Le Regard

Devenue une détective dure-à-cuire par le truchement de ses bio-améliorations, Ruth Law traîne également une solide réputation d’efficacité auprès de ses clients. D’abord, il y a le Régulateur, un dispositif enfiché sur son système limbique afin de filtrer ses émotions qu’elle laisse fonctionner 23 heures sur 24, au risque de se griller les neurones, comme une sorte de camisole électronique pour contenir les mauvais souvenirs. Et puis, elle est équipée de toute une panoplie de gadgets, aux limites de la légalité, pistons pneumatiques dans les jambes, tendons composites, batteries pour stimuler ses muscles et os renforcés, faisant de sa personne un cyborg. Et tout cela, pour oublier un drame personnel, vécu au temps où elle travaillait encore dans la police. Confrontée au meurtre d’une jeune prostituée, elle voit là une opportunité de se racheter et de retrouver la paix, peut-être.

Neuvième volume d’« Une Heure-Lumière », Le Regard confirme l’intérêt porté par les éditions du Bélial’ à Ken Liu dont voici la seconde novella traduite dans cette collection. Roman noir de l’avenir, le récit flirte avec le cyberpunk et la littérature policière d’une manière empreinte d’un indéniable classicisme. Sur ce point, Ken Liu respecte à la lettre les conventions du genre : détective se définissant par ses actes et non par ses états d’âme, tueur sadique, pègre impitoyable et policiers fatigués, le tout immergé dans un univers urbain où tout se marchande. Rien ne manque dans ce qui s’apparente à un polar solide.

Et pourtant, Ken Liu parvient à tirer son épingle du jeu. D’abord, en introduisant un personnage féminin blessé à la place du sempiternel privé désabusé. Ensuite, en usant de manière mesurée de la technologie et des poncifs du genre. Enfin, en distillant ses informations petit-à-petit sans chercher à se montrer trop démonstratif. Certes, comparé à L’Homme qui mit fin à l’histoire, Le Regard se situe un bon cran en-dessous d’un point de vue strictement spéculatif. On peut regretter que les motivations du Surveillant, la Némésis de Ruth, ne soient pas davantage développées. On peut s’agacer aussi du caractère prévisible du dénouement et de la linéarité d’une intrigue où l’on ne frissonne guère.

En dépit de ces remarques, Le Regard reste une novella efficace, tant par son atmosphère que pour l’intégration des technosciences dans la trame classique d’un roman noir. Bref, voici un texte mineur, mais cependant bien maîtrisé.

Le Regard (The Regular, 2014) de Ken Liu – Éditions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », avril 2017 (novella traduite de l’anglais [États-Unis] par Pierre-Paul Durastanti)

2 réflexions au sujet de « Le Regard »

  1. J’avais bien aimé cet opus, même si la résolution de l’intrigue est un peu trop rapide à mon gout. Par contre le background est de qualité et rien que pour çà, ce livre vaut le déplacement.

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