Les femmes de Stepford

Stepford. Charmante banlieue pavillonnaire, non loin de New York. Joanna, Walter et leurs deux enfants y emménagent un beau jour pour échapper à l’agitation de la métropole. Il travaille dans une grande entreprise, elle occupe son temps libre en pratiquant la photographie en semi-professionnelle, militant également pour le MLF. À bien des égards, ils forment un couple moderne, discutant de tout ensemble et partageant les tâches ménagères. Mais, sont-ils bien à leur place à Stepford où les femmes passent leur temps à récurer leur foyer, tout en soignant leur apparence pour plaire à leurs époux ? Sont-ils prêts à accepter un milieu où les hommes se retrouvent le soir dans un club leur étant réservé pendant que leurs épouses s’échinent à briquer le parquet, le corps corseté et la poitrine pigeonnante comme une illustration échappée d’un carnet de Norman Rockwell ?

L’œuvre de Ira Levin appartenait aux angles morts de ma culture livresque. Certes, j’avais déjà visionné (et apprécié) l’adaptation de deux romans de l’auteur américain, en l’occurrence Un bébé pour Rosemary par Roman Polanski et le moins connu Ces garçons qui venaient du Brésil, mais jusque-là je n’avais pas sauté le pas de l’écrit. Je confesse avoir opté pour ce court roman de 150 pages en raison d’un préjugé favorable. Les histoires où les apparences révèlent une toute autre réalité me plaisent bien, en général. Le choix s’avère au final heureux puisqu’il me tarde désormais de poursuivre l’exploration de son œuvre.

D’entrée de jeu, Les femmes de Stepford en impose par son efficacité et son économie de moyens. Sur une situation de départ somme toute anodine, pour ne pas dire simpliste, Ira Levin brode un récit irrésistible, dont le crescendo habilement déroulé ne ménage guère de faiblesses. À Stepford, l’American Way of life a toutes les apparences de l’utopie réalisée. Un paradis consumériste et sociétal que l’on croirait issu d’une publicité pour Moulinex (insérez ici toute autre marque de produits électro-ménagers), à l’époque où le fabriquant souhaitait libérer la femme sans bouleverser l’ordre « naturel » des tâches domestiques. Toutes les voisines de Joanna semblent en effet avoir trouvé leur accomplissement dans les corvées de lessive, dans la préparation de petits plats pour leur mari chéri ou dans le cirage acharné des parquets. Pas une pour rechigner ou pour sombrer dans la dépression. Et toujours en cherchant à rester pimpante et aimante. De quoi rendre dingue une militante féministe. Pour Joanna, la petite ville contredit les positions du MLF en matière d’émancipation, ravalant son progressisme au statut d’attitude excentrique, voire hystérique.

Efficace, plus malin qu’on ne le pense au premier abord et surtout intelligent, Les femmes de Stepford joue avec les représentations du corps social et du corps féminin, sans rien perdre de son acuité en dépit de ses presque cinquante années au compteur. On se félicitera également du choix de la nouvelle illustration de couverture qui ne spoile pas l’histoire, tout en se délectant des doutes et de l’effroi de Joanna lorsqu’elle découvre le pot aux roses. Mais, l’essentiel se trouve dans le malaise provoqué par cet univers où le bonheur surjoué cède peu à peu la place au cauchemar.

Les femmes de Stepford n’usurpe donc pas sa réputation de petit classique de la Science fiction. Voici un titre qui n’aurait pas dépareillé dans une série comme The Twilight Zone, mais dont l’actualité ne ne peut guère être démentie.

Les femmes de Stepford [The Stepford wives, 1972] de Ira Levin – Réédition J’ai Lu, novembre 2018 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Norman Gritz et Tanette Prigent, traduction révisée par Sébastien Guillot)

20 réflexions au sujet de « Les femmes de Stepford »

      • C’est terrible, j’ai fait un super long commentaire avec le lien vers une image externe et le mange spam l’a bouffé.

      • C’est dommage, ça aurait fait une conversation intéressante. Et je suis persuadé que j’aurais appris plein de choses. Ceci dit, c’est vrai que j’ai cité Norman Rockwell par facilité (popularité oblige). Sans doute Gil Elvgren, le « Norman Rockwell des Pin up’s » eut été plus logique.

      • C’est dégueu, toi tu as le droit d’afficher des images. En gros, je disais que dans ces illustr et traditionnellement les filles à marier sont sexy et les mères de famille réservées. On ne voit jamais les deux en même temps. Aux States, c’est une représentation inconsciente qui perdure puisque les lycéennes/étudiantes peuvent s’habiller de manière très provocantes mais une fois mariées, le dresscode change complètement.

      • C’est intéressant ce que tu dis sur le dress code et cela me semble conforme à la morale américaine. Cependant, mon ressenti se fondait sur la représentation des femmes au foyer dans le roman d’Ira Levin.
         » Elle avait tout de la Bobbie du dimanche précédent – belle, bien coiffée, maquillée. Et elle portait une espèce de soutien-gorge matelassé sous son chandail vert, ainsi qu’une gaine amincissante sous sa jupe à plis. Oui, j’ai changé, déclara-t-elle dans sa cuisine impeccable.J’ai pris conscience de mon égoïsme. Il n’y a pas de honte à être une bonne femme d’intérieur. J’ai décidé de faire consciencieusement mon boulot, histoire de me montrer digne des efforts de Dave, et de faire un peu plus attention à mon apparence. »

      • Je comprends très bien ce que tu veux dire mais il y a sûrement des exemples visuels plus pertinents que Rockwell mais ça demande un gros boulot de recherche et il fait chaud là. Et c’est un peu de mauvaise foi puisque c’est moi qui suis censé m’y connaître, pas toi.

      • Tu as raison. C’est ce qui m’est venu à l’esprit en premier pour traduire mon ressenti. N’hésite pas avec ta mauvaise foi salutaire.

      • Oui merci pour l’info ,je l’ai trouvé sur un autre portail avec une couverture plus caricaturale que la nouvelle édition.
        A suivre.

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