Poumon vert

Habituée aux hautes plaines de Jabuthal, où l’atmosphère ténue rend la respiration problématique, voire impossible sans un symbiote, Jalila a grandi sous les cieux étoilée en compagnie de ses trois mères, nomades parmi les nomades, vivant de peu à l’abri de leur haremlek. Mais, le temps de la migration vers les côtes est venu. Un temps d’épreuves, l’air lourd et humide du bord de mer rendant le souffle douloureux. Un temps de changement également, la cité cosmopolite de Al Janb réservant une multitude de surprises à la jeune fille. Elle va ainsi découvrir l’amour et la déception amoureuse, mais aussi le secret des Dix Mille et un mondes, accessible grâce à l’astroport dont le souffle chaud des fusées balaie la ville. Elle va se frotter à l’altérité, à la multiplicité des possibles et à la douleur suscitée par cette connaissance, opérant sa mue de l’enfance vers l’adolescence, ultime étape avant l’âge adulte.

Si l’on fait abstraction de deux romans et d’une poignée de nouvelles, Ian R. MacLeod reste un auteur confidentiel dans nos contrées. Un fait que l’on se doit de regretter eu égard à la générosité de sa bibliographie outre-Manche, mais surtout à l’extrême qualité de son œuvre. La parution de Poumon vert, huitième volume de la collection « Une Heure-Lumière », vient nous rappeler ô combien ce fait est déplorable. Mais, elle donne aussi des raisons d’espérer.

Poumon vert nous cueille sans coup férir. La puissance d’évocation de la plume de Ian R. MacLeod fait encore ici des merveilles. On plonge illico dans un monde différent et pourtant familier, un univers où l’élément masculin se trouve réduit à la portion congrue, au point de ne plus être le genre dominant, y compris dans la langue. Un futur où pointent des réminiscences de culture arabe et où la civilisation pratique une sorte de symbiose entre low et high tech. Ian R. MacLeod pratique l’art du dépaysement d’une manière admirable, montrant sans dire et dévoilant sans asséner. Poumon vert suscite en conséquence une multiplicité d’images étranges et pourtant sensibles, réveillant des sons, des odeurs et des textures qui semblent ordinaires.

Dans cet univers où la reproduction naturelle est devenue une exception, voire une incongruité, l’auteur britannique brasse aussi les thématiques du roman d’apprentissage, évoquant dans toute sa complexité le cap périlleux de l’adolescence, âge des possibles mais aussi des fragilités. Jalila se révèle un formidable guide, dévoilant progressivement son environnement jusque dans ses détails les plus intimes. Elle est aussi une jeune fille arrivée à un moment clé de son existence, celui où l’insouciance doit céder la place aux responsabilités. Un passage ardu et formateur, prélude à une autre phase de sa vie. Et si tous les possibles s’ouvrent à elles, encore faut-il qu’elle accepte la douleur passagère résultant de ce choix. C’est à cette seule condition qu’elle peut espérer grandir.

Poumon vert se révèle au final comme un des points d’orgue de la collection « Une Heure-Lumière », pour ne pas dire comme LE point d’orgue d’une collection qui a su séduire par son exigence.

Un autre avis chez RSF blog.

Poumon vert (Breathmoss, 2002) de Ian R. MacLeod – Éditions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », avril 2017 (novella traduite de l’anglais par Michelle Charrier)

2 réflexions au sujet de « Poumon vert »

  1. LE point d’orgue, pas moins ! Je n’ai pas tout lu, mais dans une collection où ont été publiés L’homme qui mit fin à l’histoire et Un pont sur la brume, la barre est placée haut. Je note sans faute.

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