Number Nine

Le monde a sombré. Un fait prévisible mais dont l’humanité ne se soucie guère car il est trop tard ou, plus simplement, parce que le cynisme semble encodé dans son ADN.

Dans des villes ravagées par le chômage et la délinquance, jonchées de détritus et d’effluents toxiques, les pauvres vivent désormais d’expédients. Il chassent les chiens errants, autant pour en consommer la chair que pour éviter de devenir leur proie. Ils triment comme des forçats, consumant jusqu’à leurs ultimes forces pour glaner quelques miettes afin de subsister. De quoi durer. Un jour de plus. Un jour sans espoir.

Condamnés à vivre à l’ombre des murs protégeant les quartiers aisés, ils en franchissent pourtant parfois l’enceinte. Une manière rapide de se suicider, abattus par des miliciens zélés qui ainsi ne tuent pas que l’ennui.

Plus par désœuvrement que par conviction, le narrateur se porte volontaire pour travailler dans une des friches radioactives parsemant le vieux continent. Car le nucléaire a été abandonné, laissant « les défuntes » en héritage au monde entier. De jolies petites centrales nucléaires, noyées sous des tonnes de béton, le cœur en fusion et l’enceinte de confinement éventrée.

Affecté à la zone 13, le bonhomme œuvre à sa décontamination. Et il y a du boulot. Engins de chantier abandonnés après avoir servi à enterrer les cendres radioactives ou à construire le sarcophage recouvrant le réacteur. Maisons, immeubles, voitures et autres biens consommés à gogo. Rien ne doit sortir ! Du moins officiellement, car comme dans tout système bien rodé, il se trouve toujours quelques malins pour arrondir leur fin de mois grâce à de menus trafics.

Les habitants eux-mêmes ne font pas exception à la règle du confinement. De la naissance à la mort, ils ne peuvent quitter la zone. Et après leur mort, il faut retraiter leur dépouille. C’est à ce moment qu’interviennent le narrateur et Number nine, chien mutant gros comme un veau, pourvu d’une mâchoire métallique. Une création cauchemardesque programmée pour avoir un appétit insatiable. Car lorsque que l’on meurt dans la zone, l’alternative est simple : soit le cadavre est incinéré, soit Number nine le mange.

Premier roman de Thierry Di Rollo, Number Nine porte en germe bien des éléments de son œuvre à venir. Un monde crépusculaire, rongé jusqu’à l’os par une espèce humaine peu attachée à l’éthique ou à la fraternité. Un héros narrateur, au moins autant acteur que victime. Une noirceur omniprésente où pointent néanmoins quelques lueurs d’humanité. Des moments fugaces où l’on goûte un répit salutaire, oubliant l’absurdité intrinsèque de l’existence, avant de retourner au charbon.

Assurément, on ressort ébranlé par la lecture de Number Nine. La vision pessimiste de l’auteur et le peu d’empathie que semblent éprouver les personnages pour leurs semblables comptent pour beaucoup dans cette impression. Le roman de Thierry Di Rollo est jalonné de phrases chocs, comme autant de clous apposés sur le cercueil d’une humanité vouée à faire du monde un enfer.

L’auteur se concentre sur deux caractères principaux. Un narrateur, pauvre bougre embarqué par amour dans un voyage au bout de l’enfer, et une jeune femme, Blandine, que le prénom ne destine pas au martyr. On plonge dans leur psyché jusqu’à la nausée, se frottant à leurs tourments, leur folie ou plus simplement au néant de leur existence. On les accompagne dans leur aller-retour, entre Europe et Amérique, dans un périple émaillé de sexe, de castrations et de meurtres, avec en ligne de mire la vengeance. Et au final, amour et haine s’entretiennent, ne débouchant que sur une violence cathartique, pour un résultat proche du dégoût.

À bien des égard, Number Nine s’apparente à une ébauche encore maladroite. On peut s’agacer de l’aspect répétitif et sommaire de l’intrigue, du caractère caricatural des personnages secondaires et des invraisemblances sur lesquelles il est difficile de faire l’impasse, même avec une incrédulité suspendue au pistolet à clous.

Mais, les critiques et les motifs d’exaspération n’enlèvent rien au potentiel que l’on devine dans ce premier roman. Des promesses qui depuis ont toutes été tenues.

Pour les amateurs, le roman est disponible ici.

Number Nine de Thierry Di Rollo, Le Bélial’ (réédition numérique, mars 2012)

5 réflexions au sujet de « Number Nine »

  1. Alors que j’aime de plus en plus l’auteur en tant que nouvelliste, j’ai toujours aussi peur d’entrer dans l’un de ses romans. Pas sûr que ce que tu en dis là, même si c’est très bien dit, me donne envie de m’y plonger.

    A.C.

    • Essaie tout de même Les Solitudes de l’ours blanc. C’est un court roman noir avec une touche de fantastique et un personnage féminin que je trouve magnifique.
      Et puis, n’oublions pas Eleanor Rigby.
      Le diptyque Bankgreen/Elbrön vaut aussi le détour, rien que pour la puissance d’évocation de son écriture.
      Enfin, ce serait dommage de passer à côté de La profondeur des Tombes.
      Bref, tu as de l’ouvrage sur la planche…

      • J’ai « La profondeur des Tombes », dédicacé par T Di R. (pas très loquace, d’ailleurs). Vraiment pas très envie d’y plonger, dans cette profondeur, vu la réputation des écrits du romancier. Mais il n’y a pas de raison que je ne le fasse pas un jour.

        A.C.

  2. Ping : Premier cri d’une naissance | Mondes Noirs

    • Bonjour,
      Je vais rougir…
      Flatterie mise à part, je lirai aussi Archeur, car j’estime que lorsque l’on apprécie un auteur, il faut tout lire de lui. Pour jauger son évolution et le travail qu’il a fourni, car ce n’est pas facile de bâtir une œuvre. Et puis, si cela permet d’attiser la curiosité d’autrui, amenant des lecteurs à découvrir vos autres romans…

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