L’Alchimie de la pierre

« Nous devenons tous ce qui nous a donné naissance. »

 

Un calme menaçant accable la Ville, manifestation de mauvais augure du conflit larvé opposant les Mécanistes aux Alchimistes. Longtemps, l’entente entre ces deux guildes a permis de maintenir l’équilibre dans la cité. Mais cette situation est désormais révolue. Automate pourvue d’une conscience, Mattie est bien informée des arcanes du pouvoir, flirtant avec un gouvernement corrompu et ambivalent. Conçue par un mécaniste aux mœurs libertines, un tantinet ambigu sur ses intentions réelles, elle a obtenu une liberté relative auprès de son maître, embrassant la carrière d’alchimiste. Dans le dédale labyrinthique des rues de la Ville, elle trace désormais sa route seule, espérant récupérer un jour la clé permettant de remonter son cœur pour enfin goûter à l’indépendance. En attendant, elle évolue aux marges des deux partis, Alchimistes et Mécanistes, glanant des renseignements sur leurs projets respectifs sous le regard minéral des Gargouilles, ces créatures dont on dit qu’elles ont fait pousser la cité. Complots et manipulations semblent prévaloir dans un climat propice aux attentats, au détriment de la Plèbe, l’éternelle exploitée, et des étrangers, horsains voués aux gémonies par tous. Bref, la Ville est semblable à une poudrière sur le point d’exploser à la moindre étincelle. La destruction du palais sera-t-elle cette étincelle ?

Annoncé au départ chez un autre éditeur, L’Alchimie de la pierre est paru finalement dans nos contrées au Bélial’. Un fait dont on peut se réjouir compte tenu de la qualité de l’ouvrage. En découvrant le roman de Ekaterina Sedia, de nombreux chroniqueurs ont immédiatement fait le rapprochement avec le Steampunk, confortés en cela par la quatrième de couverture et quelques mécaniques à vapeur. On me permettra juste d’y voir une fantasy maniérée dont l’atmosphère n’est pas sans rappeler celle de Aquaforte. Toutefois si le charme opère, le roman de K.J. Bishop se révèle au final plus vénéneux.

Ekaterina Sedia ne ménage pourtant pas sa plume pour donner vie à la Ville, conférant aux lieux une réelle substance et à ses habitants une vraie présence. Hélas, ils restent emberlificotés dans les fils d’une intrigue qui, à force de vouloir tout traiter, ne s’attache qu’à l’écume des courants souterrains agitant la cité. L’auteure multiplie en effet les pistes de réflexion dans un foisonnement thématique lassant. Elle aborde les questions du féminisme, Mattie étant un automate de sexe féminin, du racisme et de la lutte des classes, tout en décrivant le grand bouleversement impulsé par la révolution industrielle voulue par les Mécanistes. Un changement de paradigme dont on perçoit les soubresauts à l’arrière-plan mais qui, au travers du regard de Mattie, se réduit à la relation d’amour-haine entretenue avec son créateur et maître.

En dépit de trouvailles épatantes, tel ce fumeur d’âmes, drogué à l’opium pour supporter sa condition d’hôte, ou ces enfants araignées travaillant au fin fond des mines, le propos de L’Alchimie de la pierre paraît inabouti, tant Ekaterina Sedia nous donne l’impression de nous larguer en rase campagne avec un dénouement ouvert. Mais, tout cela n’est-il peut-être qu’un problème d’alchimie avec le lecteur ?

L’Alchimie de la pierre (The Alchemy of Stone, 2008) de Ekaterina Sedia – Éditions Le Bélial’, 2017 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Pierre-Paul Durastanti)

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