Noon du soleil noir

On a découvert L.L. Kloetzer avec deux romans de science fiction lorgnant du côté de la dystopie et du récit post-apocalyptique. Une très bonne surprise, l’imaginaire de l’auteur/trice augurant du meilleur. Anamnèse de Lady Star a d’ailleurs été justement récompensé par le Grand prix de l’Imaginaire, preuve s’il en est de l’attention portée sur l’œuvre du couple Kloetzer. Depuis, on se languissait un peu, au désespoir de ne pas voir les promesses se concrétiser autour d’un nouveau roman. L’attente n’aura pas été vaine puisque l’auteur/rice revient pour nous livrer un hommage à quatre mains à Fritz Leiber, en particulier à la série culte mettant en scène (euphémisme) les fabuleux Fafhrd et Souricier Gris.

Que les lecteurs de ce blog sachent que le « Cycle des Épées » fait partie de mes madeleines littéraires, au moins autant que le « Cycle de Lyonesse » ou l’univers de la Terre mourante de Jack Vance. Fritz Leiber y décline les aventures picaresques et un tantinet théâtrales d’un duo d’anti-héros bien mal assortis et pourtant liés par une indéfectible amitié et communauté de (mauvais) esprit. Guère vertueux, les deux compères passent en effet leur temps en beuverie et ripaille, n’attendant qu’un signe de leur guides spirituels, les mystérieux Ningauble-aux-Sept-Yeux et Sheelba au visage sans yeux, pour partir à l’aventure, histoire de remplir leur bourse éternellement vide. Ils sillonnent ainsi le monde décadent de Newhon, guidés par l’appât du gain, la curiosité et la perspective de s’affranchir de la morale, même s’ils ne sont pas complètement dépourvus d’un certain sens de la justice. En somme, deux parfaits truands dans un monde de brutes guère bienveillantes avec les bons ou les naïfs.

Sans surprise, Noon du soleil noir se coule dans le décor familier aux lecteurs du « Cycle des Épées », même si Lankhmar n’est pas nommée, les auteur/trice préférant l’art de la périphrase imagée. Pas de quoi cependant tromper le connaisseur habitué à la géographie de le cité et à son voisinage. Un autre duo vient se substituer aux deux acolytes, pas moins roublards et téméraires que leurs prédécesseurs. Mercenaire vieillissant et boiteux, Yors est réduit à guetter le pigeon à la porte de la cité afin de proposer ses services pour lui éviter les périls de la Ville aux Mille fumées et ainsi subvenir à ses propres besoins. L’arrivée de Noon, jeune magicien un tantinet naïf mais à la bourse bien pleine, lui laisse espérer quelques repas et verre supplémentaires à l’auberge où il a ses habitudes. Le gandin ne semble cependant pas complètement dépourvu de pouvoir, comme le vétéran s’en rend compte rapidement. Ses centres d’intérêt le distinguent également du quidam moyen, poussant Yors à redouter la désarmante ingénuité du personnage plus que ses sortilèges.

Dans une langue évocatrice, L.L. Kloetzer redonne un coup de jeune au Sword & Sorcery, sous-genre perclus de clichés et de gimmicks que l’on croyait bien mort après le succès de « A Song of Ice and Fire » et consorts, convoquant moult réminiscences auprès des joueurs de AD&D. Machinations politiques, cultes antédiluviens, sortilèges, entourloupes et retournements de situation sont ainsi légion, pour notre plus grand plaisir, sans qu’à un seul moment on éprouve un sentiment de redite ou une quelconque lourdeur stylistique. Les auteur/trice se gardent bien en effet de tout éventuel pastiche, jouant avec les poncifs du genre et déjouant les pièges de l’hommage trop appuyé. Ils semblent d’ailleurs avoir manifestement pris grand plaisir à le faire, leur joie se révélant finalement très communicative. Noon du soleil noir se révèle ainsi un divertissement léger et amusant, dont le rythme vif et enjoué, empreint d’une ironie jubilatoire, fait merveille. Sous la patine des archétypes, Yors comme Noon forment un tandem vraiment efficace qui confère au récit une réelle épaisseur et contribue à renforcer l’immersion au sein de la Cité de la Toge noire.

Noon du soleil noir est donc une réussite, un pur récit de Sword & Sorcery, astucieux et inspiré, auquel les illustrations de Nicolas Fructus apportent un contrepoint graphique bienvenu. On attend maintenant avec impatience la suite annoncée des aventures de Yors et Noon. Les deux compères nous manquent déjà.

Noon du soleil noir – L. L. Kloetzer – Éditions Le Bélial’, juin 2022