Soleil vert

Manhattan, 1999. La canicule sévit depuis quelques jours, faisant fondre le bitume des rues et attisant les tensions. Trente cinq millions d’habitants vivent dans une cité réduite à un conglomérat d’immeubles surpeuplés, en quête d’un peu d’ombre et de tranquillité. Une quête hélas vouée à l’échec dans un climat de violence latente où le chacun pour soi semble considéré comme la norme. Dans cette atmosphère délétère, la police a beaucoup de mal à maintenir le désordre à un niveau acceptable. Sans cesse, elle doit réprimer les émeutes pour protéger l’approvisionnement d’une ville affamée et assoiffée. Un quotidien dont Andy Rush se passerait bien pour pouvoir consacrer davantage de temps à ses enquêtes. Mais l’inspecteur est un privilégié. Il dispose d’un travail et d’un appartement. Deux pièces qu’il partage avec Sol, un vieux de la vieille qui a connu le monde d’avant. Aussi, préfère-t-il faire profil bas et avaler les couleuvres de sa hiérarchie sans sourciller.

En lisant Make Room ! Make Room ! (oublions le titre en français), on ne peut bien sûr s’empêcher de penser au film de Richard Fleischer, une œuvre qui, malgré les outrages du temps, conserve une certaine puissance visuelle. Je ne vous cache pas d’ailleurs qu’elle figure très haut dans mon panthéon personnel.

Une fois n’est pas coutume, l’adaptation paraît supérieure au roman dont elle tire sa substance. L’interprétation de Charlton Heston n’est sans doute pas étrangère à ce fait, mais il faut avouer aussi que Richard Fleischer a su donner vie à cette dystopie avec un rare talent. Certes, l’intrigue du film prend quelque liberté avec l’œuvre originale. Elle fait l’impasse sur l’aspect géopolitique et se cantonne strictement aux limites de Manhattan, oubliant au passage un personnage et inventant une ligne narrative qui n’existe pas dans le roman de Harry Harrison. Mais pour le reste, le film reste un bon cran au-dessus.

La faute à Andy Rush, un personnage dépourvu de charisme. Loin de l’image du dur-à-cuire des romans noirs, il paraît bien mollasson, s’enferrant dans une romance un tantinet ridicule avec Shirl, la jeune femme de compagnie pour riches, dont il s’amourache pendant son enquête. Et puis, il y a le personnage de Billy Chung, le raté de l’histoire, un gamin des rues poussé au meurtre par des circonstances malheureuses. Son histoire n’apporte pas grand chose à un récit qui aurait gagné à être plus resserré, par exemple autour du trio Rush/Shirl/Sol.

Le film ne trahit cependant pas le propos de Harry Harrison. La surpopulation et l’épuisement des ressources qu’elle provoque demeurent en effet au cœur des deux œuvres. La bombe P, amorcée pendant les Trente Glorieuses, atteint ici sa cible, une humanité aux abois, acculée dans ses ultimes retranchements. Certes, seize ans après le terme catastrophique de Make Room ! Make Room !, les spéculations démographiques de Harry Harrison paraissent désormais désuètes. Avec presque 325 millions d’habitants en 2016, les États-Unis ne sont pas devenus cette contrée cauchemardesque décrite dans son roman. Mais si l’échéance semble avoir été repoussée un peu plus tard, les problèmes posés par la surpopulation et la surexploitation des ressources terrestres restent plus que jamais d’actualité. Économie de la rareté, extinction massive de la faune et de la flore, réchauffement du climat et conflits pour le contrôle de l’eau figurent toujours au cœur des préoccupation de la science-fiction contemporaine, comme les romans et nouvelles de Paolo Bacigalupi viennent nous le confirmer.

Alors, Make Room ! Make Room ! roman noir d’un avenir dépassé ? Peut-être, mais les thèmes brassés par Harry Harrison n’ont rien perdu de leur acuité. Et puis, le roman fourmille de petites trouvailles amusantes qui font oublier la faiblesse du traitement des personnages.

Autre son de cloche ici.

soleil-vertSoleil vert (Make room ! Make Room !, 1966) de Harry Harrison – Réédition J’ai lu, 2014 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Sébastien Guillot)

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