Infinités

Vandana Singh n’est pas complètement une inconnue dans nos contrées, du moins si l’on a lu les numéros de Fiction et de la revue numérique Angle mort.

Écrivain d’origine indienne, elle cumule deux traits faisant d’elle un citoyen de seconde zone dans son pays natal : son goût pour la SF et son sexe. Car dans la plus peuplée des démocraties du monde, le chemin vers l’égalité demeure un vœu pieux quand il ne s’apparente pas à un chemin de croix (que Shiva me tripote). Certes, l’Inde fait partie des nations ayant porté au pouvoir une femme (appartenant au clan Gandhi, un détail comptant sans doute pour beaucoup dans ce choix), mais le fait ne doit pas escamoter ces milliers d’autres femmes victimes au quotidien, au mieux de harcèlement, au pire de viol. Il ne doit pas faire oublier aussi le poids de la tradition qui pèse comme un joug sur la liberté du sexe féminin.

Ce statut inférieur ressort dans la plupart des dix nouvelles publiées ici par Denoël. La majorité d’entre-elles se focalise en effet sur un personnage féminin, décrivant le carcan familial et sociétal qui s’oppose à la réalisation de ses désirs et projets personnels. À deux exceptions près, Infinités prend pour cadre l’Inde des classes moyennes vivant à Delhi, cette Shining India insolente, conquérante, optimiste et pourtant toujours enracinée dans le passé. Les tensions religieuses, les relations dans le couple, la famille, la barrière des castes et la misère omniprésente composent ainsi un portrait nuancé, coloré et au final très critique de l’Inde.

Si le fantastique et la science-fiction interviennent à la marge, Vandana Singh ne se montre toutefois pas avare avec les tropes du genre. Les univers parallèles, la physique quantique, le voyage dans le temps, l’exploration spatiale et les extra-terrestres servent d’arguments de départ dans plusieurs textes sans pour autant en constituer le cœur. On est loin des abîmes de sidération provoqués par l’irruption d’un novum science-fictif ou du techno blabla dans lequel trop d’auteurs semblent se complaire. L’auteure indienne reste résolument ancrée dans les registres de l’intime et de l’altérité qui, comme l’amateur le sait, demeurent une thématique privilégiée de la Science-fiction.

Si l’on devait faire un parallèle (soyons fou), on pourrait comparer Infinités à l’œuvre de Kate Wilhelm ou plus près de nous à Kelly Link (et j’en oublie sans doute), deux auteurs dont la plume très travaillée nous emmène très loin sur les pistes d’une poésie teintée de mélancolie et de fantastique.

Parmi les dix textes de ce recueil, je me permettrais juste de citer mes préférés, un choix très subjectif, je le concède. D’abord « La femme qui se croyait planète », texte dont la drôlerie et la cruauté du dénouement suscitent encore un ricanement nerveux lorsque je me le remémore. Bien entendu, je ne peux écarter la nouvelle titre, un récit subtil sur l’infinité des possibles et la triste prévisibilité de la nature humaine. Enfin, « Le Tétraèdre » me semble réussir l’équilibre parfait entre l’argument science-fictif et les préoccupations plus sociétale de Vandana Singh. Trois, ce n’est déjà pas si mal, même si « Delhi » rate de peu le podium.

Bref, Infinités se révèle un recueil tout en retenue et sensibilité, dont l’atmosphère imprègne pour longtemps l’esprit. Louons le choix de « Denoël Lunes d’encre » et réjouissons-nous de la qualité de la traduction de Jean-Daniel Brèque, sans oublier l’illustration d’Aurélien Police.

ps : En bonus, on trouvera également en fin d’ouvrage un court essai spéculatif et un glossaire fort instructif.

infinites-singh-couvertureInfinités [The Woman Who Thought She Was a Planet and Others Stories, 2008]de Vandana Singh – Éditions Denoël, collection « Lunes d’encre », mai 2016 (recueil traduit de l’anglais [Inde] par Jean-Daniel Brèque)

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