Quelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre

Robin Cook, à ne pas confondre avec son homonyme américain faiseur de thrillers médicaux, était un auteur britannique de polars bien noirs, dont les qualités ont été louées en son temps par Jean-Patrick Manchette. Je sais, ceci ne constitue pas un critère incontestable pour porter un auteur au firmament de la Grande Littérature. Qu’importe, Cook demeure à mes yeux un excellent auteur dont il convient de découvrir les mérites amplement supérieurs à ceux de son homonyme états-unien.

Quelque chose de pourri au royaume d’Angleterre est à la fois une satire sociale et un texte de politique fiction qui lorgne vers l’aspect dystopique de la Science Fiction. Les critiques anglais n’ont d’ailleurs pas manqué d’opérer le rapprochement avec un autre ouvrage britannique hautement politique et dystopique. Vous l’aurez compris, il s’agit de 1984 de George Orwell.
Mais revenons à Quelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre. Richard Watt, le narrateur, vit en exil avec sa femme dans un village d’Italie depuis que le climat est devenu trop malsain au Royaume-Uni. Le premier ministre Jobling a en effet décidé d’imprimer au pays un tournant radical en appliquant son programme du Nouvel Élan. Un virage radical consistant, ni plus ni moins, à installer un régime de nature socialiste en Angleterre. En fait, une véritable démocratie populaire avec système totalitaire intégré. Cette décision ne rencontrant pas l’enthousiasme général, l’Écosse et le Pays de Galles n’ont pas tardé à faire sécession et, à l’instar de nombreux autres membres de l’intelligentsia britannique, Watt a déserté le navire avant qu’il ne sombre. Il se pourrait malheureusement que le naufrage le rattrape, car Jobling a fait de son extradition une affaire personnelle.

Dédié à toutes les victimes, ce roman est une charge lourde, confinant au véritable règlement de compte contre le conformisme social anglais (comme dans d’autres titres de ses débuts, Cook y règle en bloc ses comptes avec son milieu social et son pays). A la différence d’Orwell, le totalitarisme n’est pas encore installé, mais il semble en voie pour se pérenniser. Cependant, la critique n’a pas totalement tort de le rapprocher de l’œuvre maîtresse d’Orwell, car c’est bien vers une certaine forme de dictature moustachue, parée des oripeaux socialistes, que regarde ce roman daté de 1970.

Dans la première partie, en compagnie du narrateur, nous suivons de loin les développements du totalitarisme en Angleterre. Une chape de plomb semble en effet être tombée sur son pays natal. Il ne cesse d’ailleurs de s’étonner et de s’inquiéter de l’étonnante passivité de ses compatriotes. La population semble avoir accepté sans rechigner une autre logique comme si celle-ci était un prolongement naturel de la Démocratie. De son côté, la bonne société anglaise progressiste, elle, préfère s’accommoder paisiblement de l’ordre rétabli, en fermant les yeux sur les crimes perpétrés par le régime. A l’heure de la guerre contre le terrorisme, du choc des civilisations, de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité, la pertinence du regard de Cook résonne cruellement pour nous rappeler que la contre-révolution avait déjà gagné en 1970. Cette partie, portée par un style volontiers lyrique, est la plus chaleureuse. Pourtant, déjà se mettent en place les éléments du futur retour à la réalité pour Watt et sa femme.

Dans la seconde partie, le couple doit retourner en Angleterre. La parenthèse italienne est fermée, commence l’implacable face à face avec la dictature. La prose devient plus froide, restituant l’opposition féroce et la violence latente. Avec Orwell, le totalitarisme n’avait pas d’incarnation. C’était une machine représentée par l’image générique de Big Brother. Chez Robin Cook, il endosse la personnalité médiocre et méprisable des supplétifs qui se sont engagés à son service. Ces êtres veules, falots et ratés n’ont rien de surhumains. Bien au contraire, ils s’inscrivent dans la normalité et l’on pourrait presque les rencontrer au coin d’une rue, voire discuter avec eux dans une file d’attente. Insidieusement, c’est le fait de résister qui devient anormal. Néanmoins, Watt est un battant qui ne se rendra pas. On est d’ailleurs étonné de sa détermination et de sa faculté de résistance. Et finalement, s’il finit par céder c’est que : « Tant que je pus me battre, je leur résistais, et quand je m’effondrais, ce fut parce que mon corps n’en pouvait plus, et en aucune façon parce que j’avais épuisé ma réserve de haine. »

Bref, Quelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre me paraît être un pic dans l’œuvre de Robin Cook. Vous savez ce qu’il vous reste à faire maintenant…

quelque chose de pourriQuelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre (A State of Denmark, 1970) – Robin Cook – Réédition Rivages/Noir, 2005 (traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias)