Les Perséides

Le cœur de la science-fiction bat au rythme des nouvelles. Le fait n’apparaît pas d’une franche nouveauté aux yeux du connaisseur. Pourtant, à l’heure du briseur d’étagère, de la série interminable déclinée en épisodes monotones ou de l’intrigue délayée à l’eau de vaisselle, il n’est pas inutile de rappeler cette évidence.
Parmi les parutions de la rentrée de l’Imaginaire, Robert Charles Wilson se taille cette année une part non négligeable. Deux romans, dont la réédition en poche du monumental Julian, et un recueil de nouvelles. De quoi satisfaire le fan absolu de l’auteur nord-américain. De quoi aussi faire râler le grincheux, à la recherche de noms inédits ou de la dernière pépite du monde anglo-saxon.
J’ai déjà évoqué le sentiment mitigé éprouvé à la lecture des Derniers jours du paradis, n’y revenons pas.
Fort heureusement, Les Perséides m’a beaucoup moins déçu. Traduction du recueil éponyme paru en 2000, l’ouvrage rassemble neuf nouvelles balayant cinq années d’écriture. Dans la postface, Wilson s’exprime sur son architecture, expliquant avoir ressenti le besoin d’établir, chemin faisant, un lien ténu entre les différents textes. Il n’aura échappé à personne que la plupart des nouvelles prennent pour point focal la ville de Toronto et la librairie Finders, que l’on y trouve quelques personnages récurrents, mais tout ceci ne doit pas masquer l’aspect diversifié du recueil.

Un texte de Robert Charles Wilson repose sur un équilibre fragile, partagé entre spéculation science-fictive et introspection. L’auteur aime mêler les perspectives vertigineuse de l’univers à des préoccupations plus intimes, comme si cosmique et humain se répondaient sans forcément parvenir à s’entendre. De cette synergie naît l’émotion qui lorsqu’elle est portée à l’incandescence parvient à faire vibrer à l’unisson les cordes de l’intellect et de l’affect. Les meilleures histoires de l’auteur relèvent de ce processus subtil où son talent ne semble plus à démontrer.

Le recueil comporte au moins deux nouvelles de ce type. « L’Observatrice » gravite autour de la relation entre une adolescente et l’astronome Edwin Hubble. Sous couvert d’enlèvement par les extra-terrestres, Wilson nous livre un récit parfait contenant la dose idéale d’émotion et de sense of wonder. Il réitère l’expérience avec « Divisé par l’Infini » où cette fois-ci, il met la physique quantique au service de la thématique du deuil et de celle de la fin du monde. Là aussi, ce texte me paraît parfait.

Cependant, Les Perséides dévoile également une facette de l’auteur canadien que je ne connaissais pas. À plusieurs reprise, Wilson flirte avec le weird, terme qui correspond bien au sentiment d’inquiétude prévalant dans au moins quatre nouvelles.
Commençons par la plus convaincante, « Protocoles d’usage », superbe et glaçant récit d’horreur à faire dresser les cheveux sur la tête du moindre entomophobe. Bien, très bien, ce texte me paraît un des sommets du recueil. Toutefois, avec « La Ville dans la ville », l’auteur canadien nous livre une histoire angoissante où se dévoile la géographie cachée de Toronto.
Plus classique, « Les Perséides » évoque le paradoxe de Fermi. La solitude du personnage principal semble y répondre à celle de l’humanité dans l’univers. Mais, peut-être convient-il de regarder en soi-même plutôt que de scruter les cieux pour trouver la réponse à l’interrogation du célèbre physicien ?
« Les Champs d’Abraham » nous plonge en 1911, dans le quotidien des immigrants tentant de survivre à Toronto au début du siècle. Une tâche âpre, si l’on en juge cette histoire, surtout lorsqu’on vous tend un piège. De cette nouvelle, je retiens surtout son atmosphère proche de celle d’un épisode de la série The Twilight Zone.

Pour terminer, j’avoue être resté dubitatif devant trois textes.
« Bébé perle » m’est apparu inabouti. Pourtant, l’argument de départ avait quelque chose de prometteur, mais le développement désamorce le caractère bizarre et inquiétant de la nouvelle. Dommage.
« Ulysse voit la lune de la fenêtre de sa chambre » trouverait naturellement sa place dans un recueil de Ray Bradbury, mais il faut croire que je n’ai pas été très sensible à cette histoire et à sa réflexion sous-jacente.
Quant au « Miroir de Platon », je me suis ennuyé ferme, cherchant encore un intérêt à la chose.

Bref, en dépit de ces quelques bémols, je ressors quand même réconcilié avec Robert Charles Wilson. Les Perséides illustre à merveille la manière d’écrire de l’auteur, tout en dévoilant son amour des classiques de la science-fiction et du fantastique.

PerséidesLes Perséides (The Perseids and Other Stories, 2000) de Robert Charles Wilson – Éditions Le Bélial’, septembre 2014 (recueil traduit de l’anglais [Canada] par Gilles Goullet)

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