Avec Dans les Profondeurs du temps, Adrian Tchaikovsky nous propose de renouer avec l’avenir multi-racial développé dans l’excellent Dans la Toile du temps. Un futur où les araignées et les Humains, désormais débarrassés de leur propension atavique à l’auto-destruction grâce au virus synthétique Rus-Califi, collaborent pour explorer l’espace et ainsi accroître leur connaissance. Attiré par un signal d’apparence humaine dans le système Tess 834, l’astronef Voyageur y découvre une civilisation inconnue et pour le moins agitée. Des poulpes de l’espace dotés d’une technologie très avancée, aussi belliqueux que versatiles, divisés en factions n’hésitant pas à s’affronter pour se disputer les quelques ressources à leur disposition et à se réconcilier selon leur humeur du moment. Bref, pas de quoi faciliter un premier contact d’autant plus qu’un interdit absolu semble peser sur leur culture, déclenchant des réactions irraisonnées et violentes. L’équipage mixte du Voyageur, composé à parts égales de portidés et d’Humains modifiés, marche donc sur des œufs, prêt à rebrousser chemin au moindre signe hostile. Prudemment, il dépêche une navette auprès des octopodes afin de sonder leur capacité à négocier, se mettant à portée sans le deviner d’un danger encore plus grand.
On ne change pas une recette qui fonctionne. Adrian Tachikovsky applique sans vergogne ce vieux principe rejouant, non sans imagination, l’intrigue de Dans la Toile du temps. Alternant le passé et le présent, les événements de l’un éclairant le contexte de l’autre, l’auteur britannique semble interpréter une partition assez semblable, même si l’on ne peut s’empêcher de ressentir plus douloureusement les points faibles sur lesquels on passait allègrement dans le précédent roman.
Le passé nous plonge ainsi quelques milliers d’années plus tôt, au moment où une mission scientifique humaine arrive dans le système de Tess 834. Les sondes spatiales ont ciblé deux planètes, Nod et Damas, comme candidates à la colonisation, mais il reste à confirmer leurs observations. Hélas sur la première, la vie pullule à la surface ne manquant pas de soulever immédiatement quelques problèmes éthiques auprès des membres de l’équipage. En attendant l’arrivée des milliers de colons qui ne manquera pas de précipiter les événements, ils décident de se partager le travail. Pendant qu’une partie des scientifiques étudie et ausculte sur place les différents biomes de Nod, l’autre moitié, dirigée par Dsira Senkovi, va terraformer Damas la glacée. Mais, le bougre est un électron libre, bien peu respectueux de la discipline qui, dès qu’il bénéficie de temps libre, se consacre à la manipulation génétique de son animal familier préféré, le poulpe. On imagine sans peine qu’il espère faire du mollusque un partenaire de confiance pour explorer et mettre en œuvre ses projets d’aménagement du fond les océans de Damas, non sans prendre quelques risques comme les premières expériences lui montrent. Adrian Tchaikovsky dévoile ainsi progressivement les préliminaires d’une tragédie dont les effets sont au cœur de la crise traversée par l’équipage de la navette du Voyageur, contraints de délaisser leur mission d’ambassadeurs pour celle de négociateurs aux prises avec des interlocuteurs sans cesse le tentacule sur la gâchette.
D’aucuns apprécieront une nouvelle fois la faculté de l’auteur à imaginer et mettre en scène des espèces aux biologie et psychologie différentes, même s’il zappe l’étape évolutive qui demeurait le point fort de Dans la Toile du temps. Adrian Tchaikovsky préfère en effet se focaliser sur l’épineuse question de la communication inter-espèces, déployant une réelle inventivité pour imaginer des modes de communication adaptés au comportement des différentes races. Si la mutuelle compréhension semble établie entre les araignées et leur partenaire Humains, il n’en va pas hélas de même pour les échanges avec les poulpes. Surmonter la barrière du langage avec ces interlocuteurs impulsifs et frénétiques semble d’autant plus vital qu’un troisième intervenant d’origine véritablement extraterrestre menace tout le monde d’une manière radicale et définitive.
Si l’aspect hard-SF reste appréciable, il n’est malheureusement pas suffisant pour contrebalancer les nombreux défauts. Bavard, laborieux, Dans les Profondeurs du temps ne parvient pas à ranimer l’étincelle qui animait le précédent roman. À plusieurs reprises, on ne peut s’empêcher de soupirer et trouver le temps long, l’intrigue se déroulant quasi-exclusivement du point de vue humain. On le sait, la psychologie humaine n’est pas le point fort d’un auteur qui fait montre par ailleurs d’un optimisme fâcheux lui faisant bâcler le dénouement de son roman. Des faiblesses certes déjà présentes dans son précédent roman mais qui finissent ici par agacer.
Imaginé comme un prolongement et un enrichissement de l’univers de Dans la Toile du temps, Dans les Profondeurs du temps ne convainc donc pas complètement. Le voyage promis aurait pu être stimulant, il l’est tout de même pour l’amateur de hard-SF. Mais, pas suffisamment pour amoindrir des faiblesses qui finissent par plomber le sense of wonder.

Dans les Profondeurs du temps (Children of Ruin, 2019) – Adrian Tchaikovsky – Éditions Denoël, collection « Lunes d’encre », 2021 (roman traduit de l’anglais par Henry-Luc Planchat)