Éversion

Depuis la parution du dernier tome de la trilogie « Les Enfants de Poséidon », Alastair Reynolds s’était fait rare dans nos contrées. La traduction de Éversion au Bélial’, son roman le plus récent, après celle de La Millième Nuit, vient nous rafraîchir la mémoire avec bonheur, montrant que l’auteur gallois reste une valeur sûre de la Science fiction. Si la lecture de la novella m’avait quelque peu laissé insatisfait, le présent roman lève les doutes sur la faculté de l’auteur à susciter le vertige car, oui, incontestablement Éversion est un roman futé, apte à contenter les attentes d’un lectorat en quête d’aventures science fictives.

Difficile d’évoquer l’intrigue sans trop en dévoiler. On se contentera de renvoyer les curieux à une quatrième de couverture suffisamment elliptique pour brosser les enjeux du roman sans en dire trop. Le docteur Silas Coade apparaît en effet comme le point focal d’un récit bâti comme le miroir déformant de ses fantasmes et du déni dans lequel il s’est enfermé. Pour cette raison, on me permettra donc d’adopter la technique du pas de côté, passant outre le traditionnel résumé des grandes lignes de l’histoire.

Éversion apparaît d’abord comme un jeu de pistes où Alastair Reynolds distille les différents éléments d’un contexte truqué sciemment, frappé du sceau de l’incertitude et du traumatisme. Nous sommes ainsi poussés à opérer un tri dans les faits relatés par un narrateur définitivement non fiable, mais luttant pour retrouver un équilibre ébranlé par des circonstances dramatiques. Au fil de l’écriture et de la réécriture de l’itinéraire de Silas Coade, Alastair Reynolds cultive les redondances, semant le doute et un trouble croissant, à l’aune des émotions du narrateur, ballotté sans cesse d’un voyage d’exploration à un autre. D’aucuns trouveront peut-être le procédé répétitif, même si l’auteur en joue avec bonheur, entretenant le suspense jusqu’au dénouement.

Hommage malin et respectueux au roman feuilleton, au récit d’exploration et au pulp, Éversion acquitte aussi sans honte son tribut à ses devanciers, jouant la connivence avec les connaisseurs des littératures populaires. Ils feront évidemment le parallèle avec les expéditions maritimes et aériennes des explorateurs des pôles et autres terres australes ou boréales, tout en s’amusant de retrouver le mythe de la terre creuse, non dépourvu d’horreur cosmique, et une forme de Space opera ayant le charme désuet des aventures du Capitaine Futur.

Éversion réjouira donc l’amateur de science-fiction d’autant plus facilement qu’il procure un authentique plaisir de lecture avec une efficacité exemplaire. Si on doutait de la faculté de Alastair Reynolds à suspendre notre incrédulité pour mieux nous surprendre, nous voici rassuré. À suivre avec le dossier que va lui consacrer la revue Bifrost et l’inédit House of Suns dont on entend grand bien.

Éversion (Eversion, 2022) – Alastair Reynolds – Le Bélial’, février 2023 (roman traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti)

La Maison des Jeux

On nous cache tout, on nous dit rien, chantait l’autre sans savoir que l’assertion deviendrait le mantra des adeptes du complotisme, dépassant en cela les rêves les plus paranoïaques des faiseurs d’histoires secrètes et autres fictions romanesques. Après avoir découvert et apprécié Les Quinze Premières Vies d’Harry August qui voit le sens de l’Histoire ébranlé par les agissements des membres d’un club secret, Claire North se penche sur la nature humaine et sa propension à la grandeur comme à la bassesse. Humbles comme puissants, nul doute que personne ne ressorte indemne d’un jeu à somme nulle ne tolérant aucunement la demi-mesure.

Dans la Maison des Jeux, on ne prise guère en effet le hasard. Tout est stratégie, tout est mûrement calculé, pesé, évalué afin de n’offrir aucune faille à son adversaire. Dans la Maison des Jeux, les gains ne sont pas ceux guignés par le commun des mortels qui fréquente la Basse Loge, où l’on pratique les loisirs vulgaires en espèce sonnante et trébuchante. Pour les rares élus appelés à franchir le seuil de la Haute Loge, les enjeux sont d’une toute autre nature. La vie, la mémoire, l’identité, la liberté ou une existence entière de servitude. Rien de moins. Les joueurs font et défont ainsi les empires, chassent les rois ou ruinent les magnats, faisant du monde un vaste plateau de jeu et de son histoire le scénario d’une partie où l’un sera le vainqueur de l’autre. À leurs yeux, les pays sont des positions à tenir ou acquérir, l’économie leur fournissant les ressources de leur stratégie. Les êtres humains sont réduit à servir de pièces que l’on joue, déplace ou sacrifie dans un dessein qui les dépasse. Nulle idéologie ne guide leur mouvement, nulle éthique ou empathie. Juste la logique des règles et le vertige de la victoire.

Guidé par la voix off d’un narrateur omniscient, un procédé un tantinet déstabilisant au départ, entre les rivages de la Sérénissime en 1610 et le monde contemporain, en passant par les jungles de Thaïlande dans les années 1930, on suit l’itinéraire de plusieurs joueurs. D’abord Thene, jeune juive épousée pour sa fortune par un mari méprisant et médiocre. Effacée jusqu’à la négation de sa personnalité, elle devient faiseuse de roi dans la cité-État, usant de ses capacités remarquables pour déjouer tous les pronostics. On accompagne ensuite la fuite éperdue de Remy Burke, bien mal parti suite à un pari piégé contre un joueur bien plus retors et préparé que lui, dans une partie de cache-cache à l’échelle de la Thaïlande. Malmené et poussé à l’abîme, il se voit contraint à improviser constamment pour échapper à un adversaire déterminé à lui ravir le trésor de sa mémoire. On épouse enfin le combat d’Argent, joueur à la réputation très ancienne, ayant perdu jusqu’à son identité originelle, mais pourtant résolu à vaincre la maîtresse de la Maison des Jeux pour ainsi mettre un terme à ce qu’il considère être un viol de l’intégrité de l’Histoire et du libre-arbitre.

D’abord rebuté par le ton du narrateur, un point de vue extérieur qui interpelle et agace, on finit par succomber à la tension suscitée par les péripéties d’un récit décliné de main de maîtresse par une autrice inspirée. Trois volets où elle distille les informations et place ses pièces pour un affrontement final tenant toutes ses promesses, en dépit de la crainte d’une surenchère un peu vaine. Bien au contraire, Claire North ne laisse rien au hasard, déroulant son récit en un crescendo cinématographique qui ne demande désormais qu’une adaptation, tant le style visuel et le resserrement de l’intrigue s’y prêtent idéalement. Jouer ou être joué, Jouer et être déjoué, telle semble être la seule raison d’exister de joueurs en proie au fatalisme, celui de la logique du jeu. Et pendant que les gouvernements tombent, que les marchés s’écroulent, que les armées déciment les forces adverses, que les mafias, les services secrets et les forces spéciales rivalisent pour subvertir, retourner ou neutraliser les pièces de l’adversaire, le lecteur se laisse peu-à-peu envahir par la stupeur, dénombrant les pertes jusqu’à l’absurde et prenant conscience de l’horreur des destructions provoquées par des individus engagés dans un duel dépourvu d’empathie pour leurs victimes. Claire North porte un regard très noir sur l’être humain, lui déniant le libre-arbitre au profit d’un affrontement entre la logique et l’émotion, la raison et la pulsion. Pas sûr de souhaiter la victoire de l’une sur l’autre. Autant leur préférer le hasard tout simple et les aléas de l’imprévu.

« La Maison des Jeux » confirme donc le talent d’une autrice apte à dépouiller l’humanité de tous ses artifices idéologiques, philosophiques, économiques ou religieux, pour mieux faire émerger un récit sous-tendu par l’urgence, le suspense et un regard cruel sur le monde, heureusement pas complètement dépourvu de moments où s’exprime la fragilité humaine.

La Maison des Jeux – 1. Le Serpent (The Serpent, 2015) – Claire North – Editions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », mars 2022 (novella traduite de l’anglais par Michel Pagel)

La Maison des Jeux – 2. Le Voleur (The Thief, 2015) – Claire North – Editions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », septembre 2022 (novella traduite de l’anglais par Michel Pagel)

La Maison des Jeux – 3. Le Maître (The Master, 2015) – Claire North – Editions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », janvier 2023 (novella traduite de l’anglais par Michel Pagel)

Opexx

Le paradoxe de Fermi est résolu. Une immense confédération extraterrestre pacifique, le Blend, a contacté l’humanité, lui proposant un marché qu’elle n’a pas pu refuser. Contre quelques gadgets technologiques, de quoi améliorer l’ordinaire sur une Terre à la biosphère quelque peu dégradée, les humains peuvent se livrer à leur activité favorite : la guerre. Car l’utopie du Blend n’est enviable que si on l’accepte et l’intègre à sa façon d’être et de vivre. Elle ne suscite pas toujours l’adhésion et nécessite parfois la violence. Toute chose que l’humanité a éprouvé dans sa chair au cours de sa propre histoire et continue de pratiquer avec efficacité et sans scrupules.

Pourvus de la meilleure technologie du Blend, armés et équipés de pied en cap, des commandos humains sont ainsi déplacés vers les zones sensibles, opérant dans l’intérêt du meilleur des mondes possibles. Des opexx sur d’autres planètes pour explorer, s’interposer ou repousser les agressions. De la chair à canon qui ne comprend pas grand chose aux motivations des aliens et dont on efface la mémoire, histoire de lui épargner le stress post-traumatique du combattant, mais surtout une connaissance trop étendue de l’ailleurs. Il ne faudrait pas que les chiens de guerre échappent à leur maître et viennent pisser sur les plate-bandes de l’échiquier géopolitique cosmique. Bref, le boulot idéal pour le personnage principal, soldat professionnel atteint du syndrome de restorff, dont la narration guide notre découverte des opexx d’autant plus aisément que son trouble le rend imperméable aux déprogrammations.

Sous couvert de SF militariste et de space opera, Laurent Genefort nous propose un court récit introspectif où la quête d’altérité se substitue progressivement à la logique de l’affrontement et au repli identitaire. Ponctué par les visions fugitives de mondes extraterrestres, à la beauté incompréhensible et mortelle, Opexx nous immerge ainsi dans l’esprit d’un soldat lambda frustré par sa condition de simple porte-flingue. On observe son glissement progressif, impulsé par sa soif de connaissance et d’interaction, un processus qui finit par le rendre étranger à sa propre espèce, voire à lui-même, le poussant à se fondre dans un ailleurs qu’il juge plus désirable.

Mais, Opexx est aussi une réflexion sur ces opérations en terre étrangère et sur le droit d’ingérence qui les motive. Toute chose accomplie pour un plus grand bien, dit-on. Pour paraphraser le bon sens populaire, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Évidemment, c’est toujours mieux de le faire chez le voisin, histoire de garder son chez soi propre.

D’aucuns trouveront sans doute un goût de trop peu à ce récit, conséquence évidente de sa brièveté. L’essentiel est pourtant énoncé, bousculant les certitudes et nous interpellant sur notre capacité à épouser le regard de l’autre.

Opexx – Laurent Genefort – Éditions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », mai 2022

Capitaine Futur : Les Sept Pierres de l’espace

Le temps passe aussi vite que le Comète en quête de nouveaux défis à relever. Voici déjà le cinquième opus des aventures du Capitaine Futur, le sémillant géant à la chevelure de feu et à l’intelligence remarquable. Sortez les midinettes, le héros est toujours un cœur à ravir, même si Joan le couve plus que jamais d’un regard jaloux. Mais, ne soyez pas trop impatient quand même, car la liste des ennemis de l’humanité est longue avant de pouvoir trouver le moment propice afin de compter fleurette. D’autant plus que le sorcier de la science a toujours une expérimentation sur le feu, histoire de ne pas rester oisif. Une fois de plus, il affronte un adversaire implacable, un véritable génie du mal, déterminé à dominer les neuf planètes pour en repousser les limites à son avantage exclusif. Un adversaire évidemment à la démesure de Curt Newton et de ses Futuristes, persuadé que l’univers, de l’infiniment petit au plus grand, lui appartient, prêt à être façonné à sa convenance. Face à Ul Quorn, l’hybride maléfique et à sa caravane de l’étrange, toutes les ressources athlétiques et intellectuelles du Capitaine ne seront pas de trop pour le mettre hors de nuire.

Lire Capitaine Futur, c’est un peu comme retrouver une paire de pantoufles auprès du feu. Périls terrifiants dont on sait que le héros parviendra à se dépêtrer à force de courage et de ténacité, sense of wonder suranné, voire kitschouille, décontraction et frisson sans prise de tête, les aventures de Curt Newton proposent un condensé de cet esprit pulp, cher à l’Âge d’or de la science fiction américaine. Dans l’univers du feuilleton ou plutôt du serial, Edmond Hamilton tire son épingle du jeu, en dépit de l’aspect répétitif des intrigues, de l’humour lourdingue du duo Otho/Grag et de rebondissements un tantinet téléphonés. Si les recettes d’écriture ne changent pas vraiment, l’auteur introduit pourtant une petite variante, dévoilant d’emblée l’identité de l’adversaire du Capitaine. Il s’agit donc moins de démasquer celui-ci que de le prendre en flagrant délit ou de le devancer afin de l’empêcher de mener son projet à terme. Le mano à mano entre Curt et Ul Quorn n’empêche pas le respect d’exister, voire même une certaine admiration mutuelle se développer entre les deux personnages, malgré l’antagonisme irréductible qui les oppose. Il en va souvent ainsi du héros et de son âme damnée.

Bref, Les Sept Pierres de l’espace s’apparente à un petit changement dans la continuité où l’ambivalence des motivations reste toujours exclue et où les poncifs constituent l’ordinaire d’un système solaire réduit aux dimensions d’une Amérique fantasmée.

Capitaine Futur  : Les Sept Pierres de l’espace – Edmond Hamilton – Le Bélial’, coll. «  Pulps  », juin 2020 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Pierre-Paul Durastanti)

Un an dans la Ville-Rue

Faisons court et efficace.

Un an dans la Ville-Rue est une novella de Paul Di Filippo, auteur américain que l’on n’avait plus guère croisé dans nos contrées depuis la traduction du sidérant et moite Langues étrangères chez Ailleurs & Demain. Habitué à l’expérimentation et à une certaine exigence sur la forme et le fond, autrement dit, dans le genre qui nous intéresse, les images et les idées, il faut croire que l’imagination débridée et décalée de l’auteur n’a pas rencontré son public. Dommage pour son recueil de biographies fictives Pages perdues et pour La trilogie steampunk. Si un éditeur pouvait les rééditer et proposer quelques inédits, il y a matière, ce serait cool.

La présente novella ne risque pas de remettre en cause cette réputation. Un an dans la Ville-Rue a le charme malin des films de cinéma bis. On pense forcément à Dark City pour le contexte urbain et l’étrangeté de l’atmosphère, même si l’intrigue s’en différencie beaucoup. Paul Di Filippo flirte aussi, et pas qu’un peu, avec la weird fiction chère à Jeff VanderMeer. Bref, autant ne pas vous cacher le gros coup de cœur suscité par cette lecture, d’autant plus enthousiaste que l’auteur ajoute une vraie exigence stylistique à son écriture.

Imaginez maintenant un monde réduit à une bande urbanisée, bordée d’un côté par le Fleuve et de l’autre par les voies ferrées. Une ville linéaire apparemment sans début ni fin, personne ne peut en témoigner de toute façon ou même envisager l’existence d’un bloc zéro. Une cité composée d’arrondissements aux noms délicieusement imagés et de blocs numérotés à l’infini, l’ensemble étant éclairé par un double soleil aux orbites orthogonales. Au-delà des limites de la ville, on aperçoit l’Autre rive et le Mauvais Côté des Voies, comme des abstractions géographiques inaccessibles. Au-dessus des têtes, des entités psychopompes, les Bouledogues et les Femmes des Pêcheurs, sillonnent les cieux, attendant leur heure, prêt à ravir les dépouilles des défunts pour les emporter vers un ailleurs indéterminé. En-dessous du métro et des égouts de la Cité, l’inconnu, pavé d’écailles vivantes et pas seulement de bonnes intentions.

La grande force de Un an dans la Ville-Rue réside dans ce cadre familier et dans un jeu d’emprunts à des références culturelles et topographiques en gros issues des années 1950, mais dont la configuration singulière et étrangère nous éloigne de notre quotidien. Paul Di Filippo ne force pas le trait pour faire émerger peu-à-peu ce monde des limbes de son imagination. Il n’assène pas, se contentant de le faire vivre et respirer au fil des pérégrinations de Diego Patchen, son double littéraire, résident de la Ville-Rue.

Habitant au cœur de l’arrondissement de Vilgravier, dans un appartement situé dans le 10 394 850e bloc de l’Avenue, le bougre se satisfait en écrivant des nouvelles de Cosmos-Fiction pour une revue à bon marché vendue en kiosque, activité pour laquelle il rencontre quelque succès, au point de se voir proposer par son éditeur la publication d’un recueil de ses textes. Mais Diego aspire à plus. Une reconnaissance critique, l’estime de ses pairs de la fiction quotidienne et une véritable exigence stylistique, toute chose qu’on lui refuse dans son milieu, ce qui lui vaut de passer pour un excentrique. Comme on le voit, Paul Di Filippo s’y entend pour établir, non sans malice, des parallèles avec notre propre monde. La Ville-Rue apparaît ainsi comme un miroir quelque peu décalé de notre réalité, puisant son inspiration à la source de l’interzone de William S. Burroughs et de la weird fiction.

Sublimé par la traduction de Pierre-Paul Durastanti (je flagorne si je veux, mais honnêtement, félicitations pour le boulot de dingue !), Un an dans la Ville-Rue est un texte malin et ambitieux, où le fond et la forme s’entremêlent en de multiples couches dont on se plaît à décortiquer l’architecture. Parcourir l’Avenue de la Ville-Rue, c’est l’adopter, à la condition d’aimer s’y perdre. Un peu.

Un an dans la Ville-Rue (A Year in the Linear City, 2002) de Paul Di Filippo – Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », mai 2022 (novella traduite de l’anglais [États-Unis] par Pierre-Paul Durastanti)

Noon du soleil noir

On a découvert L.L. Kloetzer avec deux romans de science fiction lorgnant du côté de la dystopie et du récit post-apocalyptique. Une très bonne surprise, l’imaginaire de l’auteur/trice augurant du meilleur. Anamnèse de Lady Star a d’ailleurs été justement récompensé par le Grand prix de l’Imaginaire, preuve s’il en est de l’attention portée sur l’œuvre du couple Kloetzer. Depuis, on se languissait un peu, au désespoir de ne pas voir les promesses se concrétiser autour d’un nouveau roman. L’attente n’aura pas été vaine puisque l’auteur/rice revient pour nous livrer un hommage à quatre mains à Fritz Leiber, en particulier à la série culte mettant en scène (euphémisme) les fabuleux Fafhrd et Souricier Gris.

Que les lecteurs de ce blog sachent que le « Cycle des Épées » fait partie de mes madeleines littéraires, au moins autant que le « Cycle de Lyonesse » ou l’univers de la Terre mourante de Jack Vance. Fritz Leiber y décline les aventures picaresques et un tantinet théâtrales d’un duo d’anti-héros bien mal assortis et pourtant liés par une indéfectible amitié et communauté de (mauvais) esprit. Guère vertueux, les deux compères passent en effet leur temps en beuverie et ripaille, n’attendant qu’un signe de leur guides spirituels, les mystérieux Ningauble-aux-Sept-Yeux et Sheelba au visage sans yeux, pour partir à l’aventure, histoire de remplir leur bourse éternellement vide. Ils sillonnent ainsi le monde décadent de Newhon, guidés par l’appât du gain, la curiosité et la perspective de s’affranchir de la morale, même s’ils ne sont pas complètement dépourvus d’un certain sens de la justice. En somme, deux parfaits truands dans un monde de brutes guère bienveillantes avec les bons ou les naïfs.

Sans surprise, Noon du soleil noir se coule dans le décor familier aux lecteurs du « Cycle des Épées », même si Lankhmar n’est pas nommée, les auteur/trice préférant l’art de la périphrase imagée. Pas de quoi cependant tromper le connaisseur habitué à la géographie de le cité et à son voisinage. Un autre duo vient se substituer aux deux acolytes, pas moins roublards et téméraires que leurs prédécesseurs. Mercenaire vieillissant et boiteux, Yors est réduit à guetter le pigeon à la porte de la cité afin de proposer ses services pour lui éviter les périls de la Ville aux Mille fumées et ainsi subvenir à ses propres besoins. L’arrivée de Noon, jeune magicien un tantinet naïf mais à la bourse bien pleine, lui laisse espérer quelques repas et verre supplémentaires à l’auberge où il a ses habitudes. Le gandin ne semble cependant pas complètement dépourvu de pouvoir, comme le vétéran s’en rend compte rapidement. Ses centres d’intérêt le distinguent également du quidam moyen, poussant Yors à redouter la désarmante ingénuité du personnage plus que ses sortilèges.

Dans une langue évocatrice, L.L. Kloetzer redonne un coup de jeune au Sword & Sorcery, sous-genre perclus de clichés et de gimmicks que l’on croyait bien mort après le succès de « A Song of Ice and Fire » et consorts, convoquant moult réminiscences auprès des joueurs de AD&D. Machinations politiques, cultes antédiluviens, sortilèges, entourloupes et retournements de situation sont ainsi légion, pour notre plus grand plaisir, sans qu’à un seul moment on éprouve un sentiment de redite ou une quelconque lourdeur stylistique. Les auteur/trice se gardent bien en effet de tout éventuel pastiche, jouant avec les poncifs du genre et déjouant les pièges de l’hommage trop appuyé. Ils semblent d’ailleurs avoir manifestement pris grand plaisir à le faire, leur joie se révélant finalement très communicative. Noon du soleil noir se révèle ainsi un divertissement léger et amusant, dont le rythme vif et enjoué, empreint d’une ironie jubilatoire, fait merveille. Sous la patine des archétypes, Yors comme Noon forment un tandem vraiment efficace qui confère au récit une réelle épaisseur et contribue à renforcer l’immersion au sein de la Cité de la Toge noire.

Noon du soleil noir est donc une réussite, un pur récit de Sword & Sorcery, astucieux et inspiré, auquel les illustrations de Nicolas Fructus apportent un contrepoint graphique bienvenu. On attend maintenant avec impatience la suite annoncée des aventures de Yors et Noon. Les deux compères nous manquent déjà.

Noon du soleil noir – L. L. Kloetzer – Éditions Le Bélial’, juin 2022

Les Quatre Vents du Désir

Réédition du recueil éponyme paru jadis chez Pocket, Les Quatre Vents du Désir bénéficie d’un écrin à la hauteur des écrits de Ursula Le Guin, autrice faisant l’objet actuellement dans nos contrées de toute l’attention des éditeurs de l’Imaginaire. L’ouvrage paraît en effet dans la belle collection « Kvasar », accompagné d’une préface de David Meulemans, d’un entretien avec Ursula Le Guin mené par Hélène Escudié et de la traditionnelle bibliographie de Alain Sprauel, recension plus qu’exhaustive de l’œuvre de la dame. Si l’on ajoute les illustration d’Aurélien Police, on comprend que le présent ouvrage revêt toutes les qualités d’un must-have, surtout si l’on est tiraillé par le démon du complétisme.

Vingt nouvelles composent le sommaire d’un recueil apparaissant comme le point d’orgue d’une œuvre multiple et sensible. Déclinées selon six directions, les points cardinaux mais aussi le nadir et le zénith, elles servent de boussole au néophyte afin de découvrir un imaginaire guidé par l’observation de la matière humaine, de l’altérité et des interactions qu’elle suscite jusque dans notre psyché.

Entre expérience de pensée et conte volontiers philosophique ou poétique, Ursula Le Guin nous invite à nous dévoiler à nous même, à explorer les angles morts de l’esprit, dans un effort collectif pour mettre à l’épreuve nos certitudes et nos préjugés, exercice salutaire donnant sens et corps à la diversité, à la transversalité d’une humanité trop souvent enferrée dans l’intolérance. Elle endosse ainsi le rôle du porte-parole, cultivant les histoires et laissant s’exprimer des personnages dont le récit surgit de son auscultation attentive et patiente. Ils nous parlent par son truchement, révélant leurs convictions bien fragiles à l’aune de la rencontre avec autrui. Chez Le Guin, le progrès, notion ambivalente et piégée, importe moins que le changement. Une dynamique impulsée pour le meilleur comme pour le pire, rien n’est assuré pour l’humain. Non sans humour, mais surtout avec beaucoup d’émotion, l’autrice déroule ainsi un imaginaire pétri de bienveillance, mais pouvant se révéler à l’occasion cruel. Elle nous convie à épouser le changement, à l’accepter comme une sorte de continuité, dans le respect d’autrui et de la multiplicité des possibles.

Parmi les vingt nouvelles, toutes parues entre 1974 et 1982, on se contentera de ne citer que les plus marquantes. Une sélection bien entendu très subjective. D’abord le texte d’ouverture, « L’Auteur des graines d’acacia », une formidable expérience de pensée autour du thème de la linguistique, guère éloignée de la philosophie holistique quand on y réfléchit bien. Puis « Le Test », courte nouvelle où l’autrice expérimente le contrôle social absolu, jusqu’à l’absurde. Ces deux premiers textes ne sont évidemment qu’un infime aspect de la palette littéraire d’Ursula Le Guin. Il faudrait aussi évoquer « L’Âne blanc » et « La Harpe de Gwilan », dont la poésie subtile et l’émotion titillent la corde sensible sans verser dans la mièvrerie. Pour sa part, « Intraphone » se révèle une satire surprenante dont le ton burlesque vient démentir la réputation de froideur du style de l’autrice. Passer outre « Les Sentiers du désir » serait également faire affront à l’inspiration anthropologique de la dame, d’autant plus que le présent récit trouverait allègrement sa place au sein du cycle de « L’Ekumen ». Pour finir, juste un mot de « Sur », court récit d’exploration glaciaire féministe flirtant avec l’histoire secrète et l’hommage. Le texte relève d’une forme de combat contre les préjugés, sans pour autant rabaisser l’abnégation, le courage et la folie des explorateurs des pôles.

Après Aux Douze Vents du Monde, Les Quatre Vents du Désir vient donc compléter avec bonheur un panorama de nouvelles riche et varié, offrant un aperçu qui, s’il n’est pas exhaustif, n’en demeure pas moins représentatif de l’œuvre d’Ursula Le Guin. Un must-have, on vous a dit.

D’autres avis ici.

Les Quatre Vents du Désir – (The Compass Rose, 1982) – Ursula Le Guin – Réédition Le Bélial’, collection « Kvasar », mai 2022 (Recueil traduit de l’anglais [États-Unis] par Martine Laroche, Françoise Levie-Howe, Jean-Pierre Pugi, Philippe Rouille et France-Marie Watkins)

La Volonté de se battre

L’utopie a failli, achoppant sur le culte du secret, la manipulation et l’assassinat ciblé. Ruches et hors- ruches s’agitent, effrayés par la perspective d’une conflagration mondiale. La paix va-t-elle faire les frais de cette trahison, la volonté de se battre se muant inexorablement en bataille ? À la condition de s’y préparer, de réapprendre l’art de la guerre oublié depuis 300 ans.

Avec La Volonté de se battre débute la seconde partie de la tétralogie « Terra Ignota », vaste fresque futuriste conçue et écrite par Ada Palmer. On ne reviendra pas en détails sur le Worldbuilding du cycle, si ce n’est pour rappeler le contexte général de ce livre-univers. Au XXVe siècle, l’utopie et la paix règnent sur Terre depuis 300 années. Un réseau mondial de voitures volantes autonomes a révolutionné les transports rendant obsolète le concept d’État-nation. La géopolitique s’est ainsi recomposée sur d’autres bases, redéfinissant les allégeances et les affinités. Réduites à quelques strate-nations, les États ont cédé la place à une multitude de ruches, des entités non géographiques à adhésion volontaire. Un système de lois universelles prévaut en parallèle aux systèmes juridiques particuliers des Ruches, garantissant aux citoyens hors-ruches, mineurs et marginaux, la préservation de leurs droits. Sept ruches principales ont ainsi fini par s’imposer sur la planète. Les structures familiales ont également explosé, remplacées par les bash, et les différentes religions ont été proscrites après une période de guerre fratricide, l’humanité leur préférant désormais le secours de directeurs de conscience, les sensayers. Hélas, l’utopie a fait long feu comme nous l’a révélé Mycroft Canner, le narrateur non fiable de Trop semblable à l’éclair et Sept Redditions. Désormais, chacun doit choisir son camp et son champion.

« Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la croyance qu’il vous appartient. »

Si le premier diptyque de la tétralogie « Terre Ignota » convoquait William Shakespeare, le marquis de Sade et Voltaire, La Volonté de se battre fait appel à Thomas Hobbes, en particulier à son ouvrage majeur : Le Léviathan. Mycroft Canner reste le narrateur non fiable de ce troisième livre qui voit les factions affûter leurs arguments et leurs stratégies pour sauver la paix, voire amender une utopie sortie fragilisée par les révélations de Sept Redditions. Sur fond d’émeutes, de doute, de nouveaux complots, d’enquête, mais aussi de vengeance, ce troisième livre nous interpelle sur les notions de justice, de gouvernement et de guerre, convoquant l’Histoire et la philosophie politique pour tenter d’apporter une réponse raisonnable, loin d’être univoque. Ce roman riche et ambitieux, n’étant pas sans évoquer le Dune de Frank Herbert pour son questionnement politique, est en effet un monument de dialectique qui voit arguments et contre-arguments s’affronter et se neutraliser, au fil d’une narration dialoguée qui prend son temps. D’aucuns trouveront le procédé laborieux, pour ne pas dire étouffant du fait de la densité des notions et concepts déployés par une autrice n’ayant pas fait son deuil de la complexité et du foisonnement des enjeux. Pour autant, l’amateur appréciera le caractère nuancé et réfléchi de la démonstration, mais aussi les digressions sur le manichéisme, la philosophie de Hobbes ou sur l’Illiade.

Même s’il peut paraître un tantinet longuet et bavard, La Volonté de se battre est porté par un crescendo inexorable, une volonté de déconstruction de toutes les certitudes d’une utopie truquée. Mais, la destruction est-elle porteuse d’espoir ou juste le prélude des charniers à venir ? Ne vaut-il mieux pas confier le destin du monde entre les mains d’un despote éclairé plutôt que de laisser s’exercer la guerre de tous contre tous ? Existe-t-il d’autres alternatives à la guerre ? Nul doute que toutes ces questions trouveront leur réponse avec L’Alphabet des Créateurs, première partie dans nos contrée de Perhaps The Star. Ne soyons pas trop impatient.

La Volonté de se battre : Terra Ignota, Livre troisième (The Will to Battle « Terra Ignota, Book 3 », 2017) – Ada Palmer – Éditions Le Bélial’, 2021 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Michelle Charrier)

Simulacres martiens

On savait déjà qu’Eric Brown appréciait les pulps. Désormais, on peut ajouter à ses centres d’intérêt le roman feuilleton, comme en atteste cette novella au titre très dickien de Simulacres martiens. Les lecteurs de Bifrost ont pu découvrir ce penchant avec la nouvelle « La Tragique Affaire de l’ambassadeur martien » inscrite au sommaire du numéro 105 de la revue. Le présent texte prolonge l’expérience dont mon petit doigt me dit qu’il a servi de matrice au roman The Martian Menace, paru en 2020.

Retrouvons donc Holmes et Watson après la seconde invasion des Martiens, une conquête couronnée cette fois-ci de succès, les envahisseurs ayant pris la précaution de se faire vacciner contre la faune microbienne de notre planète. Pour l’occasion, les Martiens semblent également avoir renoncé à leur volonté d’extermination de l’humanité, optant pour une conquête douce qui cherche plus à séduire qu’à contraindre. En dépit de la présence menaçante des tripodes aux points stratégiques de la capitale londonienne, ils se montrent en effet désormais plus soucieux de progrès et de coopération, nouant des relations amicales avec les leaders d’opinion et les célébrités de ce début du XXe siècle.

Dans ce contexte d’occupation, loin de succomber au défaitisme ou à l’aiguillon de la révolte, le redoutable logicien de Baker Street laisse libre cours à sa curiosité naturelle, accumulant les connaissances sur les envahissants mentors de l’humanité, tout en leur rendant fort opportunément de menus services. L’ambassadeur martien lui propose ainsi d’enquêter sur le meurtre d’un compatriote, lui faisant miroiter la perspective d’une investigation sur le lieu du crime, c’est-à-dire en terre étrangère, autrement dit sur Mars. Accompagné de l’inséparable Watson et en compagnie du célèbre professeur Challenger, Holmes rejoint sans tarder la base martienne de Battersea pour embarquer sur le gigantesque vaisseau de ligne à destination de la Planète Rouge, se réjouissant par avance des aventures qu’il s’apprête à y vivre, non sans prêter une oreille attentive aux rumeurs de complot colportées par les agitateurs terriens.

Court texte d’une centaine de pages, Simulacres martiens n’usurpe pas le qualificatif de pastiche distrayant et respectueux de ses devanciers. À l’image de La Machine à explorer l’Espace de Christopher Priest, l’auteur britannique acquitte son tribut à Arthur Conan Doyle et Herbert George Wells de manière fort honorable, ne confondant pas l’obséquiosité et l’hommage. Vif, enlevé et émaillé d’une touche d’humour légère, le récit d’Eric Brown s’amuse des poncifs et codes mis en place par ses illustres prédécesseurs littéraires. Le voyage de Holmes et consorts ne ménage ainsi guère de temps morts. Complot, trahison, bataille rangée se succèdent sans entacher un seul instant une incrédulité toute entière suspendue aux marottes d’un merveilleux scientifique délicieusement suranné.

Novella fort sympathique, on ne peut guère reprocher à Simulacres martiens qu’un dénouement ouvert, voire inachevé, laissant le lecteur dans l’expectative, au seuil d’aventures dont Eric Brown ne fait qu’esquisser les contours. Pour en connaître le déroulement, sans doute faudra-t-il lire The Martian Menace.

Simulacres martiens (The Martian Simulacra, 2018) – Eric Brown – Édition Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », janvier 2022 (novella traduite de l’anglais par Michel Pagel)

Sur la route d’Aldébaran

Renouant avec l’un des lieux communs de la Science fiction, le Big Dumb Object (aka le Grand Truc Stupide), Adrian Tchaikovsky nous propose avec Sur la route d’Aldébaran un court récit flirtant avec la Hard SF et l’horreur. Un cocktail gagnant, on va le voir, non dépourvu d’une bonne dose d’humour grinçant.

Gary Rendell est le dernier survivant de l’expédition terrienne dépêchée aux confins du système solaire pour percer le mystère d’un artefact extraterrestre, découvert inopinément par une sonde spatiale. La chose interroge en effet toute la communauté scientifique, au point de faire taire les conflits qui ont déchiré jusqu’à très récemment l’humanité, lui faisant frôler l’extinction à plusieurs reprises. Elle nargue les plus grands spécialistes avec sa face aux traits vaguement batraciens et sa structure fractale qui semble s’étendre en-dehors de l’espace-temps. Autrement dit, l’objet est un portail sur ailleurs, riche en potentialités d’expansion. Une Grande porte ouverte sur l’univers. De quoi faciliter grandement les déplacements et les contacts avec d’autres civilisations. A la condition de comprendre son fonctionnement.

En bon citoyen britannique, Gary Rendell n’est heureusement pas dépourvu d’humour, du moins cette forme particulière d’humour pratiquée dans son archipel natal. Un état d’esprit lui ayant permis de survivre jusque-là, en dépit du désastre résultant de l’exploration des tréfonds minéraux du Dieu-Grenouille, comme il a pris l’habitude d’appeler l’artefact. Dans ses cryptes sans queue ni tête, Gary doit se garder en effet des mauvaises rencontres, surtout avec les multiples monstres dont il connaît désormais la faim inextinguible. Il se sent aussi seul et démuni face à ces choses étranges qu’il est contraint de manger pour demeurer vivant et dont l’apport nutritif est inversement proportionnel à l’inconfort digestif qu’elles lui font endurer. Gary aimerait enfin rentrer chez lui et oublier l’exploration des étoiles, activité lui ayant procuré plus de déplaisir que de satisfaction. Mais, cela est-il encore possible ?

« On pourrait croire que cette créature s’est introduite dans le bureau de Dieu, après l’école, pour y chiper tous les vilains jouets confisqués aux anges déchus. »

Sur ce blog, on a beaucoup aimé Dans la Toile du temps et Chiens de Guerre. On garde d’ailleurs en réserve Dans les profondeurs du temps, dernier titre d’Adrian Tchaikovsky traduit dans nos contrées, histoire de ne pas épuiser immédiatement toute sa bibliographie en français. Sur la route d’Aldébaran est un court récit qui réjouira l’amateur d’une certaine forme de Science fiction classique, même si l’optimisme n’y est guère de rigueur.

Narrée à hauteur d’homme, peut-être devrais-je dire à hauteur de naufragé, la novella épouse le regard désabusé et ironique de Gary Rendell, dernier rescapé d’une mission d’exploration internationale. Le bougre ne nous épargne rien de ses humeurs ni de ses rencontres. Des créatures étrangères dont il s’émerveille en dépit de son impossibilité à communiquer avec elles, mais aussi des monstres tout en crocs, en écailles ou en tentacules, prêts à l’ingurgiter ou lui faire subir mille promesses de terreur. Sur ce dernier point, Adrian Tchaikovski fait preuve d’une belle imagination, convoquant un bestiaire n’ayant rien à envier aux bug-eyed monsters des pulps d’antan ou à la microfaune cauchemardesque dévoilée par un microscope.

Face à une adversité sacrément tordue, Gary oppose une volonté de survie inébranlable, défiant les obstacles et les pièges qui jalonnent son chemin avec un humour noir admirable. Dans ce carrefour des étoiles survivaliste, émaillé de chausse-trappes et de surprises fatales, on suit son périple et son histoire personnelle avec curiosité, voire une certaine empathie, avant de commencer à s’interroger sur les raisons de sa survie. Au lecteur de découvrir l’inversion de perspective finale, assez savoureuse il faut en convenir.

Entre horreur et humour noir, Sur la route d’Aldébaran tient donc toutes les promesses d’un court récit anxiogène dont le dénouement définitif vient éteindre toute envie de ricaner.

Sur la route d’Aldébaran (Walking to Aldebaran, 2019) – Adrian Tchaikovsky – Éditions Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », octobre 2021 (novella traduite de l’anglais par Henry-Luc Planchat)