Le hors-série de janvier de la revue l’Histoire est consacré à un sujet qui m’est cher, comme le savent les habitués de ce blog. Plus précisément, il revient sur l’époque viking, même si l’âge précédant les raids scandinaves des VIIIe – XIe siècles n’est pas laissé de côté.
Rassemblant les plumes affûtées d’universitaires et chercheurs aux connaissances solides et sérieuses, doté de surcroît d’une chronologie, de cartes, d’un lexique et d’une bibliographie/sitographie exhaustive, le présent numéro fait œuvre salutaire de vulgarisation, établissant un tableau clair et informé du sujet, tout en réajustant nos représentations sur cette période qui fait le lit d’une ribambelle de clichés et de fantasmes virilistes. Décliné en trois parties, le magazine revient d’abord sur la société scandinave du Haut Moyen âge dont sont issus les vikings. Puis, il propose une synthèse sur notre connaissance actuelle de la géographie des raids, de la diaspora viking en Europe et au-delà. L’occasion de remettre à leur juste place quelques idées reçues et de déconstruire les représentations des hommes du Nord les plus douteuses, tout en satisfaisant une légitime curiosité alimentée par les produits de la pop culture. Autrement dit les séries, les BD, romans et jeux vidéos qui ont su profiter et nourrir l’engouement pour le monde scandinave médiéval.
Résumer l’ensemble du sommaire n’a que peu d’intérêt. On invite les éventuels curieux à acquérir l’objet ou à le consulter en bibliothèque pour satisfaire leur appétence pour l’époque viking. Qu’ils sachent quand même que les runes, la poésie scaldique, la mythologie, les sagas, la navigation, les navires, l’unification des royaumes scandinaves, les conquêtes, les voyages d’exploration et de colonisation figurent parmi les sujets traités. Ceci dit, histoire d’aguicher l’éventuel passionné, quelques articles méritent un court développement.
On commence d’ailleurs très fort avec « Ceux qui partent et ceux qui restent ». Dans cet article, Lucie Malbos brosse un tableau fort intéressant du monde scandinave durant le Haut Moyen âge. Un monde morcelé où la population n’occupe qu’un espace restreint, les vallées des fjords et les plaines du sud, le reste du territoire restant soumis à des conditions naturelles hostiles. Dans ce monde de forêts, de montagnes et de glace, la société est marquée par la concurrence, voire la compétition entre des chefs locaux, une classe élitaire forgeant sa puissance sur le renom, la force brutale et un clientélisme entretenu par le butin, accumulé à l’occasion de raids chez les voisins ou par la pratique de la piraterie. Si cette élite domine le monde scandinave et cherche à imprimer sa marque sur l’Histoire, via les scaldes, elle n’en demeure pas moins la minorité. Esclaves, paysans, pêcheurs, artisans, enfants et femmes demeurent la majorité contribuant au moins autant que les guerriers à l’essor scandinave. Et si la société fonctionne sur une base patriarcale, les femmes ne semblent pas totalement dépourvues de pouvoir, comme en attestent les fouilles de tombes monumentales.
L’article de Neil Price, « Dieux, elfes et trolls : une mythologie pas comme les autres » et l’entrevue où il est interrogé sur les raisons qui ont poussé les vikings à prendre la mer me poussent à hâter la lecture de son essai Les enfants du frêne et de l’orme. À vrai dire, le concept de merritoire, cette domination fondée sur le contrôle de la mer, mélange d’opportunisme et de soif de renommée, se révèle diablement stimulant et mérite qu’on s’y arrête. De son côté, Alban Gautier remet à sa juste place la présence scandinave en Angleterre, démontrant que si le Danelaw ne dure finalement que quelques décennies, les conséquences de l’occupation ne se limitent pas qu’à la toponymie, la langue et les coutumes, bien au contraire la colonisation contribue surtout à accélérer l’unification anglo-saxonne. D’ailleurs, il y aurait sans doute une chouette uchronie à écrire sur le sujet. L’Angleterre serait-elle advenue sans les vikings ? Par contre, désolé pour les Normands et les fans de la Rus’, les scandinaves ayant opté pour l’assimilation, il ne semble pas rester grand chose de leur héritage, en dépit de quelques toponymes ou noms de famille et de la volonté d’en faire un marqueur identitaire. Bref, je recommande la lecture des articles d’Aleksandr Musin, de Pierre Bauduin et de Fabien Paquet pour s’en convaincre.
Pour terminer, dans un ultime article salutaire à tous points de vue, Pierre Bauduin en appelle à « décoloniser » les vikings pour les libérer d’une histoire, en grande partie forgée par l’imaginaire romantique du XIXe siècle, qui n’est pas la leur. Il invite aussi à déconstruire les représentations virilistes, guerrières et néo-païennes qui grèvent l’imaginaire, regardées par l’extrême-droite comme un idéal marqué du sceau de la fausseté et d’une certaine frustration. Enfin, il pose la question de la validité de l’utilisation des termes migration et invasion, préférant plutôt parler de diasporas scandinaves. Le débat est posé.
L’Histoire – Hors-série « Collection n°98 » – Les vikings, une histoire mondiale
