Dans le meilleur des mondes possibles, Sylas coule des jours paisibles sur son île bretonne, partagé entre son activité d’ingénieur système et sa passion pour la voile. Depuis que l’humanité a confié son destin à Simri, l’intelligence artificielle bienveillante, les fléaux qui la frappaient périodiquement ont été remisés dans les poubelles de l’Histoire, aux côtés des scénarios catastrophe avortés et autres propositions d’avenir erronées. Brave Simri ! Cinquante années de paix, de douceur, au rythme de la reconstitution progressive de l’écosystème, mais aussi d’une gouvernance bienveillante, fondée sur la sobriété et la coopération. Hélas, le bonheur de Sylas est entaché par sa sœur, résolue à user de son droit à renoncer à la protection et au confort garantis par Simri. Autrement dit, Calie souhaite devenir une A-citoyenne, disparaître des radars pour se couler dans l’anonymat et l’incertitude du lendemain. Un processus irréversible.
Troisième titre paru dans la collection « Eutopia » des éditions de La Volte, Collisions par temps calme renoue avec l’utopie, un exercice de pensée revigorant délaissé depuis trop longtemps au profit des dystopies et autres contre-utopies, nées sur le terreau du désenchantement et des contingences de la réalité. Mais, qu’est-ce que la réalité ? Un état de conscience résultant de l’effondrement de toutes les autres perspectives ? Un paradigme issu d’une volonté politique commune, déterminée à le faire advenir, à le faire surgir au sein des multiples possibilités ? Un jardin aux sentiers qui bifurquent dont il convient de cultiver les plates-bandes et de tailler l’arborescence des possibles ? Un océan dont on épouse la houle pour mieux tracer sa trajectoire, contre vent et marée ? Ou plus simplement une montagne dont les deux versants dessinent une ligne de crête étroite, départageant un adret désirable et un ubac cauchemardesque ?
Au-delà du simple vertige spéculatif, la novella de Stéphane Beauverger propose une belle réflexion sur la faculté de l’humain à faire ses propres choix. Que vaut en effet le bonheur si on ne peut s’y soustraire ? Que vaut-il s’il suffit seulement de lâcher prise pour échapper à toute responsabilité ? Face au dilemme personnel de Sylas, Stéphane Beauverger se garde des réflexes technophobes et des ambiguïtés de l’idéalisme. Il oppose au désir d’utopie des choix de vie divergents, irréconciliables, déroulant et recoupant les points de vue sans chercher à donner raison à l’un ou à l’autre.
Collisions par temps calme nous laisse donc pensif, en proie à un vertige moral et politique, où surnage l’impression d’être né sur le mauvais versant du monde. Il ne tient pourtant qu’à nous de faire de cette expérience de pensée science-fictive une réalité afin de repousser les noires prophéties auto-réalisatrices qui obèrent notre avenir.

Collisions par temps calme – Stéphane Beauverger – Éditions La Volte, collection « Eutopia », octobre 2021