Le Sang de la Cité : Capitale du Sud 1/3

Le Sang de la Cité est sans doute l’œuvre de Fantasy la plus stimulante qu’il m’a été donné de lire en francophonie depuis au moins Gagner la Guerre de Jean-Philippe Jaworski et peut-être même aussi depuis « Les sentiers des Astres ». Premier volet d’une trilogie (« Capitale du Sud ») répondant à une seconde trilogie (« Capitale du Nord »), écrite conjointement par Claire Duvivier, l’ensemble forme une fresque romanesque intitulée « La Tour de garde » qui puise son inspiration à la fois dans le roman d’aventure, l’Histoire et la Fantasy. En somme, une trilogie en stéréo, le tout étant supposé dépasser la simple somme des parties. Le Sang de la Cité dépeint un cadre foisonnant et décrit un contexte complexe, tout en posant les jalons d’une intrigue dont le narrateur apparaît d’emblée comme l’un des protagoniste principal du drame qui se noue entre les murailles de la cité-état de Gemina.

Longtemps, l’existence de Nox et de sa sœur jumelle Daphné a été gardée secrète. Ceux que l’on appelle encore les « Suceurs d’Os », en souvenir de leur claustration dans les tréfonds du Moineau-du-Fou, bastion conquis de haute lutte par le clan de la Caouane, semblent désormais faire partie du paysage urbain. Adoptés par les vainqueurs après la défaite de leur geôlier, le duc Adelphes du Souffleur, ils bénéficient de la protection de leur chef, le duc Servaint. Sous la surveillance discrète de ses serviteurs, Nox œuvre comme coursier pour le compte d’Eustaine dont la renommée en matière de bons vins et de mets délicieux n’est plus à faire. Connu de tous dans le quartier du port, il se tient également informé des dires et des rumeurs dont la teneur est une source précieuse pour Servaint. Le duc nourrit en effet l’ambition de rompre l’équilibre politique de la cité, en creusant un canal pour relier le port aux quartiers périphériques, quitte à défier le monopole des clans du centre de Gemina. Pour Nox qui n’aspirait qu’à la tranquillité, en dépit des frasques violentes de sa sœur, le projet de son protecteur est un bouleversement qui l’amène à côtoyer les intrigues politiques des puissants de la cité. Une situation qui va le contraindre à accomplir sa mue.

Le Sang de la Cité apparaît comme un formidable roman d’aventure, vif et enjoué, mais aussi plus sombre au fur et à mesure que l’on se familiarise avec Gemina. La ville est incontestablement l’un des points forts du récit, un personnage à part entière, omniprésent jusque dans les angles morts de l’intrigue. Métropole populeuse, à la voirie tortueuse dont le tracé est rendu encore plus incertain par la Recluse, la véritable ordonnatrice des travaux publics, elle déploie le lacis de ses venelles, de ses rues et avenues, brouillant les repères et offrant un cadre fluctuant au foisonnement des activités qui ponctuent son paysage. Débardeurs aux mœurs rugueuses, mendiants la main tendue dans l’espoir d’une aumône, marchands affairés, poètes et conteurs colportant la rumeur, ouvriers, spadassins, un melting-pot sans cesse renouvelé d’émotions, d’affrontements, d’entraide ou de coopération insuffle vitalité et effervescence à ce microcosme urbain dense et turbulent.

D’aucuns retrouveront dans les descriptions de Guillaume Chamanadjian le décor des villes italiennes, à l’époque de la Renaissance. Le gouvernement dominé par l’aristocratie marchande, le clientélisme comme mode de contrôle social, le mécénat comme outil de propagande et les mariages arrangés pour renforcer les alliances, Gemina n’a rien à envier à Florence ou à Gênes. La Fantasy n’est cependant pas absente de l’intrigue. Bien au contraire, ses ressorts et motifs figurent au cœur d’un récit qui, si l’on y regarde de plus près, reste avant tout celui d’une quête initiatique, celle d’un gosse faisant l’apprentissage de son passé et du rôle qu’on veut lui faire jouer à l’avenir. Un pion appelé à servir les desseins politiques de son seigneur et protecteur, peut-être même la pièce maîtresse dans l’affrontement qui se prépare et dont les enjeux le dépassent. Bref, tout cela n’est guère éloigné de L’Assassin royal de Robin Hood, de Assassin’s Creed, voire des intrigues à tiroirs du cycle du « Trône de fer » de George R.R. Martin. Nous sommes en terrain connu, y compris pour la magie qui, si elle demeure discrète, n’en demeure pas moins l’un des moteurs du récit, notamment dans la part jouée par le Nihilo, le reflet sombre de Gemina dont Nox pénètre peu-à-peu les secrets.

En dépit des longueurs du début, mais sans doute faut-il passer par là pour se familiariser avec les lieux et installer l’action, Le Sang de la Cité est un premier tome prometteur dont on attend maintenant le développement. Bientôt, avec Trois Lucioles.

Le Sang de la Cité : Capitale du Sud 1/3 – Guillaume Chamanadjian – Éditions Aux Forges de Vulcain, avril 2021

Arkel

Avant de rencontrer le succès avec la série humoristique et macabre « Pierre Tombal » scénarisée par le prolifique et regretté Raoul Cauvin, Marc Hardy a participé avec Stephen Desberg à la création des aventures d’Arkel. Situé entre Envers (l’Enfer) et Paradis, dans un contexte prometteur mêlant SF et Fantasy, la série n’a hélas connu qu’un succès relatif, comme en témoigne sa parution inaboutie en quatre récits chez deux éditeurs différents. D’ailleurs, la quatrième histoire ne dépassera jamais le stade de la prépublication dans l’hebdomadaire Spirou, finissant par nourrir ultérieurement une seconde série rebaptisée pour cette occasion « Anges et diablesses » et découpée en deux parties : Au plus haut des Cieux et La nuit du Grand Bouc.

Je l’avoue bien volontiers, j’ai une affection coupable pour l’ange guide du Paradis dont j’ai découvert les aventures dans mon adolescence, à l’époque de sa prépublication dans Spirou. Sa relecture en dépit de l’outrage des ans, je parle évidemment de l’âge de mes artères, n’a en rien entamé un enthousiasme désormais teinté de nostalgie. Desberg et Hardy font en effet une utilisation maline de la Science Fiction et de la Fantasy, conférant de surcroît à l’affrontement entre Bien et Mal un aspect piquant, la faute aux épringues fourbies par les personnages. Une lutte non dépourvue d’ambivalence où doute et dilemme sont loin de pointer aux abonnés absents.

Le trait nerveux, pour ne pas dire griffonné de Hardy fait ici merveille pour dépeindre les trognes grotesques des démons dont les légions sont loin de se cantonner à l’apparence cornue et reptilienne à laquelle l’imagerie chrétienne croit bon de les cantonner. De leur côté, les archanges ne ressemblent guère aux créatures éthérées des Évangiles. Bien au contraire, ils arborent blousons, jeans et les tignasses orgueilleuses d’une jeunesse exubérante. Mais surtout, ils ne dédaignent pas les plaisirs terrestres à l’exception notable de la bête à deux dos, publication pour la jeunesse oblige.

Côté Science Fiction, l’amateur a de quoi se réjouir. Desberg et Hardy connaissent sur le bout des doigts les codes du space opera qu’ils appliquent ici avec une certaine réussite. D’aucuns pointeront l’avalanche des poncifs, notamment une propension fâcheuse à la bêtise du côté des démons. De même, le machiavélisme à peu de frais de Gordh, l’incarnation du Mal en mal de reconnaissance paraît quelque peu téléphoné, à tel point qu’on se demande si le bougre n’est pas sponsorisé par une crème contre l’acné. Fort heureusement, le dynamisme du récit comme les silhouettes affûtées des vaisseaux de l’Envers et du Paradis permettent de faire passer la pilule. Une esthétique futuriste n’étant sans doute pas étrangère à mon goût pour la SF, conversion facilitée à la même époque par le dessin animé Il était une fois l’espace où officiait Manchu.

Arkel n’a donc pas à rougir de ses presque quarante ans. En dépit de la naïveté du propos, après tout l’histoire ne s’écarte guère du schéma de l’affrontement manichéen entre le Bien et le Mal, le scénario distille noirceur et cruauté dans ses angles morts. De quoi en remontrer à bien des publications actuelles pour la jeunesse.

Arkel – Stephen Desberg & Marc Hardy – Éditions Dupuis, 1985 – Réédition Palombia, 1992 – Réédition Black & White, 2017

Les dyschroniques (3)

Comme indiqué dans sa déclaration d’intention, la collection dyschroniques se propose d’exhumer des nouvelles et novellas de Science Fiction dont les vertus spéculatives résonnent dans notre présent avec d’autant plus d’acuité qu’elles en anticipent certains des effets en bien comme en mal. En somme, il s’agit de mettre en exergue des futurs d’hier dont les manifestations s’inscrivent désormais dans notre quotidien.

Certes, les textes sélectionnés ne brillent pas pour leur caractère inédit. À l’exception de l’un d’entre-eux (Pigeon, canard et patinette de Fred Guichen), tous ont d’ailleurs déjà été publiés dans nos contrées, soit au sein d’un magazine ou au sommaire d’un recueil ou d’une anthologie. De même, rares sont ceux ayant fait l’objet d’une révision de traduction. À vrai dire, la véritable plus-value se trouve dans le paratexte où la nouvelle/novella et son sujet bénéficient d’une contextualisation et d’une mise en perspective en règle générale passionnantes.

Avec le présent article, le blog yossarian reprend une recension inachevée des titres de la collection dyschroniques, toujours dans le plus grand désordre, mais avec la ferme intention de mener l’exercice jusqu’à son terme. Croisons les doigts.

Paru en 1953, Le peuple du grand Chariot accuse son âge. Court texte de facture classique, comme il s’en faisant à l’époque, la présente nouvelle est l’œuvre d’un auteur peu publié dans l’Hexagone. Gresham est sans doute plus connu pour Nightmare Alley (longtemps titré Le Charlatan dans une précédente traduction), roman noir adapté au moins deux fois au cinéma, et dont on peut relever la parenté avec Le peuple du grand chariot puisqu’il s’enracine dans le milieu des forains et des populations nomades. Dans une veine post-apo, l’auteur reprend ici le motif de l’éternel recommencement, évoquant la faculté des Roms à survivre et à s’adapter aux circonstances. Avec ce récit de facture simple, Gresham propose ainsi de dépasser les préjugés afin de promouvoir la résilience et la survie.

Options de John Varley s’inscrit à la suite du mouvement de libération des mœurs initié dans les années 1960. Comme à son habitude, chez Varley, on change de sexe comme de chemise, en particulier dans la série « Les Huit Mondes ». Dans cette nouvelle, il se penche sur les débuts de cette révolution du genre, nous faisant épouser le point de vue de Cléo, une mère tentée par le changement de sexe et les perspectives offertes par ce bouleversement génétique. Sans malice mais non humour, l’auteur traite de transsexualité, mais aussi de la part de l’inné et de l’acquis dans la définition du genre. Il aborde également le sujet du rôle de la femme et de l’homme dans l’équilibre familial, non sans écorner quelques représentations puritaines. À bien des égards, Options est un texte stimulant et malin qui, à défaut de botter en touche sur un sujet de société plus que jamais actuel, remet en question de manière salutaire quelques préjugés toxiques.

Le peuple du grand Chariot (The Star Gypsies, 1953) – William Lindsay Gresham – Éditions Le passager clandestin, collection « dyschroniques », 2021 (nouvelle traduite de l’anglais [États-Unis] par inconnu)

Options (Options, 1979) – John Varley – Éditions Le passager clandestin, collection « dyschroniques », 2023 (novella traduite de l’anglais [États-Unis] par Dominique Bellec)

A voté a fait l’objet de pas moins de quatre traductions différentes dans nos contrées, son titre évoluant de Droit électoral à A voté, en passant par Devoir civique et Le Votant. Comme souvent chez Asimov, la nouvelle repose sur une seule idée dont l’auteur tire le maximum en peu de place, ici une quarantaine de pages. Comme d’habitude, le style est juste fonctionnel, sans attrait et sans éclat, si ce n’est une touche ironique à la toute fin. Seule l’idée et son développement logique intéressent en effet Asimov. Il imagine ici le stade ultime de la démocratie représentative, le corps électoral tout entier reposant désormais sur un seul électeur, incarnant l’échantillon le plus représentatif de l’électorat américain. Les statistiques, les projections et la modélisation règnent ainsi en maître, éliminant tout élément de surprise mais aussi la responsabilité individuelle.

En dépit de son âge, Le Temps d’un souffle, je m’attarde conserve toute sa puissance d’évocation. Voici le meilleur texte de cette recension. Assertion non négociable. Longtemps après la disparition de l’homme, les machines règnent sur la Terre, se reproduisant et se conformant à leur programmation dans l’attente de son retour. Si l’homme n’est plus là pour résoudre les conflits générés par les bogues, fort heureusement ces dysfonctionnements n’ont pas remis en cause jusque-là les routines bien établies. Gel administre l’hémisphère Nord, déployant ses assistants mécaniques sur toute la surface de son domaine pour appliquer le programme fixé par son maître, Solcom. Gel accomplit ainsi sa besogne depuis des milliers d’années, animé par une force impérieuse le poussant à fonctionner au maximum de ses capacités. Mais Gel dispose aussi de temps libre qu’il consacre à l’homme. Avec Le Temps d’un souffle, je m’attarde, on touche à cette qualité essentielle de la Science Fiction : réconcilier l’intellect et l’émotion. En mettant la logique algorithmique d’une I.A. À l’épreuve de la sensibilité humaine, Roger Zelazny bâtit un récit tout entier centré autour de la question de la définition de l’homme. Qu’est-ce qui distingue en effet un homme d’une intelligence suffisamment évoluée pour l’imiter et interagir de la même manière avec le monde ? La nouvelle fait office de miroir, proposant habilement une image inversée du créateur au travers de ses créatures, en usant d’une prose poétique et immersive admirable.

A voté (Franchise, 1955) – Isaac Asimov – Éditions Le passager clandestin, collection « dyschroniques », 2016 (nouvelle traduite de l’anglais [États-Unis] par Denise Hersant)

Le Temps d’un souffle, je m’attarde (For a Breath, I Tarry, 1966) – Roger Zelazny – Éditions Le passager clandestin, collection « dyschroniques », 2022 (novella traduite de l’anglais [États-Unis] par Jean Bailhache, revue par Dominique Bellec)

Dyschroniques (1)

Dyschroniques (2)

Les Retombées

L’enfant de cristal

Après Les Mémoires d’Elisabeth Frankenstein, voici le plus récent roman de Theodore Roszak. Réflexion sur la vie, la science et les mythes, L’enfant de cristal est-il en mesure de faire jeu égal avec son best-seller Flicker ?

Aaron Lacey est un jeune garçon. Jeune n’est cependant par le terme qui vient à l’esprit lorsqu’on l’observe. Petit, voûté, la vue faible, le crâne chauve, Aaron offre tous les signes de la vieillesse alors que son acte de naissance témoigne de neuf années d’existence. L’enfant est en fait atteint de cette terrible maladie génétique que l’on nomme la progéria. L’organisme d’Aaron est ainsi acculé à un vieillissement accéléré. Le temps s’est – semble-t-il – définitivement emballé pour lui, l’emportant inexorablement vers une mort prématurée, car il n’existe pas de remède connu.
Lorsque ses parents le confient au Docteur Julia Stein, la brillante gérontologue ne pense pas pouvoir lui offrir davantage qu’un bref répit. Pourtant, la scientifique ne se décourage pas. Elle multiplie les traitements et ne délaisse aucune piste, mêmes les plus hétérodoxes. Régime hypocalorique, cocktails médicamenteux et hormonaux, stimulation par les jeux vidéos, tout est bon afin de redonner à Aaron l’envie de vivre, au moins jusqu’au terme de son existence. Bientôt une relation d’amitié se noue entre le médecin et son patient car l’enfant est particulièrement attachant et intelligent. Et puis, miracle ! Après un coma alarmant, Aaron revient à la vie. Les traces de sénescence s’effacent peu-à-peu et il entame un processus de métamorphose qui suscite incompréhension et convoitise.

Une fois passé l’étonnement de la rémission d’Aaron, la seule explication que nous aurons sur ce miracle étant qu’Aaron « n’est pas retourné en arrière, il a continué d’avancer », commence alors une histoire d’amour entre l’enfant et son médecin. Un amour évidemment contre tous les codes moraux. Mais Aaron est-il encore un enfant ? Son corps est devenu une chrysalide fascinante qui exsude littéralement l’amour par tous les pores. Eros plus fort que Thanatos ? Pas si simple puisque la passion qu’il inspire et l’assouvissement sexuel qu’il laisse espérer, il ne l’éprouve pas lui-même. « Dire que la vie, c’est le sexe, c’est vraiment marcher à reculons. Le sexe permet de continuer à fabriquer de nouveaux corps. Mais ce n’est pas pour ça que les gens vivent. Le sexe est ce que les gens ont à la place de l’immortalité. » Quant au tabou moral qui pèse sur les relations sexuelles entre enfant et adulte, il ne le comprend pas davantage. Aaron serait-il devenu le puer aeternus, un mythe ancien réincarné, comme finit par le deviner Julia ?

Julia est donc condamnée à une peine de prison qu’elle purge comme une paria, mise au ban de l’ensemble de la société, y compris par les détenues avec lesquelles elle partage sa peine. Séparée de son mari, bannie de sa profession, elle rejoint Aaron à sa libération, dans la retraite où il vit caché. Et, le récit bifurque une nouvelle direction, se fixant au Mexique dans l’opulente et extravagante villa de Peter DeLeon, gourou mégalomane et inquiétant, promettant la jeunesse éternelle par le sexe. La petite mort plantureuse plutôt que la grande mort squelettique. Aaron devient aussitôt l’enjeu d’une lutte entre deux forces antagonistes souhaitant tirer profit de lui. Et pendant que les corps s’ébattent, que les personnalités se jaugent et s’affrontent, les symboles resurgissent.
L’enfant de cristal est donc un roman au cheminement inattendu. On y retrouve les thèmes habituels de l’auteur, sa grande érudition et son attachement à l’humain. Mais, les thématiques classiques de la SF que sont l’immortalité et le plus qu’humain, ne servent finalement que de prétextes, Roszak préférant orienter son propos dans une toute autre direction. Et, peu-à-peu, le thriller laisse la place à une réflexion sur la vie, perçue au travers du regard de la science, mais également des mythes.

L’enfant de cristal – Une histoire de la vie enfouie (The Crystal Child, 2007) – Theodore Roszak – Réédition Le Livre de poche, 2010 (roman traduit de l’anglais [Etats-Unis] par Édith Ochs)

Un gars et son chien à la fin du monde

Les prophètes de mauvais augure l’ont prédite mille fois mais ne l’ont pas vue arriver, la fin du monde. Ni dans un grand boum ni dans un murmure, elle a surgi sous la forme d’un effacement progressif, une attrition irrémédiable après que l’humanité ait perdu sa fertilité. Surnommé la Castration, l’événement a provoqué le désespoir parmi une population vieillissante, réduite peu-à-peu à la portion congrue, à quelques rares exceptions près. Gritz vit une centaine d’années après la fin du monde. Avec ses proches et ses deux chiens, il habite une ferme située sur une des Hébrides extérieures, avec comme seuls voisins, une famille sur l’île d’à côté. Quant au reste de la population, il subsiste dans cette photo récupérée dans une maison abandonnée à laquelle Gritz adresse ses mots, bâtissant le récit de son périple sur la terre ferme, parmi les ruines du monde d’avant. Jusqu’à l’arrivée de Brand, Gritz a vécu une existence heureuse, endeuillée hélas par la disparition prématurée de sa sœur Joy. La venue du voyageur vient remettre en question la routine de son quotidien. Après avoir drogué sa famille, ce menteur et ce voleur s’empare de l’un de ses chiens. A posteriori, le fait réveille encore sa colère, lui faisant regretter en même temps l’envie d’en découdre qui l’a saisie à ce moment là, le poussant à embarquer à sa poursuite. Mais, personne ne connaît la fin de sa propre histoire, à part la toute fin, quand on meurt.

Un Gars et son chien à la fin du monde est le genre de roman qui vous happe sans coup férir, en dépit de la simplicité de l’intrigue. Éminemment sans prétention, il émane pourtant de cette histoire une sincérité et une force vitale qui la rend aussitôt attachante. C. A. Fletcher n’est pas vraiment un novice dans l’écriture. Scénariste pour le cinéma et la télévision, il est également romancier, auteur de la trilogie d’Urban Fantasy «  Stoneheart  » pour ne citer que cette série destinée à la jeunesse. L’auteur aborde avec ce roman plus récent le registre post-apocalyptique, donnant la parole à un adolescent dont l’humanité lumineuse est révélée progressivement pendant le récit qu’il brosse de son voyage.

Avec ses multiples péripéties, son narrateur au phrasé très oral, le périple de Gritz a tout du récit d’apprentissage, rappelant l’ordinaire du roman pour la jeunesse. L’adolescent traverse ainsi les vestiges de cités retournées à la poussière et aux ronces, brave une nature guère propice à la contemplation, jouant à la fois de chance et de malchance. Il affronte la mer, naviguant des Hébrides au Pays de Galles, avant d’accoster à Blackpool pour rallier l’Est de l’Angleterre. Dans son cheminement, il rencontre enfin d’autres survivants, se frottant au meilleur et au pire de l’humanité. Bref, il se forge le caractère et apprend beaucoup sur lui-même et sur autrui des épreuves qu’il endure. Certes, si on n’échappe pas à la caricature et à quelques facilités, C. A. Fletcher a suffisamment de métier pour faire passer la pilule. Il distille les révélations, ménageant les coups de théâtre aux moments appropriés, histoire de surprendre le lecteur et de relancer son intérêt. Avec Gritz, il dresse surtout un portrait d’une force incroyable. L’adolescent porte littéralement le récit sur ses épaules par l’abnégation inlassable dont il fait montre, la force de son caractère et son humanisme, impulsant un optimisme rafraîchissant à un contexte et un décor sans doute plus propice à la dépression ou à la catharsis.

Un Gars et son chien à la fin du monde est donc un chouette roman qui a du chien, mais aussi un peu d’humain. Ainsi finit le monde  ? Non, il ne fait que commencer.

Un Gars et son chien à la fin du monde – C. A. Fletcher – J’ai lu, coll. «  Nouveaux Millénaires  », juin 2020 (roman traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti)

La Saga des Fiers-à-bras

Repéré chez Anacharsis, La Saga des Fiers-à-bras est une satire caustique des récits héroïques composant la matière scandinave mise par écrit en Islande au XIIe siècle. Le texte raconte les frasques de Thorgeir et Thormond, deux piètres personnages aux rêves de gloire frelatée, inspirés par les sagas ayant bercées leur enfance.

Né en Islande au XIe siècle, à l’époque où se termine l’aventure viking, le duo de frères jurés s’est mis en tête de prolonger les exploits de leurs mythiques prédécesseurs. Elevé par sa mère dans le récit glorieux et héroïque des guerriers du temps jadis, les Sigmundr, Sigurðr et autres Volsung, Thorgeir ne rêve que de suivre leur exemple, d’abord en vengeant son père assassiné par des voisins. Rimailleur de génie, Thormond ne songe pour sa part qu’à plaire aux femmes, en quête de l’allitération et de la rime fatale pour conquérir leur cœur et leur couche. Entre l’Islande, terre désolée soumise à la rigueur du climat, peuplée de paysans et de leurs moutons, et l’Angleterre, en proie aux désordres des raids, en passant par la Normandie, le Groenland et la Norvège, les frères jurés ne rêvent que d’occire, de clamer leurs prouesses meurtrières et leurs faits d’arme sanglants, ne se rendant pas compte que l’époque a bien changé et que le récit des sagas n’est sans doute plus un exemple à suivre.

Mêlant les lieux communs, la manière et les motifs des sagas mythiques et historiques, Halldór Kiljan Laxness nous fait le récit absurde des pérégrinations des deux larrons, collant à leurs basques ou s’éloignant d’eux pour nous narrer une version grinçante de l’histoire des rois de Norvège, du Danemark et de Suède. On côtoie ainsi quelques noms illustres comme Saint Olaf ou Knut le Grand, sans oublier Richard II de Normandie ou Ethelred II. L’auteur norvégien en dresse un portrait guère élogieux, ridiculisant au passage leur prétention à régner et leur propension à asservir ou massacrer. Seuls les couards ont recours à la violence. Comme un leitmotiv, la sentence vient tempérer à plusieurs reprises l’enthousiasme suscité par le récit des méfaits de personnages tout à fait médiocres dans leur appétit pour le pouvoir. Il n’épargne pas davantage les pseudo-héros, faisant de Thorgeir un abruti fini et de Thormond un insatisfait, prompt à s’illusionner. De manière générale, qu’ils soient rois ou jarls, païens ou chrétiens, vikings ou paysans, personne ne sort grandi de cette histoire où la seule sagesse semble détenue par les esclaves et les femmes.

Pastiche ironique et érudit, La Saga des Fiers-à-bras ne dément donc pas sa réputation de démythification féroce de l’univers héroïque des sagas. Inutile de dire que tout cela me donne bigrement envie de lire La Cloche d’Islande, prix Nobel de littérature en 1955 quand même.

La Saga des Fiers-à-bras (Gerpla, 1952) – Halldór Kiljan Laxness – Éditions Anacharsis, mars 2011 (roman traduit de l’islandais par Régis Boyer)

Le Rayon « U » & La Flèche ardente

Les amateurs de savanture et autres nostalgiques du temps révolu des pulps ne pourront que se réjouir à la perspective de lire la suite du périple des héros de Norlandie dans leur quête du précieux uradium. Une aventure concoctée par Jean Van Hamme et dessinée par Christian Cailleaux et Étienne Schréder, bien connus des lecteurs pour leur contribution à la suite des aventures de Blake et Mortimer. Précédant de quelques années le duo, Le Rayon « U » n’usurpe pas son statut de lecture surannée et régressive. Calqué sur Flash Gordon, dont les arrivages se sont taris avec l’entrée en guerre des États-Unis, poussant la revue Bravo ! où paraissaient les histoires du héros d’Alex Raymond, à faire appel à E. P. Jacobs pour pallier à la pénurie, Le Rayon « U » échange le futur du héros états-unien contre un monde imaginaire inspiré de l’expressionnisme allemand des années 1930, du Monde perdu de Conan Doyle et des pulps importés outre-Atlantique.

Des jungles délétères aux dédales souterrains d’une cité cachée au cœur d’un volcan, en passant par une ville primitive lacustre, on suit le parcours trépidant d’un groupe d’aventuriers envoyés pour dénicher un minerai apte à décupler la puissance destructrice d’une nouvelle arme. De quoi attiser la rivalité entre la Norlandie et l’Austradie dont l’empereur ne fait pas secret de ses ambitions hégémoniques. De quoi ménager aussi quelques rebondissements mettant en scène des troupeaux déchaînés de dinosaures, des pieuvres agressives et des serpents géants. De quoi enfin ravir le désir d’évasion d’une jeunesse avide de civilisation mystérieuse, d’hommes-singes et de manichéisme à peu de frais, dans le contexte lourd comme un tapis de bombe de la Seconde Guerre mondiale.

Soyons honnête, pasticher un tel univers à notre époque peut paraître une gageure. Les référentiels de la jeunesse ont beaucoup évolué, les enjeux sociétaux et technologiques ayant un tantinet changé de sens. Mais, les amateurs de rétrofuturs trouveront incontestablement matière à contenter leur goût pour le genre. Reprenant les poncifs de l’époque, Jean Van Hamme tente de prolonger un récit s’étant achevé trop abruptement pour lui donner un dénouement totalement satisfaisant. Sans chercher à dénaturer le matériau original, il fait appel à notre présent pour étoffer les aventures des personnages. Le scientisme exacerbé des années 1940-50 se teinte de critique, paraphrasant ainsi Rabelais pour laisser entendre que science sans conscience n’est que ruine de l’âme. De même, les femmes ne se contentent plus de faire tapisserie, jouant un rôle actif dans la résolution du récit, ne se cantonnant pas au rôle de tentatrice ou de manipulatrice. Enfin, l’aspect premier degré, un tantinet naïf chez Jacobs, est estompé par l’ironie sous-jacente de Van Hamme et un happy end en forme de clin d’œil à l’Histoire.

Finalement, La Flèche ardente prolonge de manière honorable Le Rayon « U ». Là où Jacobs faisait du Alex Raymond, jouant de l’expressionnisme allemand et de l’opéra pour théâtraliser son récit, Van Hamme fait du Jacobs, ne manquant pas de laisser infuser des références au monde contemporain. Un bémol : le dessin n’est hélas pas toujours à la hauteur.

Le Rayon « U » – E. P. Jacobs – Éditions Blake et Mortimer, mars 2023

La Flèche ardente – Jean Van Hamme, Christian Cailleaux & Étienne Schréder – Éditions Blake et Mortimer, mars 2023

Lisière du Pacifique

Ce blog avait atteint l’âge de mille articles. Déjà ? Enfin ? Hélas ? Visons les deux mille maintenant. On croise les doigts.

Longtemps resté inédit dans nos contrées, Lisière du Pacifique achève le cycle consacré à la Californie dont on a pu lire jadis les précédents volets chez J’ai lu. Première œuvre d’importance de Kim Stanley Robinson, dont chaque volet se lit de manière indépendante, le présent ouvrage forme avec Le Rivage oublié et La Côte dorée un ensemble thématique centré sur le Comté d’Orange permettant à l’auteur américain de fourbir ses arguments à l’aune du roman post-apocalyptique, de la dystopie et de l’écotopie. De quoi envisager le monde et la Californie sous l’angle du pire comme du meilleur, mais dans une perspective résolument politique et spéculative. Kim Stanley Robinson a également bien retenu les leçons de John Dos Passos et de John Brunner. Le macrocosme sud californien se dessine ainsi progressivement par le truchement d’un patchwork de destins individuels, mais aussi via le personnage de Tom Barnard dont les apparitions récurrentes font office de fil directeur.

Chez Kim Stanley Robinson, la Science-fiction est éminemment politique. Littérature d’idées, elle offre un ban d’essai aux spéculations et débats enracinés dans le présent. Lisière du Pacifique ne dément pas cette acception du genre puisqu’on s’immerge directement au cœur d’une petite communauté confrontée à un dilemme social et politique dont le point focal se situe sur les pentes de l’ultime colline «  naturelle  » de la petite ville d’El Modena. L’homme étant un animal politique, son avenir d’être vivant et celui de son environnement résultent de son engagement dans une voie de développement ou une autre. L’auteur imagine ici une Californie future plus soucieuse d’écologie et de social, confrontant cette écotopie socialiste à la résurgence d’un capitalisme toujours intéressé par le profit et la rentabilité à court terme.

Territoire à l’avant-garde des stratégies de conversion, le Comté d’Orange esquisse un avenir plus soutenable et viable pour l’humanité, sans pour autant renoncer au progrès. Un futur auquel Kim Stanley Robinson s’efforce de donner corps d’une manière raisonnée. L’autopie et les suburbs de La Côte dorée s’effacent ainsi au profit du vélo et d’un mode de vie collectif jusque dans les pratiques politiques et l’habitat. Les maisons sont conçues comme des organismes dotés d’une domotique permettant de réduire au maximum leur impact sur l’environnement, notamment grâce au poétique gel-nuage, sans nuire pour autant au confort de leurs habitants. Sur les océans, les porte-conteneurs ont disparu, remplacés par des voiliers aux gréements composites et automatisés. Le Rivage oublié et son paysage cauchemardesque disparaissent aussi, repoussés grâce à une réglementation plus stricte, notamment pour l’usage de l’eau, qui favorise également le dépeuplement du territoire afin d’en restaurer peu-à-peu les ressources.

Bref, Lisière du Pacifique donne des raisons d’espérer, démontrant s’il est nécessaire de le faire encore, que la Science-fiction reste plus que jamais la littérature des possibles. Trente et un ans après sa parution, à l’heure des sécheresses et incendies à répétition en Californie, il serait peut-être temps d’en explorer les pistes de toute urgence.

Lisière du Pacifique – Kim Stanley Robinson – Les moutons électriques, coll. «  La bibliothèque voltaïque  », mai 2021 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Stéphan Lambadaris)

L’œil du Héron

À l’instar de l’Australie, ou pour rester dans le domaine de l’œuvre d’Ursula Le Guin, à l’instar d’Annares, Victoria a été peuplée grâce à la déportation d’une population proscrite. Embarquée dans un astronef pour un voyage sans retour possible en terre étrangère, sur une planète où tout restait à bâtir, ils ont surmonté non sans perte le défi d’un milieu inconnu et hostile, parvenant à établir une économie de subsistance viable. Ces bannis condamnés à l’expatriation en raison de leurs crimes ont été ensuite rejoint par des déportés de nature plus politique, prônant la non violence et l’anarchie. À côté de la Cité, la Zone est ainsi née, une sorte de township dans laquelle puiser la main-d’œuvre dévouée aux tâches les plus épuisantes et pourtant nécessaires à la survie de tous. Mais, cet équilibre imposé par la force et justifié par les préjugés semble menacé lorsque les zonards décident de coloniser de nouvelles terres, échappant ainsi à l’emprise des citadins.

Non loin du « Cycle de l’Ekumen », L’œil du Héron fait figure de roman mal aimé parmi les titres de science fiction de l’autrice américaine. Pourtant, les préoccupations éthiques et anthropologiques du présent ouvrage restent au cœur de l’inspiration d’Ursula Le Guin, prolongeant en quelque sorte la réflexion développée dans Les Dépossédés. Elle met en scène une nouvelle fois la thématique de l’altérité, opposant deux organisations sociales difficilement conciliables, n’étant pas sans évoquer une sorte de néo-féodalisme. L’autrice déroule ainsi la logique de l’affrontement entre entre la Cité belliqueuse, société raciste et masculiniste, et la Zone, communauté pacifiste et égalitaire lorgnant du côté de l’anarchie. Si L’œil du Héron ne fait pas partie des œuvres majeures d’Ursula Le Guin, ce n’est certes pas par manque d’ambition. Sans doute le roman pâtit-il de l’aura des Dépossédés. Il n’en demeure pas moins une immersion au cœur d’un monde étranger convaincante, où l’autrice s’ingénie à nous faire ressentir le caractère différent jusqu’au moindre détail de sa faune et de sa flore, contribuant au dépaysement. Une œuvre intéressante dans son traitement et pour le retournement de situation impulsé par la mort du protagoniste principal.

L’œil du Héron apparaît donc comme une transposition réussie de la lutte des classes et des sexes dans un décor exotique où l’humanité démontre encore sa faculté à se désunir et à exploiter autrui. Et si la figure du cercle (vicieux), évoquée à plusieurs reprises dans le roman, renvoie à la figure d’un éternel recommencement, gageons que quelqu’un saura finalement en briser la routine. C’est le moins que l’on puisse espérer, mais c’est dur.

L’œil du Héron (The Eye of the Heron, 1978) – Ursula Le Guin – Réédition Les Moutons électriques, collection Hélios, avril 2021 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Isabelle D. Philippe, texte révisé par idp)

Éversion

Depuis la parution du dernier tome de la trilogie « Les Enfants de Poséidon », Alastair Reynolds s’était fait rare dans nos contrées. La traduction de Éversion au Bélial’, son roman le plus récent, après celle de La Millième Nuit, vient nous rafraîchir la mémoire avec bonheur, montrant que l’auteur gallois reste une valeur sûre de la Science fiction. Si la lecture de la novella m’avait quelque peu laissé insatisfait, le présent roman lève les doutes sur la faculté de l’auteur à susciter le vertige car, oui, incontestablement Éversion est un roman futé, apte à contenter les attentes d’un lectorat en quête d’aventures science fictives.

Difficile d’évoquer l’intrigue sans trop en dévoiler. On se contentera de renvoyer les curieux à une quatrième de couverture suffisamment elliptique pour brosser les enjeux du roman sans en dire trop. Le docteur Silas Coade apparaît en effet comme le point focal d’un récit bâti comme le miroir déformant de ses fantasmes et du déni dans lequel il s’est enfermé. Pour cette raison, on me permettra donc d’adopter la technique du pas de côté, passant outre le traditionnel résumé des grandes lignes de l’histoire.

Éversion apparaît d’abord comme un jeu de pistes où Alastair Reynolds distille les différents éléments d’un contexte truqué sciemment, frappé du sceau de l’incertitude et du traumatisme. Nous sommes ainsi poussés à opérer un tri dans les faits relatés par un narrateur définitivement non fiable, mais luttant pour retrouver un équilibre ébranlé par des circonstances dramatiques. Au fil de l’écriture et de la réécriture de l’itinéraire de Silas Coade, Alastair Reynolds cultive les redondances, semant le doute et un trouble croissant, à l’aune des émotions du narrateur, ballotté sans cesse d’un voyage d’exploration à un autre. D’aucuns trouveront peut-être le procédé répétitif, même si l’auteur en joue avec bonheur, entretenant le suspense jusqu’au dénouement.

Hommage malin et respectueux au roman feuilleton, au récit d’exploration et au pulp, Éversion acquitte aussi sans honte son tribut à ses devanciers, jouant la connivence avec les connaisseurs des littératures populaires. Ils feront évidemment le parallèle avec les expéditions maritimes et aériennes des explorateurs des pôles et autres terres australes ou boréales, tout en s’amusant de retrouver le mythe de la terre creuse, non dépourvu d’horreur cosmique, et une forme de Space opera ayant le charme désuet des aventures du Capitaine Futur.

Éversion réjouira donc l’amateur de science-fiction d’autant plus facilement qu’il procure un authentique plaisir de lecture avec une efficacité exemplaire. Si on doutait de la faculté de Alastair Reynolds à suspendre notre incrédulité pour mieux nous surprendre, nous voici rassuré. À suivre avec le dossier que va lui consacrer la revue Bifrost et l’inédit House of Suns dont on entend grand bien.

Éversion (Eversion, 2022) – Alastair Reynolds – Le Bélial’, février 2023 (roman traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti)