Notre connaissance de François Villon se limite aux quelques extrapolations que l’on a pu déduire de ses propres écrits et des lettres de rémission l’exonérant des actes criminels accomplis durant sa courte vie. De ce maigre corpus, on a pu tirer une biographie floue, où rien n’est absolument sûr, mais où tout est sujet à interprétation, à débat, supputation et fantasme. Le lieu qui l’a vu naître, sa date de naissance et celle de sa mort font ainsi l’objet d’hypothèses incertaines. Seule son identité ne semble plus sujet à controverse puisque le bougre serait né sous le patronyme de François de Montcorbier. Quant à la prononciation de son nom d’emprunt, inspiré par son tuteur, il faut aller la chercher du côté d’une rime extraite d’un de ses poèmes. Bref, entre le personnage réel et le personnage de fiction, beaucoup ont choisi leur camp, s’empressant d’étoffer un légendaire déjà bien rempli.
Je, François Villon relève de l’autobiographie fictive, Jean Teulé endossant les oripeaux du poète pour nous narrer sa vie. Puisant sa connaissance du personnage dans les quelques éléments sûrs dont on dispose et dans les écrits du bonhomme, il brosse un portrait cru de Villon, contribuant à entretenir sa légende. Sous sa plume, il reprend la tenue du larron, du joyeux fêtard, jamais à court de malice lorsqu’il s’agit de faire montre de villonie. Un adolescent préférant la compagnie du bas peuple, des prostituées, des vagabonds et autres coquillards, à la vie de simple clerc, en quête d’un bénéfice pour vivre de sa rente.
Le Villon de Teulé est viscéralement attaché à sa liberté et à son indépendance, cherchant son inspiration dans l’hypocras, la camaraderie bruyante de la canaille jusqu’à flirter avec l’indicible et l’horreur. Il côtoie ainsi le crime et les abîmes du mal absolu jusqu’au dégoût de lui-même. Mais, la frontière entre la sauvagerie cruelle de la pègre et les procédés violents de la Justice paraît bien mince. Le droit du plus fort, obtenu par la naissance, est-il forcément plus juste que l’envie de revanche des gueux ? Teulé ne tranche pas, il se contente de poser la question, nous renvoyant à nos propres certitudes.
Au-delà du questionnement moral, Je, François Villon est enfin un formidable roman sur le Moyen-âge, mettant en scène un Paris truculent où, entre le cimetière des Innocents, le gibet de Montfaucon et les rues populeuses du quartier latin, avec leurs bordeaux et leurs étuves, le lecteur (re)découvre un monde relevant d’un passé révolu, mais continuant à vivre à travers les vers du poète, non sans susciter encore quelques échos.
Avec Je, François Villon, Jean Teulé nous convie donc à une fort revigorante ballade au cœur du légendaire du poète médiéval. De quoi donner envie de poursuivre l’aventure avec l’auteur, hélas récemment décédé. Sans doute bientôt.
Je, François Villon – Jean Teulé – Éditions Julliard, 2006.
