La Longue Terre

L’écriture à quatre mains ne s’avère pas toujours un gage de qualité, l’acte en lui-même restant en effet solitaire, du moins en France où les ateliers d’écriture ne foisonnent guère. Et lorsque l’on réunit deux écrivains connus, la somme des parties peut s’avérer passable voire mauvaise. Car tout demeure question d’affinités et de complicité. Pourtant, les expériences réussies abondent pour contredire ce constat liminaire. Et parmi celles-ci, on peut désormais ajouter ce livre du duo Pratchett & Baxter. (Je sais, on dirait le nom d’une agence de notation…)

Certes, La Longue Terre s’apparente à un tome d’exposition. Un long préambule dont les 150 premières pages paraissent interminables. Fort heureusement, une fois le cadre posé, dès que l’intrigue démarre vraiment, le caractère laborieux, pour ne pas dire paresseux, s’efface pour laisser enfin apparaître l’enjeu science-fictif du roman. Un enjeu vertigineux, guère novateur pour l’habitué, mais sauvé de l’enlisement par les facéties de Terry Pratchett.

Quid de cette longue Terre ?

Les lecteurs de Stephen Baxter (et peut-être de Charles Stross) trouveront sans doute au concept un air de déjà-vu. Ce chapelet de mondes dans lesquels il est possible, par un abus de langage amusant, de glisser soit vers l’Ouest, soit vers l’Est, à la condition de renoncer à ses possessions métalliques, offre aux deux auteurs une multitude de pistes science-fictives et narratives.

Il ouvre aux habitants de la Terre, passeurs naturels ou non, les portes d’une liberté complète, dégagée du carcan de leur société natale. Il leur donne la possibilité de bâtir des utopies à leur convenance, ailleurs, sur une autre Terre, ressuscitant par voie de conséquence un esprit pionnier un tantinet moribond. Bien sûr, cela ne va pas sans mal. Les gouvernements voient d’un très mauvais œil l’hémorragie suscitées par l’attrait pour ces terres vierges. Ils appréhendent à raison l’aspect incontrôlable du passage d’un monde à l’autre, procédé mis à profit par les terroristes pour commettre des attentats ciblés. Et puis, il y a l’impact social et économique des défections. Privée de ses talents, l’économie mondiale périclite, faisant grossir la pénurie et le mécontentement des phobiques incapables de glisser tout seul.

Sur ces différents sujets, Pratchett & Baxter choisissent de ne pas s’étendre, du moins pour l’instant. Ils les éludent au profit d’un récit d’exploration, se focalisant sur un trio de personnages hétéroclites.

D’un côté Lobsang, intelligence artificielle devenue consciente, poussant la roublardise jusqu’à prétendre être la réincarnation d’un mécanicien tibétain, histoire d’obtenir les mêmes droits que les humains. Une entité omnisciente, bavarde, imbue d’elle-même, bref insupportable. Le genre de créature capable d’investir un distributeur de boissons pour taper la conversation, tout en pillant des banques de données sans vergogne. Pour résumer, un électron libre (euphémisme) au service de l’institut tranTerre, lui-même filiale de la Black Corporation, entreprise aux desseins mystérieux.

De l’autre Josué, passeur naturel, oscillant entre misanthropie et empathie, et Sally, jeune femme issue d’une communauté utopique fondée sur une terre parallèle, elle-même passeuse naturelle au caractère bien trempé.

En leur compagnie, à bord d’un dirigeable gouverné par Lobsang, on découvre cette Longue Terre, chevauchant le multivers quantique et ses n-branes, pour en explorer toutes les versions parallèles. Un périple répétitif jalonné de trouvailles faisant l’objet de moult hypothèses et agrémenté de multiples allusions et clins d’œil cinématographiques, télévisuels, romanesques et musicaux.

Si on ne peut pas dire que le rythme soit échevelé, on s’amuse quand même beaucoup des dialogues savoureux et de l’humour pince sans rire de Terry Pratchett. On retrouve également quelques unes des thématiques chères à Stephen Baxter. Car ces Terres multiples ne sont pas toujours inhabitées. Elles recèlent leur comptant de surprises. Des trolls, elfes et autres créatures issues de l’arborescence des possibles les parcourent, ravalant les humains au rang d’espèce sédentaire enracinée dans une seule réalité. Ces branches parallèles de l’évolution fournissent une explication rationnelle au folklore féerique et à la mythologie de nombreuses cultures passées. Elles sont autant une source d’émerveillement qu’un objet intellectuel. Une spéculation mise en scène via l’outil de la Science-fiction.

En lisant ce premier tome, il faut reconnaître que Pratchett & Baxter jouent sur du velours. Et si je ne suis pas pleinement convaincu par La Longue Terre, le canevas tissé par le duo et le cliffhanger final ménagent suffisamment de suspense pour me donner envie de poursuivre l’aventure.

Bref, affaire à suivre avec The Long War.

Autre avis ici.

La Longue Terre (The Long Earth, 2012) de Terry Pratchett & Stephen Baxter – Éditions L’Atalante, collection « La Dentelle du cygne », 2013 (roman inédit traduit de l’anglais par Mikael Cabon)

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