Rossignol

45e opus de la collection « Une Heure-Lumière », Rossignol permet à Audrey Pleynet de rejoindre le vivier des auteurs francophones publiés dans la collection du Bélial’. Une étape sans doute décisive pour la jeune autrice mais n’étant pas sans risque compte tenu de la qualité des textes sélectionnés. Ne tergiversons pas, Audrey Pleynet n’a pas à rougir de la comparaison tant Rossignol démontre des qualités indéniables.

La Science-fiction favorise souvent le pas de côté salutaire permettant de transposer une problématique contemporaine dans un contexte radicalement autre. Le genre ouvre ainsi les possibles et ce faisant touche souvent à un questionnement plus universel. Rossignol aborde un territoire que n’aurait pas désavoué Ursula Le Guin, chantre de l’altérité et de l’utopie ambiguë. Jugez par vous même.

Jeune Humania, la narratrice a toujours vécu avec les habitants de la Station, ses voisins issus des multiples souches extraterrestres s’étant rencontrés dans le vide de l’espace, puis affrontés, avant de tisser par-delà les gènes, un lien fragile et précieux. Vaste agrégat d’habitats et d’environnements différents, la Station est née de cette volonté d’hybridation sous l’égide de renégats, contrebandiers et déserteurs dont l’ADN modifié a contribué au rapprochement. Prônant l’harmonie, avec le secours de la technologie, Paramètres et autres algorithmes bien utiles pour permettre la cohabitation de configurations biologiques différentes, l’utopie spatiale a prospéré, facilitant la vie à ses habitants et attirant des migrants guère enclin à mêler leurs gènes avec d’autres. Peu-à-peu, la Station est devenu un Point Central où se rencontrer, parlementer, apprendre de l’autre et commercer. Un microcosme à l’échelle de l’univers non exempt de tensions, sur le point de basculer vers l’affrontement entre les partisans de la fusion génétique et ceux de la pureté absolue.

À l’heure où la mondialisation semble transformer la planète en village global, du moins si l’on se fie aux thuriféraires de sa déclinaison heureuse, renforçant également les écarts de richesse et nourrissant le raidissement identitaire, Rossignol propose une réflexion stimulante et salutaire sur les solidarités collectives qu’il convient de préserver à tout prix. Empruntant son titre à la cruelle comptine traditionnelle composée entre les XVe et XVIIIe siècles, la novella se déploie dans une double temporalité dont l’entrecroisement tissé à dessein contribue à renforcer la dimension tragique. La Station est finalement à l’image de nos sociétés, tiraillées entre les injonctions contradictoires de la modernité et de la tradition. On y rejoue les mêmes motifs, questionnant sans cesse nos certitudes, les confrontant à des idéaux tributaires du renouvellement des générations et du désir d’utopie. Audrey Pleynet s’adresse ainsi à notre intellect d’une manière n’étant sans doute pas aimable, mais avec une bienveillance tout en nuance et en amertume.

Succomber au charme de Rossignol paraît au final comme la certitude d’être happé par un show don’t tell envoûtant, tragique et empreint d’une sensibilité à fleur de (sur)peau.

Rossignol – Audrey Pleynet – Éditions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », mai 2023

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