Indépendamment du soin qu’il apporte au décor, mêlant habilement abréviation graphique et détail authentique, indépendamment de la virtuosité narrative qu’il déploie dans chaque récit, j’apprécie énormément Jacques Tardi pour l’attachement viscéral qu’il témoigne à ceux que l’on surnomme les damnés de la Terre dans le célèbre chant révolutionnaire. Que ce soit dans la chronique familiale autobiographique, la veine feuilletoniste, l’adaptation de roman noir ou le récit historique, l’auteur ancre/encre son dessin dans le milieu populaire, se faisant le narrateur de cette mémoire des vaincus, éminemment foutraque et généreuse dans ses colères, y compris dans les pires excès.
Élise et les Nouveaux Partisans illustre à merveille cette manière, cette constance et fidélité dans l’engagement, traitant du gauchisme pendant les années 1960-70 que d’aucuns qualifiaient de maladie infantile du communisme. Une gauche à laquelle on adjoignait pas encore l’adjectif radical, mais une gauche déjà en lutte contre toutes les formes de racisme, de sexisme et d’injustice sociale. Des militants hélas trahis dans leurs idéaux, en proie à la frustration, la déception et une certaine amertume ayant poussé certains au renoncement ou au terrorisme. Rien de neuf sous le soleil… Mais, l’avenir n’est-il pas gros des révoltes des exploités du présent, même si c’est dur ?
Coécrit avec Dominique Grange, le présent ouvrage puise librement dans l’expérience personnelle de la compagne de Tardi à qui l’on doit la dédicace de l’ouvrage, le titre inspiré d’une chanson composée par elle-même et la courte postface. Élise, c’est elle. Jeune chanteuse lyonnaise montée à Paris pour tenter sa chance, rattrapée au moment de la poussée contestataire de mai 1968 par son passé de militante, né sur le terreau fertile de la Guerre d’Algérie. Opposée au retour à la normale, Élise sacrifie sa carrière dans le show-biz, optant pour la lutte sociale. Elle rejoint d’abord le Comité révolutionnaire d’action culturelle qui œuvre dans les usines en grève avant de sillonner la France rurale pour y expliquer la révolution. Elle rallie ensuite les « établis », ces militants maoïstes de la Gauche prolétarienne ayant choisi de travailler en usine afin de dépasser les préjugés de classe. Mais, si elle partage leur motivation et combat contre le Capital, elle ne connaît guère les préceptes du Petit Livre rouge, préférant la fraternité à l’endoctrinement idéologique, ce qui lui vaut quelques déconvenues et critiques de la part de camarades trouvant qu’elle épouse la cause du peuple de manière trop littérale. Car Tardi et Grange ne sont pas dupes des manipulations des uns et des autres. Celles du FLN envoyant les travailleurs algériens se faire matraquer par les CRS. Celles d’une Gauche finalement plus attirée par le pouvoir que par la révolution sociale. Ils n’épargnent évidemment pas ces nouveaux partisans devenus ensuite nouveaux profiteurs du système.
Le principal ennemi reste cependant l’État, le Capital et ses serviteurs zélés, les flics, qu’ils n’exonèrent pas de leur responsabilité dans des violences ne datant pas hélas des manifestations contre la loi El Khomri ou des protestations des gilets jaunes. Après la dissolution de la Gauche prolétarienne, Élise passe par le Secours rouge avant d’être arrêtée pendant une manifestation et condamnée à un mois de prison pour coups, blessures et injures à représentants de la force publique. Rien de neuf sous le soleil, on vous dit. Ce fait et l’assassinat du militant Pierre Overney la pousse dans la clandestinité au sein de la Nouvelle Résistance populaire, puis vers le courant libertaire, après l’auto-dissolution de l’organisation maoïste, au grand dam de ses militants de base.
Élise et les Nouveaux Partisans apparaît ainsi comme un ouvrage précieux, généreux, sincère et lucide. Un témoignage de l’intérieur sur le mouvement gauchiste entre 1968 et 1975. Une œuvre salutaire mettant en lumière les angles morts des Trente Glorieuses, tout en apportant une contribution personnelle à l’histoire populaire française dont les combats passés font étrangement échos aux luttes présentes.

Élise et les Nouveaux Partisans – Jacques Tardi & Dominique Grange – Éditions Delcourt, novembre 2021
Quand je vois l’hexagone aujourd’hui, j’ai peine à croire que cette gauche a existé. Ou alors j’ai quitté mon monde d’origine.
L’image que nous avons de l’Hexagone est biaisée par les médias et les réseaux sociaux. Ils ne tient qu’à nous d’écrire un contre récit pour la combattre. Wu Ming et Paco Ignacio Taibo II ne font pas autre chose.
C’est vrai Paco Ignacio ll est aussi un écrivain militant.
L’Araignée allait dans ce sens.
Yep !