Bagdad, la Grande évasion

« Je suis très mal, là, maintenant, geignit Hoffman. Ce n’est pas juste. Qui irait empoisonner un étranger innocent ?

– Vraiment ? Rétorqua Sabeen. Et qui inventerait des mensonges ridicules sur un pays au hasard, pour l’envahir, détruire ses institutions civiles, accuser tous ses citoyens de terrorisme, provoquer une guerre civile et prétendre ensuite que tout va bien ? »

Bagdad, 2004. Dans une ville en proie au chaos après la défaite de Saddam Hussein, trois hommes cherchent à se rendre à Mossoul pour y retrouver le bunker secret de Tarek Aziz qui abriterait, selon la rumeur, un fabuleux trésor. Un trio improbable, de surcroît aux abois, composé de Dagr, un ancien professeur de mathématiques au profil de trouillard n’ayant pas encore fait le deuil de sa femme et de sa fille, de Kinza, un trafiquant d’armes animé d’une haine inextinguible contre le genre humain, et de Hamid, un ancien colonel de la Garde républicaine s’étant illustré comme tortionnaire à l’époque du baasisme triomphant.

Entre checkpoints contrôlés par la nouvelle armée irakienne et quartiers défendus par des milices chatouilleuses de la gâchette, Dagr, Kinza et Hamid jouent au chat et à la souris avec leurs poursuivants. D’abord Hoffmann et son unité spéciale de l’armée américaine, un ramassis de bras cassés souffrant de stress post-traumatique. Et puis un chef de milice chiite fanatique cherchant à venger la mort de son fils. Enfin, le plus dangereux de tous, un mystérieux vieil homme qui, du fond de son repaire, manipule les uns et les autres afin de gagner la guerre millénaire menée entre sa faction et les initiés de la secte druze. Un authentique dur à cuire qu’il est impensable d’acheter avec une poignée de Skittles, du détergent et des brochettes à barbecue.

Sur l’échelle de Groucho Marx, une échelle ouverte à tous les délires comme tout le monde le sait, Bagdad, la Grande évasion place la barre très haut. Le roman de Saad Z. Hossain confirme ainsi que l’humour reste la politesse du désespoir, a fortiori dans un monde absurde gagné par une entropie irrésistible.

Le récit échevelé de l’écrivain bengali conjugue en effet la satire à la dinguerie, mais aussi la tragédie à la chasse au trésor d’un trio de pieds nickelés. Entre alchimie et génétique, Saad Z. Hossain se livre à une greffe fertile entre la science, une certaine philosophie de vie et la mythologie, se défoulant sans n’épargner personne avec une verve caustique communicative, un mauvais esprit assumé et une certaine tendresse pour ses personnages. Des individus moyens à l’existence sacrifiée sur l’autel de la géopolitique, que l’on cite habituellement à la rubrique dégâts collatéraux.

« Hamid, sais-tu scalper ?

– Pardon ?

– Sais-tu éplucher les crânes ?

– Pas trop mal. On s’entraînait à la fac de médecine.

– Vous avez fait fac de médecine ? (Dagr eut l’air sceptique.)

– Si l’on veut, dit Hamid. Enfin, pas celle à laquelle vous pensez. »

Sans se départir de son regard grinçant, Saad Z. Hossain dresse aussi un portrait décalé de Bagdad, entre zone verte et quartiers ravagés par les bombardements ou gangrenés par les haines religieuses, mélangeant la triste réalité du présent aux mystères d’un Orient en partie fantasmé, où coexistent les mythes hérités de l’Antiquité ou du melting-pot islamique, druzes, chiites, sunnites, djinns, sorcières et djihadistes y compris. Un cocktail détonnant n’étant pas sans rappeler les pages les plus surprenantes d’Edward Whittemore et de son quatuor de Jérusalem.

Bref, vous l’aurez compris, Bagdad, la Grande évasion est assurément un coup de cœur. Le genre de bouquin fou et foisonnant qui vous fait aimer les armes de dérision massive.

« On est tous pareils, désormais. Des bouts de liens décousus qui errent dans le temps. Des fantômes en embuscade. Dieu nous a repris les quelques grâces qu’il nous avait faites. Bannis de la tribu des hommes, nous piétinons sans but. »

Bagdad, la Grande évasion (Escape from Baghdad !, 2013) de Saad Z. Hossain – Éditions Agullo, 2017 (roman traduit de l’anglais [Bangladesh] par Jean-François Le Ruyet)

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