Arkel

Avant de rencontrer le succès avec la série humoristique et macabre « Pierre Tombal » scénarisée par le prolifique et regretté Raoul Cauvin, Marc Hardy a participé avec Stephen Desberg à la création des aventures d’Arkel. Situé entre Envers (l’Enfer) et Paradis, dans un contexte prometteur mêlant SF et Fantasy, la série n’a hélas connu qu’un succès relatif, comme en témoigne sa parution inaboutie en quatre récits chez deux éditeurs différents. D’ailleurs, la quatrième histoire ne dépassera jamais le stade de la prépublication dans l’hebdomadaire Spirou, finissant par nourrir ultérieurement une seconde série rebaptisée pour cette occasion « Anges et diablesses » et découpée en deux parties : Au plus haut des Cieux et La nuit du Grand Bouc.

Je l’avoue bien volontiers, j’ai une affection coupable pour l’ange guide du Paradis dont j’ai découvert les aventures dans mon adolescence, à l’époque de sa prépublication dans Spirou. Sa relecture en dépit de l’outrage des ans, je parle évidemment de l’âge de mes artères, n’a en rien entamé un enthousiasme désormais teinté de nostalgie. Desberg et Hardy font en effet une utilisation maline de la Science Fiction et de la Fantasy, conférant de surcroît à l’affrontement entre Bien et Mal un aspect piquant, la faute aux épringues fourbies par les personnages. Une lutte non dépourvue d’ambivalence où doute et dilemme sont loin de pointer aux abonnés absents.

Le trait nerveux, pour ne pas dire griffonné de Hardy fait ici merveille pour dépeindre les trognes grotesques des démons dont les légions sont loin de se cantonner à l’apparence cornue et reptilienne à laquelle l’imagerie chrétienne croit bon de les cantonner. De leur côté, les archanges ne ressemblent guère aux créatures éthérées des Évangiles. Bien au contraire, ils arborent blousons, jeans et les tignasses orgueilleuses d’une jeunesse exubérante. Mais surtout, ils ne dédaignent pas les plaisirs terrestres à l’exception notable de la bête à deux dos, publication pour la jeunesse oblige.

Côté Science Fiction, l’amateur a de quoi se réjouir. Desberg et Hardy connaissent sur le bout des doigts les codes du space opera qu’ils appliquent ici avec une certaine réussite. D’aucuns pointeront l’avalanche des poncifs, notamment une propension fâcheuse à la bêtise du côté des démons. De même, le machiavélisme à peu de frais de Gordh, l’incarnation du Mal en mal de reconnaissance paraît quelque peu téléphoné, à tel point qu’on se demande si le bougre n’est pas sponsorisé par une crème contre l’acné. Fort heureusement, le dynamisme du récit comme les silhouettes affûtées des vaisseaux de l’Envers et du Paradis permettent de faire passer la pilule. Une esthétique futuriste n’étant sans doute pas étrangère à mon goût pour la SF, conversion facilitée à la même époque par le dessin animé Il était une fois l’espace où officiait Manchu.

Arkel n’a donc pas à rougir de ses presque quarante ans. En dépit de la naïveté du propos, après tout l’histoire ne s’écarte guère du schéma de l’affrontement manichéen entre le Bien et le Mal, le scénario distille noirceur et cruauté dans ses angles morts. De quoi en remontrer à bien des publications actuelles pour la jeunesse.

Arkel – Stephen Desberg & Marc Hardy – Éditions Dupuis, 1985 – Réédition Palombia, 1992 – Réédition Black & White, 2017