nul doute que Le Casse du continuum apparaisse comme un exercice un peu vain et répétitif. L’auteur de cette chronique avoue être lui-même un peu passé à côté de ce shoot’em up séminal. Tant pis. À noter que le présent roman ouvre désormais une trilogie thématique consacrée aux mauvais genres. À suivre donc avec La Panse. Pas tout de suite cependant.

Le Casse du continuum – Cosmique fric-frac – Léo Henry – Éditions Folio « SF », 2014